«Le 20 février a réveillé tout le monde», affirme Mohamed Yatim, secrétaire général de la section agricole de l'Union marocaine des travailleurs (UMT). Les syndicats ne sont évidemment pas exempts de ce réveil collectif. Mieux, ils jouent la carte de l'opportunisme pour donner plus d'échos à leurs revendications. D'ailleurs, ils ne s'en cachent pas, comme l'explique Mohamed Yatim : «L'opportunisme en politique est une chose nécessaire. Cela consiste à choisir le bon moment pour mener ses actions. Or, avec ce qui se passe dans le monde arabe et plus encore au niveau national, c'est le moment de bouger». Le moins que l'on puisse dire c'est que les syndicats sont très actifs en ce moment. Des actions sont menées tous azimuts. Elles concernent tous les domaines, aussi bien dans le secteur public que privé. Mais quelles sont ces revendications et épousent-elles celles qui ont été formulées par les marcheurs du 20 février et du 20 mars ? «Les syndicats sont à l'image de la société marocaine et portent depuis longtemps les revendications sociales de celle-ci», répond d'emblée Abdelhamid Fatihi, président de la Fédération démocratique du travail. Les langues se délient «Les manifestations du 20 février sont en fait une accumulation de revendications classiques telles que l'emploi, les salaires, la santé, etc. Ces revendications n'ont pas changé, elles ont juste plus d'échos», étaye Mohamed Yatim. Question échos, les syndicats sont servis. Les langues se délient et chacun y va de son action militante. «Tout le monde adhère à sa manière à l'effervescence revendicative ambiante», affirme-t-on du côté de l'UMT. Ainsi, du côté des banques, les communiqués fusent et fustigent «une situation sociale déplorable». L'Union syndicale interbancaire, affiliée à l'UMT, a donc fait part de revendications portant sur l'augmentation des salaires et des différentes primes, la baisse des taux d'intérêt sur les prêts, mais aussi sur l'accès équitable à la formation. Le Syndicat national des banques, affilié à la CDT, se distingue en formulant les mêmes revendications mais cette fois chiffrées. Autre secteur et même ferveur, la santé. Indemnisations pour la garde, l'astreinte et la responsabilité, révision du statut des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes du secteur public, amélioration des conditions de travail... les revendications ne manquent pas, tout comme les secteurs dans lesquels elles s'expriment. Cela va du textile à l'agriculture, en passant par l'audiovisuel public. Toutefois, ces actions disparates ont du mal à s'articuler de manière globale. Les syndicats vont trancher «Les revendications syndicales et ouvrières ne sont pas assez visibles lors des marches», regrette ce membre de l'UMT, qui tempère tout de même : «Les syndicats arrivent après. Leurs structures se caractérisent par une certaine lenteur. Mais au final ce sont eux qui tranchent comme on l'a vu en Tunisie et en Egypte». Un constat qui se défend puisque les syndicats, tout autant que les partis politiques, ont les moyens de concrétiser les revendications dans un cadre institutionnel. D'ailleurs, le discours royal a clairement appelé les centrales syndicales à prendre leurs responsabilités dans le chantier de la réforme constitutionnelle en relayant fidèlement les doléances du peuple et surtout en faisant des propositions concrètes. Le branle-bas de combat retentit et toutes les centrales doivent se mobiliser pour répondre aux attentes du Roi et du peuple. Les centrales syndicales ont d'ailleurs prévu des réunions de réflexion en vue d'élaborer de propositions concrètes à présenter à la commission de réforme de la Constitution. «C'est une porte qui s'ouvre et il faut s'engouffrer dans la brèche. La Constitution est un document primordial qui donne le ton à tout le reste. Nous allons défendre la retranscription d'une meilleure répartition des richesses dans son texte. Cela passe nécessairement par la séparation des pouvoirs économique et politique», conclut Mohamed Yatim. A.S Le pôle audiovisuel s'y (re)met aussi Aujourd'hui encore, les trois syndicats les plus représentés au sein du pôle audiovisuel public (UMT, CDT et FT) ne font plus qu'un. Du moins dans leur motivation à faire évoluer le produit médiatique national. Après la manifestation du 18 mars dernier, les représentants des professionnels des deux chaînes nationales se sont donné rendez-vous à 10h30 à Casablanca (2M) comme à Rabat (SNRT) pour appeler à la construction d'un «pôle public au service des citoyens, qui renforce les valeurs de modernité, de démocratie, de pluralisme et de diversité». Un slogan qui résume en quelques mots l'ensemble des revendications professionnelles retranscrites par les syndicalistes dans le cadre d'une plateforme publiée suite à la première manifestation. «Nous sommes heureux d'observer déjà quelques changements au niveau de la ligne éditoriale des chaînes, notamment à travers l'organisation des débats, mais nous n'en resterons pas là», affirme Mohamed El Wafy, secrétaire général du syndicat de 2M affilié à l'UMT. En effet, la plainte devant être déposée par l'un des membres du mouvement du 20 février à l'encontre de la chaîne de Aïn Sebaâ, pour avoir «modifié ses propos», est une preuve de certaines réticences qui subsistent encore au sein même de la chaîne. Pour El Wafy, «cette plainte s'inscrit dans le même sens de nos revendications d'une ligne éditoriale claire et professionnelle». Interview avec Abdelhamid Fatihi, Secrétaire général de la Fédération démocratique du travail. Les Echos quotidien : Le discours royal a appelé les syndicats à participer activement à la réforme constitutionnelle en alimentant le débat avec des propositions. De manière concrète, comment cela va-t-il s'implémenter ? Abdelhamid Fatihi : Nous avons reçu en milieu de semaine une correspondance du président de la commission chargée de la réforme de la Constitution, Abdeltif Menouni, nous invitant à exposer nos propositions les 6 et 7 avril prochains. Nous nous attelons en ce moment à l'élaboration d'un document à présenter à la commission et l'on suppose que toutes les autres centrales syndicales feront de même, le but étant de retranscrire en propositions concrètes les revendications des Marocains. Est-ce que vous allez ouvrir des consultations avec les syndicats en vue d'un rapprochement des points de vue qui débouche sur un consensus portant sur les propositions les plus importantes ? Nous allons essayer d'ouvrir les consultations avec les autres centrales syndicales, mais je ne vous cache pas que cela va être difficile au vu des divergences historiques. Nous allons tout de même essayer de nous concerter dans les prochaines semaines, car l'enjeu est trop important. Est-ce que vos revendications épousent celles de ceux qui sortent dans la rue ? Avez-vous des revendications spécifiques ? Nous portons ces revendications depuis longtemps et nous y adhérons et les soutenons aujourd'hui. Nous avons aussi des revendications qui nous sont propres telles que l'élargissement du champ des libertés syndicales. Vous allez participer à la réforme constitutionnelle, cela vous obligera-t-il à geler vos actions ordinaires ? Quid du dialogue social avec le gouvernement ? Les syndicats doivent continuer à remplir leur rôle et à travailler de manière ordinaire. Concernant le dialogue social, on sera bientôt en avril et, contrairement à la commission de réforme de la Constitution qui nous a contactés, nous n'avons aucune nouvelle du gouvernement. Cette absence de dialogue social est très préjudiciable.