Le Mouvement du 20 février, pris à l'époque avec peu de sérieux est devenu le sujet de discussion de tous les jours. Des citoyens lambda, aux cercles du pouvoir, en passant par les associations et organisations politiques, une seule idée leur vient à l'esprit : le changement. Changement de la constitution pour certains, véritable Etat de droit pour d'autres, ou encore un Etat au service des citoyens... les partis politiques, même ceux de l'administration, jadis appelés «partis cocote minute» du fait qu'ils étaient créés du jour au lendemain par le pouvoir, discutent de cette actualité et tentent de s'incruster au débat. À gauche, chez les formations qui ont toujours revendiqué une réforme constitutionnelle, le temps est au débat autour du «Maroc que nous voulons». Un débat qui accompagne les campagnes de protestation dans la rue qui se poursuivent à l'appel des coordinations des jeunes du 20 février, qui rassemblent, au niveau national, plus d'une vingtaine d'associations des droits de l'homme, d'organisations politiques représentant un spectre large allant des islamistes «non-institutionnalisés» à l'extrême gauche qui boycotte jusque là les élections. «C'est la première fois dans le Maroc récent, que des mobilisations d'une telle taille au Maroc rassemblent toutes ces couleurs politiques et ne parlent pas de Palestine ou de guerre d'Irak, mais du vécu quotidien des gens», explique un droit-de-l'hommiste de Rabat. «Une nouveauté qu'il faut souligner et en faire la lecture devient nécessaire». D'après lui, le mouvement est le reflet d'un malaise social, ressenti par plusieurs catégories, même la classe moyenne et faute d'encadrement politique adéquat, il se ressent dans la rue, spontanément. «Al Jazeera et les médias y sont pour quelque chose, certes mais les conditions objectives sont là», précise-t-il. Ce militant évoque la corruption qui ronge le pays, de sa gouvernance locale aux plus hautes sphères du pouvoir, de la prédation dans le monde des affaires, du non-respect des libertés politiques et civiles... Bref, la liste du ras-le-bol est longue et les jeunes du 20 février ont préféré l'exprimer en deux mots simples dans des tracts. On peut y lire «On en a marre» ou encore «Touche pas aux richesses de mon pays». Quand les intellectuels s'en mêlent ! Mercredi après-midi à Rabat, la salle de la Confédération démocratique du travail (CDT) était comble. À l'intérieur, plusieurs intervenants souhaitent apporter une idée de plus dans le débat que les jeunes du 20 février leur ont imposé. Pour le philosophe Ahmed Aassid «l'absence quasi-totale des acteurs politiques s'explique par l'absence de champs politique, car le seul acteur politique jusque là était le roi». Par aileurs, le philosophe et militant amazigh considère les grands chantiers comme une pièce de théâtre qu'on nous sert à la télévision. «L'amazighité, l'indépendance de la justice, l'enseignement, les libertés publiques, l'Etat de droit... ça n'a été réalisé que dans nos postes de télévision et non dans la réalité. Si les partis politiques ont été vidés de leur sens par le pouvoir, le 20 février est pour eux l'occasion de recouvrer leur crédibilité et leur vitalité», ajoute-t-il. De son côté, l'islamiste Mustapha Ramid estime que «le 20 février est l'annonce d'une chose nouvelle. C'est le peuple qui réclame. Avant c'était ceux qui gouvernaient qui décidaient pour nous. Maintenant c'est le peuple qui veut décider». Le député du PJD qui s'est impliqué dans le 20 février et qui a marché aux côtés des jeunes ce jour là, s'est mis tout le parti sur le dos. En effet, son parti a décidé de ne pas intégrer cette nouvelle dynamique, que son secrétaire général, Abdelihal Benkirane a qualifiée de non-sérieuse, dans une récente sortie médiatique. Pour lui, «le Parlement est une institution paralysée qu'il était sur le point de quitter. J'ai démissionné du parti, mais la direction l'a refusée. N'ayons plus peur de le dire, nous vivons en autocratie et il faut que le seul acteur politique du pays se rende compte de ce qui s'est passé en Tunisie et en Egypte. Le printemps de la démocratie en a fini avec les tabous et a cassé la barrière de la peur. Il faut que les autorités réagissent». Pour le vieux militant de gauche Ibrahim Yassine, «l'Etat n'a pas encore pris vraiment conscience du sérieux des revendications du 20 février». De son coté, le bâtonnier Abderrahmane Benameur estime qu'«il faut continuer de revendiquer de grandes réformes, une nouvelle constitution et une monarchie où le roi règne mais ne gouverne pas. Et pour ça, il faut que les manifestations et sit-in se poursuivent». Pour Benameur, c'est le seul moyen de maintenir un rapport de force. La question du débat public a été enclenchée par Abdelaziz Nouidi, quand il a évoqué la nécessité d'un débat public sur les réformes : «Les débats doivent se dérouler dans les médias publics». Pour lui, «les partis politiques qui n'ont jamais demandé de réformes et qui évoquent maintenant les réformes constitutionnelles sont en train de surfer sur la vague et ne font que chercher leur part du gâteau». Allusions faites au PAM, au Mouvement populaire et au RNI, qui ont tenu une conférence ce jour même à Rabat pour parler des «nouvelles revendications» de leurs partis. Le PPS est également concerné par les propos de Nouidi, quand Ismaïl Alaoui, son ancien secrétaire général, a déclaré dans l'émission Hiwar, qu'il fallait «renforcer les prérogatives de S.M le Roi», en réponse à si, oui ou non, le PPS va rejoindre la revendication du changement de l'article 19 à l'époque. Nouidi a également appelé à respecter le leadership des jeunes de ce mouvement. «Nous resterons derrière eux. Et il faut absolument conserver l'aspect pacifique, populaire et indépendant du mouvement. Les jeunes du 20 février et ceux qui les soutiennent, doivent se fixer des objectifs clairs et définis qui concernent le peuple marocain en entier. Et il faut que les partis comprennent que ce n'est pas le moment de la compétition, mais quand il y aura une véritable démocratie», souligne-t-il. Quant à l'économiste Fouad Abdelmoumni, il n'a pas hésité à contester l'action de la monarchie dans le monde des affaires. O.R Mamfakinch.com, le média alternatif du 20 février Quelques jours avant le 20 février, un nouveau site d'information, pas comme les autres, a vu le jour. Mamfakinch (on ne lâchera pas prise, en darija) s'est donné comme mission de couvrir aux niveaux national et international les évènements du 20 février. Démarches journalistiques adoptées par des militants, ils recoupent les informations d'après plusieurs sources dont les sources officielles. Ce collectif de journalistes-bloggueurs-activistes entend libérer l'information sur ce qui s'est passé et éviter qu'il n'y ait que le discours officiel qui circule. «On a anticipé la nature de la couverture de la MAP, par exemple, et nous sommes devenus une source fiable au niveau international, reprise par des médias internationaux de renommée», assure Mohamed Oubenal, du groupe Mamfakinch. En effet, en quelques jours, le site revendique 70.000 visiteurs par jour et il est sécurisé par des étudiants en sécurité informatique, contre toutes les éventuelles attaques. Après la couverture des évènements, Mamfakinch est passé au débat. Il lance sur sa plate forme un débat d'idée par et pour les jeunes, dans la continuité et parallèlement à ce que font les intellectuels démocrates.