Le 26 novembre 2009, Eugène Ionesco aurait bouclé ses 100 ans. Figure emblématique du «théâtre absurde», l'auteur dramaturge franco-roumain de «En attendant Godo», «La cantatrice chauve» et «La leçon» a marqué les années 50 par trois pièces, «Les Chaises», «Le Maître» et «L'avenir est dans les œufs». Ces trois œuvres sont gracieusement représentatives des principaux aspects de son théâtre et de ses actes: le comique et le tragique, le rêve et le cauchemar. Le 23 février prochain, le théâtre national Mohammed V fera renaître des instants de ce «théâtre en rêve». Le trio Michel Robin, Clotilde de Baysser et Jean Dautremay (orateur et metteur scène), se réapproprient les planches pour faire revivre tour à tour des sensations d'étouffement, de perte de contrôle et de cauchemar telles que réinventées par Ionesco dans un mécanisme de prolifération. Sacré coup de théâtre «Les Chaises», montée pour la première fois en 1952, est une «farce tragique au message intense, dans une mise en scène sobre et meublée». Dans cette œuvre, un couple de plus de 90 ans vit dans une maison isolée dans l'océan. Le vieux a un fantasme: parce qu'il détient un message universel, il décide de réunir des personnalités du monde entier pour le révéler. Un orateur professionnel, Jean Dautremay en l'espèce, aura la mission de traduire ses pensées. Les invités que reçoivent les deux vieux ont cette particularité d'être ce qu'ils ne sont pas. Invisibles pour le spectateur, ils sont tels des fantômes et prennent place sur des chaises qui meublent ça et là les planches. L'abondance des chaises fait un rappel à «Victimes du devoir». Montée la même année que «Les Chaises», la scène de l'œuvre se voit également remplie de tasses de café. Debout pour Les Chaises Paranoïaques, illuminés, incohérents, amoureux et contradictoires, les vieux font rire. En effet, le couple se retire et laisse l'orateur éclairer la lanterne de l'humanité. Ironie du théâtre d'Ionesco, l'orateur est sourd-muet. Son mutisme est un silence percutant, la présence du néant de la parole. L'invasion des chaises, leur présence illusoire finit par le vide, la solitude. Un langage théâtral bien propre à Ionesco. Extrait des Chaises : «Le vieux : il y avait un sentier qui conduisait à une petite place ; au milieu, une église de village... où était ce village? Tu te rappelles? La vieille : Non, mon chou, je ne sais plus. Le vieux : Comment y arrivait-on? Où est la route ? Ce lieu s'appelait, je crois, Paris... La vieille : Ça n'a jamais existé, Paris, mon petit. Le vieux : Cette ville a existé puisqu'elle s'est effondrée... C'était la ville de lumière...».