Alors que le Maroc s'urbanise à un rythme accéléré, l'OCDE dresse un diagnostic sans concession des lacunes structurelles et propose des solutions pour bâtir des villes inclusives, productives et résilientes. Avec 67,8 % de citadins attendus en 2030, le Maroc doit revoir son modèle urbain : gestion du foncier, inclusion sociale et adaptation climatique sont au cœur des recommandations de l'OCDE. Face à l'urgence climatique et sociale, le Maroc doit repenser son urbanisation : découvrez les pistes de l'OCDE pour éviter l'implosion. Le Maroc, dont la population urbaine atteindra 67,8 % d'ici 2030, incarne les paradoxes d'une urbanisation accélérée. Si les villes concentrent 80% de l'activité économique et 75% des emplois, l'OCDE pointe des lacunes structurelles qui freinent leur potentiel. «La Revue de la politique urbaine nationale du Maroc» révèle un manque de coordination, des inégalités persistantes et des risques climatiques croissants, tout en proposant une feuille de route ambitieuse pour une urbanisation inclusive et résiliente. Commençons par ce qui ne va pas. Dans ce que l'on peut qualifier d'obstacles structurels au développement urbain, l'OCDE pointe du doigt quatre éléments : le modèle économique urbain sous-optimal des villes marocaines, l'inclusion sociale en panne, les vulnérabilités environnementales et climatiques des villes marocaines, la gouvernance fragmentée et les financements insuffisants. Modèle économique urbain sous-optimal Selon l'OCDE, les villes marocaines, bien que contribuant à 80% de l'activité productive nationale, n'exploitent pas pleinement les économies d'agglomération, clés pour stimuler la productivité et l'innovation. La faible densité des échanges entre centres urbains et périphéries se traduit par un taux de navettage de seulement 10% (contre 30% dans l'OCDE), symptôme d'un déficit d'infrastructures de transport et d'une fragmentation spatiale. La gestion opaque du foncier, combinée à un secteur informel représentant 40% des emplois hors agriculture, décourage les investissements structurants. Le rapport souligne que «la rigidité des plans d'urbanisme et l'étalement urbain, alimenté par des projets opportunistes, réduisent la compétitivité». Casablanca, épicentre économique générant un tiers du PIB, incarne ces paradoxes : ses émissions de gaz à effet de serre ont triplé depuis 1970, révélant un modèle de croissance peu durable et une absence d'intégration des enjeux climatiques dans les stratégies industrielles. Inclusion sociale en panne Malgré des avancées notables, comme la réduction de 60% des bidonvilles depuis 2004, les politiques urbaines marocaines peinent à garantir un accès équitable au logement. 20% du parc urbain reste insalubre, et la hausse des loyers de 24% entre 2010 et 2019 a exclu les ménages modestes des centres-villes. L'OCDE relève que «le logement social a souvent bénéficié aux classes moyennes, faute de critères d'éligibilité clairs», exacerbant les inégalités. Une dynamique qui alimente une ségrégation socio-spatiale : 13% des citadins vivent dans des bidonvilles, tandis que 3 millions de personnes, concentrées dans les périphéries, sont économiquement vulnérables. Les jeunes et les femmes, touchés par un chômage structurel, subissent de plein fouet cette exclusion, limitant leur accès aux opportunités économiques et renforçant les fractures territoriales. Vulnérabilités environnementales et climatiques Selon l'OCDE, les villes marocaines, particulièrement exposées aux aléas climatiques, cumulent risques aigus (inondations à Casablanca et Tanger en 2021) et chroniques (stress hydrique, sécheresse). La littoralisation accélérée de l'urbanisation – 70% de la population et 90% des activités industrielles situées sur les côtes – amplifie les risques liés à la montée du niveau de la mer. Le rapport alerte sur «le manque d'intégration des risques climatiques dans les plans d'urbanisme», qui expose les quartiers informels, souvent implantés en zones inondables. Par ailleurs, le taux de recyclage des déchets (10%) et l'absence d'infrastructures dédiées à la mobilité douce (pistes cyclables, trottoirs sécurisés) aggravent la pollution atmosphérique et les émissions de CO2. Des déficits qui illustrent l'urgence d'une transition écologique intégrée, absente des stratégies urbaines actuelles. Gouvernance fragmentée et financements insuffisants Selon l'OCDE, le développement urbain marocain souffre d'une coordination défaillante entre les échelons national, régional et local, et d'une prolifération de documents de planification aux objectifs contradictoires. Les collectivités territoriales, dont les dépenses ne représentent que 3,6% du PIB (contre 5 à 10 % dans l'OCDE), manquent de moyens pour répondre aux besoins croissants en logements, transports et services publics. L'étude souligne que «les projets s'appuient souvent sur des opportunités foncières plutôt que sur une vision stratégique», favorisant un étalement urbain coûteux et inefficace. Une logique opportuniste qui, couplée à des procédures complexes et à un manque de données fiables, entrave la densification et la réhabilitation des centres-villes. Enfin, l'absence de mécanismes de financement innovants (obligations vertes, partenariats public-privé) limite la capacité d'investissement dans des infrastructures résilientes et inclusives. Les recommandations de l'OCDE Les recommandations de l'OCDE sont déclinées en quatre piliers. Le premier consiste à dynamiser l'économie urbaine : pour transformer les villes en moteurs de compétitivité, l'OCDE préconise de renforcer le rôle des métropoles, à l'image de Casablanca-Settat, en s'appuyant sur la Nouvelle Charte d'Investissement pour attirer des secteurs innovants, à l'instance des «Villes innovantes» finlandaises qui ont stimulé l'écosystème startup. La connectivité interurbaine doit être améliorée via des corridors logistiques (TGV, ports de West Med) et des transports intra-urbains massifiés, inspirés de Santiago où 50% des déplacements s'effectuent en transports collectifs. En parallèle, l'intégration des PME et des zones rurales dans les chaînes de valeur urbaines, sur le modèle polonais, combinée à une transition numérique accélérée, pourrait diversifier les économies locales et réduire les disparités territoriales. Pilier 2 : Inclusion sociale et logement abordable L'OCDE insiste sur un ciblage plus équitable des politiques de logement, en introduisant des aides modulables selon les revenus, comme au Chili, où les subventions sont ajustées en fonction des besoins réels des ménages. La priorité doit être donnée à l'aménagement d'espaces publics inclusifs – trottoirs accessibles, parcs périphériques – pour rompre l'isolement des quartiers précaires. Parallèlement, la formalisation du secteur informel passe par des incitations fiscales pour les entreprises et des programmes de formation professionnelle, visant à intégrer 40% des travailleurs actuellement exclus des protections sociales. Pilier 3 : Villes durables et résilientes La décarbonation des villes exige une généralisation des normes énergétiques strictes pour les bâtiments et une électrification des transports publics, à l'image des tramways de Rabat-Salé. Le modèle espagnol d'économie circulaire, qui a porté le recyclage à 50% dans certaines régions, pourrait inspirer une gestion des déchets plus efficace, visant un taux de 30% au Maroc. Enfin, les solutions fondées sur la nature, comme les corridors verts australiens, pourraient être déployées pour réduire les îlots de chaleur et améliorer la qualité de l'air, notamment dans les villes côtières exposées au stress thermique. Pilier 4 : Adaptation climatique Face aux risques climatiques, l'OCDE recommande une cartographie dynamique des vulnérabilités, utilisant l'IA pour modéliser les impacts des inondations ou sécheresses, à l'instar des outils développés aux Etats-Unis. Les infrastructures doivent être renforcées via des normes parasismiques inspirées d'Italie, où les bâtiments résistent aux tremblements de terre, et des réseaux d'eau «intelligents» pour optimiser l'usage dans un contexte de stress hydrique croissant. Ces mesures sont cruciales pour protéger les 70% de la population urbaine installée en zones littorales, menacée par la montée des eaux. Les conditions de réussite déclinées en cinq leviers La mise en œuvre de ces piliers exige une planification intégrée, s'appuyant sur des outils comme le National Zoning Atlas américain pour harmoniser l'usage des sols. Une coordination institutionnelle renforcée passe par la création d'une commission interministérielle, à l'image du modèle finlandais, et d'autorités métropolitaines comme celle de Rotterdam-La Haye, capables de gérer les zones urbaines fonctionnelles. Le financement innovant, via la captation de la plus-value foncière (Brésil) ou les obligations vertes (Mexico), pourrait combler l'écart actuel de 6,4% du PIB dans les dépenses urbaines. Enfin, le renforcement des capacités locales – via une Ecole des métiers de la ville et des plateformes digitales – et l'évaluation systématique des politiques, via des observatoires alignés sur les ODD, sont indispensables pour garantir transparence et efficacité. Urgence d'agir face aux mégatendances À l'approche de la Coupe du monde de football 2030, le Maroc doit transformer ses villes en leviers de convergence vers les pays à revenus élevés. «Sans une politique urbaine nationale explicite, articulant compétitivité, inclusion et résilience, le pays risque de perdre le bénéfice de son dynamisme démographique et économique», conclut le rapport de l'OCDE. L'enjeu est autant économique que social : en 2030, les villes marocaines devront loger 22 millions d'habitants, dont la moitié a moins de 25 ans. Autant dire que le temps des réformes coordonnées est venu. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO