«Circulez, il n'y a rien à voir». Telle est la réponse, à quelques nuances diplomatiques près, que l'on adresse à qui pose actuellement des questions sur l'avenir des projets implantés au Maroc grâce au concours de capitaux libyens. La grave crise politique que vit la Jamahiriya n'a-t-elle effectivement pas d'impact sur les projets maroco-libyens ? Un bon point de départ pour être fixé sur la question, est le son de cloche de l'antenne au Maroc du groupe LAFICO (Libyan Foreign Investment Company), une des plus grandes filiales du puissant fonds souverain LAP (Libya Africa Portfolio for Investments). Contacté par les Echos quotidien, le bureau de LAFICO à Casablanca a fait état d'une indisponibilité du management. Non pas qu'on se défile, mais «les administrateurs sont très pris par les réunions de travail et la gestion de plusieurs chantiers», a-t-on tenu à nous faire savoir. Même discours rassurant, en plus explicite, du côté des nationaux collaborant avec la Libye. «Les projets montés conjointement avec des groupes étrangers sont assortis de clauses qui protègent chacune des parties», rappelle un grand partenaire marocain de LAFICO. Surtout, «les fonds qui ont été investis par la Libye au Maroc sont la propriété de l'Etat libyen et n'ont pas de lien direct avec le président Mouammar Kadhafi, dont le patrimoine est aujourd'hui compromis», juge-t-il. Mais les choses ne sont pas si simples. «Les fonds d'investissement libyens sont assez opaques», explique Maud Perdriel-Vaissière, juriste au sein de l'Association Sherpa, spécialiste des crimes économiques, dans une récente interview accordée à RFI. Dans ce contexte, la situation pourrait devenir problématique pour le Maroc du fait spécifiquement de la procédure de gel des avoirs libyens enclenchée par les principaux pays européens, les Etats-Unis ou encore le Canada suite aux sanctions prises par l'ONU contre la Libye. En effet, ce gel donne généralement suite à une décision judiciaire qui enclenche la saisie d'avoirs controversés en vue de leur restitution à l'Etat libyen. Et au vu de l'enchevêtrement de la mécanique d'investissement libyenne, relaté plus haut, qui complique la distinction entre patrimoine libyen licite et illicite, il n'est pas exclu que le Maroc soit impacté d'une manière ou d'une autre par le gel des avoirs libyens et tout ce qui s'ensuit. Pour sûr, l'enjeu est conséquent pour le royaume. Sur fond d'abondantes rentrées pétrolières ces dernières années, le fonds souverain libyen LAP a hissé le Maroc au rang de terre d'accueil stratégique pour ses investissements. Les plus grands projets implantés au Maroc dans ce contexte totalisent aujourd'hui plusieurs milliards de dirhams. Ceux chapeautés par la filiale la plus célèbre du fonds souverain, LAFICO, touchent à l'hôtellerie. Positionné depuis une trentaine d'années sur la filière, à travers un partenariat avec le groupe CMKD dans l'ex-chaîne Safir, le groupe est monté en régime depuis 2008. Après avoir acquis la tour B du Twin Center, Lafico y a ouvert le Kenzi Tower Hotel pour une mise de 880 millions de DH. En partenariat avec le même groupe hôtelier, Kenzi, LAFICO détient à Marrakech le Kenzi Menara Palace, qui a nécessité un investissement de plus de 450 millions de DH. Mieux encore, l'ambition affichée ces derniers mois par le fonds libyen porte au-delà du tourisme et devrait concerner bien d'autres secteurs. Il est à rappeler en outre que LAFICO détenait encore 5,95% du capital d'ONA avant sa récente fusion-absorption par SNI. Mais tout aussi active soit-elle, LAFICO est loin de faire de l'ombre à l'autre bras armé de l'investissement libyen au Maroc, Libya Oil Holding, qui opère dans l'énergie. Celle-ci chapeaute en effet Libya Oil Maroc, issue du rachat en 2008 de Mobil Maroc, filiale d'Exxon Mobil, pesant alors 10% du marché marocain de la distribution du carburant. Dans la foulée, la filiale libyenne a également investi le secteur de la prospection en injectant plusieurs dizaines de millions de dollars pour s'implanter à Laâyoune. En outre, Libya Oil Holding collabore avec l'OCP pour la construction de trois usines de fabrication de produits dérivés des phosphates pour un investissement global d'un milliard de dollars. Dans le lot, réparties entre le Maroc et la Libye, une unité de production d'acide phosphorique, une autre pour l'ammoniac et une usine de fabrication d'engrais. Electronique, technologie d'information, industrie textile et pharmaceutique... les champs que pourraient investir la Libye au Maroc sont encore légion. Reste pour la situation politique de la Jamahiriya de se décanter. R.H Gel des avoirs, comment ça fonctionne ? Gel des avoirs... Depuis quelques semaines, l'actualité de la Libye est indissociable de ces mots. Les uns après les autres, les Etats prennent des dispositions pour geler les avoirs de la Jamahiriya. L'Italie a enclenché le mouvement ce début de mois. L'Espagne, la France, l'Allemagne ou encore l'Autriche ont suivi. Sur la sellette également, les avoirs libyens au Canada, en Australie, en Norvège, en Suisse ainsi qu'aux Etats-Unis. Dans le lot, le Trésor américain a gelé 30 milliards de dollars d'actifs appartenant à la banque centrale et les fonds souverains libyens contrôlés par Kadhafi. Derrière ce processus de gel des avoirs étrangers, une procédure complexe et ce sont les autorités politiques qui en ont décidé en priorité. En règle générale, à la décision de gel succède la saisie. Cette seconde étape nécessite une décision judiciaire mais chaque pays a son mode opératoire, en la matière. En France et en Suisse, les associations ont déposé une plainte pour enclencher le processus. En revanche, en Grande-Bretagne, c'est le bureau du procureur qui s'est chargé de cette plainte pour ouvrir l'enquête judiciaire. Quel qu'en ait été le point de départ, celui-ci s'annonce ardu dans le cas libyen. Les Etats doivent trouver les renseignements nécessaires pour déterminer le caractère licite et illicite du patrimoine libyen, ce qui représente nécessairement une difficulté dans le cas des participations enchevêtrées des multiples fonds d'investissement du pays.