Si vous vous attendiez aujourd'hui à ce que je vous parle de cinéma, de films, des stars de la frime, du festival de Tanger, de ceux qui l'ont organisé, de ce qui m'a plu et de ce qui m'a dérangé, de ce qui m'a irrité ou amusé, de ce qu'on a bu et mangé, des faux critiques avec leurs piques, des vrais cinéphiles qui se font de la bile... Si vous croyiez que je vais vous en dire un peu plus sur le nombre de verres, sur la photo avec mon ami le ministre ou la nouvelle coupe de mon copain le maire, sur le palmarès de fin et la cérémonie de clôture, sur les super trophées et leur beau gosse de designer, sur les Prix et ceux qui le méritent ou ne le méritent pas, ceux qui l'ont eu à l'arraché et celles qui ne l'ont pas volé, ou même ceux qui auraient dû l'avoir, mais qui, en définitive, l'ont eu dans le baba... Vraiment, si vous espériez que grâce à moi, en ce jour de grâce du lundi 1er février, vous alliez être rassasiés, je suis désolé, mais, de tout ça, je ne vous en dirai rien même si, vous le pensez bien, je n'en pense pas moins. Si je ne vous en parle pas, ce n'est pas parce que j'ai envie de faire le beau ou l'intéressant car, vous le savez bien, je suis à la fois l'un et l'autre, mais parce que, tout simplement, je n'en ai aucune envie. Je suis écoeuré. J'ai la nausée. Oh, non! Ça n'a rien à voir avec le festival. Bien au contraire. Les gens du cinéma ont peut-être pas mal de défauts, mais, eux, au moins, ne vous plantent jamais de couteau dans le dos, sauf si c'est dans le scénario, et, en plus, c'est un faux. Non, si aujourd'hui, j'ai envie de dégueuler, c'est à cause de ce qui vient d'arriver à un journal qu'on vient honteusement de fermer parce que les têtus qui le dirigent n'ont jamais voulu calmer leurs ardeurs ni encore moins fermer leur gueule. Oui, on peut dire ce qu'on veut de ces gens-là, qu'ils sont des insolents irrespectueux et des effrontés irrévérencieux, que ce sont des donneurs de leçons incohérents et impétueux, qui dérapent ou même parfois déraillent, qu'ils ont la manie de vouloir tout dire quand tout le monde pense qu'il ne faut rien dire, qu'ils sont fréquemment vicieux et sournois et qu'ils racontent souvent n'importe quoi, tout ça est sans doute vrai, mais personne n'arrivera jamais à me convaincre que c'est parce qu'ils n'ont pas payé la sécu ou parce qu'ils doivent du fric au fisc qu'on les a mis à la porte de la sorte. Je suis peut-être naïf, mais pas idiot. Et quand je vois ces faux jetons et ces vrais voyous qui applaudissent à tout rompre et qui ricanent comme des cons qu'ils sont, et qui se réjouissent, pour ne pas dire autre chose, alors qu'on vient de couper les mains d'un de leurs confrères qui s'entêtait à n'en faire qu'à sa tête, je trouve ça minable. Pitoyable. On dira ce qu'on veut de ce canard boiteux, qu'il est prétentieux, qu'il ne voulait pas boucler son bec, que son boss est resté un taré même après avoir filé vers d'autres cieux, mais je ne pourrai jamais admettre qu'on lui coupe le sifflet parce que, tout bêtement, il danse mal ou qu'il chante faux. Ce journal qu'on veut jeter aux orties aujourd'hui, j'y ai sévi durant des mois, et je m'en suis servi pour débiter mes délires comme un fou à un moment où même le moindre sourire pouvait vous envoyer au trou. Je suis écoeuré et j'ai envie de dégueuler. Je suis paumé et j'ai l'impression que je perds mes repères. Mais, je ne vais pas me retenir de gueuler, de huer, de conspuer car je suis convaincu qu'aucune démocratie n'est viable ni crédible sans grandes gueules ni sifflets tridents.