Militant et universitaire, Youssef Belal nous donne un éclairage sur la scène politique nationale. Vous êtes militant de gauche, fils d'un ancien grand militant (Feu Aziz Belal)…Si l'on vous demandait ce qu'il reste de la gauche aujourd'hui ? Il faut distinguer entre trois gauches. Il est certain que depuis 1998, la gauche gouvernementale (USFP et PPS) a beaucoup déçu une grande partie des classes moyennes et populaires. Alors qu'elle était en mesure d'initier la transition démocratique au moment du gouvernement Abderrahman Youssoufi, la gauche gouvernementale n'a pas fait preuve de courage politique, et elle n'a guère laissé son empreinte sur le plan économique et social. Sa participation au gouvernement n'était plus justifiable après 2002, et elle a pris le risque d'y laisser son âme. Pour ce qui est de la gauche non gouvernementale, principalement le PSU (Parti socialiste unifié), le jugement porté sur la persistance de l'autoritarisme dans le régime marocain était juste, mais elle n'a pas été en mesure de traduire sa prise de position politique en poids social et électoral. Cependant, elle a su rester au plus près des préoccupations populaires, y compris le mouvement du 20 février. Enfin, il y a la société civile de gauche (syndicats, mouvement de droits des femmes et de droits des jeunes, associations de développement…) qui défend légitimement des revendications catégorielles et qui est restée active et ancrée dans la société. L'USFP et le PPS doivent renouer avec les deux autres composantes de la gauche, tant sur le plan doctrinal que sur le plan du positionnement politique et devraient réfléchir sérieusement à la création d'un grand parti progressiste. Comment voyez-vous les propositions des partis de la gauche en ce qui concerne la réforme de la Constitution ? Les propositions des partis de la gauche gouvernementale ont été timides, et parfois les dirigeants de ces partis ont été plus royalistes que le roi. Ainsi, certains dirigeants du PPS ont maintenu le Conseil des ministres, qui est, je vous le rappelle, présidé par le roi. Il est évident qu'une telle disposition ne correspond en rien à la pratique démocratique. Quelle est votre appréciation du rôle des jeunes des partis à la lumière des manifestations du 20 février ? L'action des jeunes de la base militante de ces partis est effectivement à saluer car ils ont constitué le noyau dur du mouvement du 20 Février. Tout en restant membres de leurs partis respectifs, ces jeunes ont investi l'espace public au nom du mouvement du 20 février en manifestant pacifiquement pour la démocratie et la fin de l'autoritarisme. Mais s'ils ont agi de la sorte, c'est parce que nombre des dirigeants de ces partis se sont coupés de leur base militante, et ne font pas de la transition vers la démocratie leur priorité politique. Les jeunes ont su écrire l'histoire du Maroc en se substituant à ces dirigeants qui n'étaient pas à la hauteur du moment. Croyez-vous que l'attentat de Marrakech aura des répercussions sur le processus de démocratisation en cours ? Il faut éviter absolument la répétition du scenario de l'après-16 mai 2003, (arrestations massives, détentions arbitraires, jugements expéditifs, centre de détention secret). L'enquête doit se dérouler dans la transparence et sous un contrôle civil et démocratique, de même que les appareils sécuritaires doivent faire l'objet d'un contrôle civil et démocratique. Enfin, rien ne doit arrêter le processus de démocratisation et la mobilisation citoyenne. La mobilisation citoyenne pacifique conforme à l'esprit du 20 février et la démocratie sont un rempart contre la violence et les dérives sécuritaires. D'aucuns parlent d'un retour en force des islamistes lors des prochaines échéances électorales. Qu'en pensez-vous ? Si les portefeuilles ministériels sont une fin en soi alors c'est la mort politique du PPS ! Sur le plan électoral, la démocratie c'est le verdict des urnes et l'alternance, et je sais que le PJD (Parti de la justice et du développement) est un parti démocratique. Je trouve même que ce serait positif que le mouvement islamique participe au gouvernement afin de mettre un terme aux fantasmes qui y sont attachés. Quelle est votre appréciation des revendications du mouvement du 20 février ? Partagez-vous ses idées ? Le mouvement du 20 février est une conscience citoyenne agissante dans l'espace public. C'est à la fois personne et tout le monde, c'est-à-dire que l'ensemble des forces vives de la societe y sont représentées. C'est un événement majeur dans l'histoire politique et sociale du Maroc. La mobilisation dans l'espace public doit continuer tout en structurant une force de proposition. Les membres du PPS sont partagés au sujet des revendications du mouvement du 20 février et du soutien à lui apporter. Pourquoi un tel clivage selon vous ? J'ai moi-même participé aux manifestations du mouvement du 20 février car je partage ses revendications. Je n'étais pas seul, puisque d'autres membres du Bureau politique du PPS et de nombreux militants du Comité central ainsi que des sections y ont participé. En réalité, le parti est divisé entre une gauche qui a soutenu le mouvement du 20 février et une droite qui ne l'a pas soutenu. Ce clivage entre la gauche et la droite du parti s'est de nouveau cristallisé lors de la réunion du Comité central le 16 avril 2011 notamment autour des revendications constitutionnelles entre ceux qui souhaitent une monarchie régnante et non gouvernante, et ceux qui veulent le simple réaménagement du système actuel. Ce clivage n'est pas propre au PPS, mais est appelé à produire des effets sur l'ensemble de la société politique. Estimez-vous que les citoyens sont suffisamment sensibilisés par rapport au prochain referendum sur la Constitution ? Une des grandes faiblesses de la Commission royale de révision de la Constitution par rapport à une Assemblée constituante est son incapacité à structurer un débat impliquant l'ensemble des citoyens. En désignant une Assemble constituante, les citoyens auraient été impliqués en amont du débat constitutionnel, et leur implication aurait été plus importante. Ceci dit, si nous voulons que les Marocaines et les Marocains soient des citoyens actifs au moment du vote sur la Constitution, il convient d'abandonner le simple vote sur l'ensemble du texte constitutionnel (la question serait «Souhaitez-vous adopter le projet constitutionnel présenté par la Commission ?») pour passer à un vote séparé sur chacune des dispositions clés du texte constitutionnel : attributions du Premier ministre, du Roi, du Parlement, de la Justice... Que pensez-vous des appels à la dissolution du gouvernement et à l'organisation d'élections anticipées ? Le Parlement actuel est loin de correspondre aux attentes démocratiques des Marocains. De nombreux élus des deux Chambres ont été élus grâce à la corruption électorale, et beaucoup se sont ralliés au PAM pour se rapprocher du Palais. Quant au gouvernement, au-delà des pratiques népotistes de plusieurs ministres, il est évident qu'il a depuis longtemps donné la preuve de son inefficacité, comme de son impopularité auprès des forces vives de notre société. Cela s'explique précisément par son caractère fantoche, car les décisions les plus importantes sont prises au Palais et dans les cercles de pouvoir proches du roi, mais sans mécanismes de contrôle et de reddition des comptes. Avec une reforme constitutionnelle timide, le risque est grand de reproduire le même système autoritaire. Propos recueillis par Mohcine Lourhzal