Finalement, le royaume du Maroc aura sa 6e Constitution, après celles de décembre 1962, juillet 1970, mars 1972, septembre 1992 et septembre 1996. La nouvelle réforme constitutionnelle a été voulue par le peuple et décidée par le Souverain. Si elle démontre, d'un côté, le sens des responsabilités du chef de l'Etat, soucieux de répondre aux attentes des citoyens au prix de renoncements personnels à des pouvoirs séculaires mais anachroniques et, de l'autre, la grande maturité politique des Marocains et des plus jeunes d'entre eux plus particulièrement, elle révèle aussi le rôle marginal de la classe politique dans l'encadrement des citoyens et l'expression de leurs aspirations. Jusqu'à la veille du discours royal annonçant la réforme de la Constitution, les états-majors des partis politiques continuaient à tergiverser sur cette question et persistaient dans leur autisme à l'égard des exigences de leurs bases militantes. Quant au Premier ministre, celui-ci n'avait manifestement aucune intention de prendre une initiative personnelle dans cette direction et se contentait de gagner du temps dans l'attente d'un signe approbateur du Palais. Aujourd'hui, l'intention du Monarque est claire, tout aussi claire que les slogans des manifestants du 20 février. Il s'agit de donner satisfaction aux attentes des citoyens et, comme corollaire de cet objectif, de consolider le régime politique du Maroc en le transformant, en le modernisant, en le hissant au niveau des standards internationaux de démocratie. Pour cela, le Souverain a indiqué les lignes directrices de la réforme constitutionnelle et a décidé d'une méthode pour y parvenir. Concernant le fond de la réforme, les principes énoncés dans le discours royal conduisent à une meilleure répartition des pouvoirs et à la création de contre-pouvoirs, selon une triple logique: - Un rééquilibrage «vertical» des pouvoirs au sommet de l'Etat, d'une part, par le renforcement des prérogatives du Parlement (nouvelles compétences, extension du domaine de la loi, refonte de la composition et des attributions de la Chambre des conseillers) et du gouvernement (élections libres et transparentes, respect strict des résultats des urnes, Premier ministre issu du parti politique leader, chef du pouvoir exécutif et responsable de la politique gouvernementale et de l'administration publique) et, d'autre part, par la création et la constitutionnalisation d'un ensemble de contre-pouvoirs (renforcement des prérogatives du Conseil constitutionnel, consécration de la justice en qualité de pouvoir indépendant, consolidation du rôle des partis politiques et du statut de l'opposition parlementaire, consécration du rôle de la société civile et des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits de l'homme et de la protection des libertés). - Un rééquilibrage «géographique» des pouvoirs en consacrant la régionalisation dans la Constitution, en veillant aux exigences d'équilibre et de solidarité nationale entre les régions, en organisant l'élection des conseils régionaux au suffrage universel direct et en libérant leurs présidents de la tutelle exercée par les walis et gouverneurs en leur attribuant le pouvoir d'exécution des délibérations. - Un rééquilibrage «culturel» des pouvoirs à travers l'inscription de l'amazighité dans les gènes de l'identité marocaine, la consolidation de l'Etat de droit et l'élargissement du champ des libertés individuelles et collectives, la moralisation de la vie publique, ainsi que le renforcement de la participation de la femme dans la gestion des affaires régionales et l'exercice des droits politiques. Concernant la méthode de la réforme constitutionnelle, le Souverain a choisi de constituer une commission ad hoc chargée de travailler sur la révision de la Constitution suivant les principes directeurs précédemment énoncés. Cette commission présidée par un fonctionnaire de l'Etat est appelée à se concerter avec les partis politiques, les syndicats, les organisations de jeunes et les acteurs associatifs, culturels et scientifiques, avant de soumettre les résultats de ses travaux au Monarque dans un délai de trois à quatre mois. Si l'on peut s'étonner du choix de cette méthode, qui s'est fait au détriment d'une assemblée constituante composée de représentants des forces vives de la nation désignés suivant un processus électif, il est malgré tout du devoir de chaque Marocain de respecter l'union sacrée liée à un tel événement politique, de s'abstenir de faire tout procès d'intention à cette commission et de contribuer au succès de ses travaux par des propositions novatrices et audacieuses. Néanmoins, une interrogation légitime doit être posée sur le profil monolithique – professeurs universitaires de droit constitutionnel ou de science politique – des membres de la commission et une attention toute particulière doit être accordée à l'identité des responsables politiques, syndicaux et associatifs qui seront invités à présenter leurs propositions au nom des institutions qu'ils représentent. À cet égard, le président de la commission doit sortir des sentiers battus en accordant une attention toute relative aux oligarques des partis politiques, premiers responsables de la désaffection populaire à la vie politique, pour privilégier plutôt le contact direct avec les organisations de jeunesse au sein des partis politiques et avec les militants de base. Tout comme il doit accorder une écoute prioritaire au monde associatif, aux représentants de la société civile, aux intellectuels et aux universitaires, qui seuls peuvent légitimement parler au nom des 70% de Marocains qui ont sciemment refusé d'accomplir leur devoir civique par leur abstention aux élections législatives de 2007 et communales de 2009. La crédibilité des membres et des interlocuteurs de la commission sera le gage du sérieux de leur parole et, in fine, de l'acceptabilité des conclusions qui seront remises au chef de l'Etat. Chaque Marocain doit se considérer comme étant le gardien de cette crédibilité. À nous d'assumer notre responsabilité historique par notre engagement et notre vigilance ! Mohammed Benmoussa Chef d'entreprise, Ex-directeur de banque