La décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'annuler l'accord de pêche avec le Maroc bouleverse l'équilibre de l'économie bleue du Royaume. Le rapport de l'Institut marocain d'intelligence stratégique (IMIS) offre une analyse approfondie des conséquences de ce revirement et propose des pistes pour renforcer la résilience du secteur. Un coup de tonnerre s'est abattu sur l'économie bleue marocaine : l'annulation de l'accord de pêche par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) remet en question des décennies de coopération halieutique entre le Maroc et l'Union européenne. Ce revirement juridique, aux conséquences économiques et géopolitiques majeures, fragilise un secteur qui génère à l'export 2,8 milliards de dirhams par an et emploie directement 14.000 personnes. Le rapport de l'IMIS décrypte cette décision et analyse ses impacts, tout en proposant des stratégies pour préserver les acquis du Maroc dans le domaine de la pêche. Un secteur sous pression L'arrêt de la CJUE, rendu en octobre 2024, impose des restrictions sur l'étiquetage des produits issus des provinces du Sud. Cette mesure menace directement les exportations marocaines vers l'Europe, privant le Royaume d'avantages compétitifs cruciaux. L'IMIS souligne que cette décision pourrait entraîner des pertes économiques significatives, affectant la chaîne de valeur allant de la capture à la transformation des produits de la mer. Les conséquences ne se limitent pas aux seules pertes financières. L'annulation de l'accord met également en péril des milliers d'emplois directs et indirects, en particulier dans les régions du Sud où l'économie dépend fortement de l'activité halieutique. Les petites et moyennes entreprises, ainsi que les coopératives de pêcheurs, risquent de subir des chocs économiques difficiles à absorber sans un soutien institutionnel massif. Dans ce contexte, l'IMIS insiste sur la nécessité d'une réponse rapide et coordonnée. Il s'agit d'abord de compenser les pertes économiques immédiates en instaurant un Fonds spécial de transition (FST) visant à stabiliser les entreprises touchées. Parallèlement, des mesures de soutien ciblées pour les PME et les coopératives permettraient d'amortir l'impact sur l'emploi local. Le renforcement des capacités de négociation diplomatique apparaît également crucial pour défendre les intérêts marocains au sein des instances européennes et tenter de rétablir des conditions commerciales plus favorables. Négocier des solutions temporaires Face à ce défi, le rapport de l'IMIS préconise une stratégie articulée autour de deux axes complémentaires. À court terme, il est indispensable de négocier des solutions temporaires avec l'UE, visant à minimiser les perturbations pour les exportateurs marocains. Cela pourrait inclure la mise en place de mécanismes de compensation pour les pertes subies, soutenus par des partenaires internationaux. À plus long terme, l'IMIS recommande de réduire la dépendance du Maroc vis-à-vis des marchés européens en diversifiant les débouchés commerciaux. Cette diversification devrait s'appuyer sur le développement de partenariats stratégiques avec des pays d'Afrique subsaharienne, d'Asie et d'Amérique latine. L'essor de nouvelles infrastructures logistiques, la modernisation des réseaux de distribution et la promotion de produits de la mer à haute valeur ajoutée sont des leviers essentiels pour sécuriser ces nouveaux marchés. L'innovation dans les techniques de transformation, ainsi qu'une montée en gamme des produits, permettront de renforcer la compétitivité du secteur à l'international, consolidant ainsi la résilience économique du Maroc. L'économie bleue de Dakhla, un modèle à sauvegarder Malgré ces turbulences, l'économie bleue de Dakhla demeure un modèle de réussite exemplaire. En moins de deux décennies, cette région s'est imposée comme un pôle industriel majeur, grâce à des politiques volontaristes axées sur l'investissement national et la souveraineté économique. Le rapport de l'IMIS met en lumière l'importance de la gouvernance partagée entre acteurs publics et privés, condition essentielle pour assurer la durabilité de ce modèle. L'expérience de Dakhla montre que le développement des infrastructures portuaires et des capacités de transformation des produits de la mer constitue un atout majeur. L'intégration des technologies respectueuses de l'environnement et la formation continue des ressources humaines ont favorisé la résilience de cet écosystème face aux chocs externes. Toutefois, l'IMIS souligne que pour préserver cet acquis, il est nécessaire d'adopter une approche plus inclusive en impliquant activement les communautés locales dans la gestion des ressources halieutiques. La consolidation de la gouvernance participative et la promotion de l'économie sociale et solidaire renforceront l'ancrage territorial de l'économie bleue. Vers une nouvelle géostratégie maritime La crise actuelle peut également être perçue comme une opportunité pour redéfinir la stratégie maritime du Maroc. L'IMIS propose d'envisager une approche intégrée, où l'innovation technologique, la recherche scientifique et la coopération régionale jouent un rôle central. Cette réorientation stratégique permettrait de transformer les défis actuels en leviers de développement durable, en favorisant une gestion plus efficace des ressources marines. Le Maroc, fort de sa position géostratégique sur la façade atlantique, est appelé à jouer un rôle de leader régional en matière de gouvernance maritime. Cela implique le renforcement de la coopération avec les pays de l'Afrique de l'Ouest pour coordonner les politiques halieutiques et promouvoir des pratiques durables. En parallèle, le développement de partenariats scientifiques permettra d'améliorer la connaissance des écosystèmes marins et d'optimiser la gestion des pêcheries. L'élaboration d'une stratégie nationale de résilience maritime intégrant les dimensions climatiques et géopolitiques s'impose ainsi comme un impératif pour garantir la pérennité de l'économie bleue marocaine. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO