Malgré les prévisions du gouvernement d'abaisser l'impôt sur le revenu dans le Projet de Loi de finances 2025, certains fiscalistes estiment que cela n'aura pas vraiment d'impact sur l'amélioration du pouvoir d'achat, face à l'inflation. C'est le cas du Professeur Mohamed Rahj, qui parle de «réformette». Interview. Dans le Projet de Loi de finances (PLF 2025), le gouvernement prévoit de revoir les tranches d'imposition de l'IR. N'est-ce pas un manque à gagner pour les caisses de l'Etat ? Mohamed Rahj : Tout d'abord, il faut souligner qu'il est fait état d'un manque à gagner de 5 MMDH à travers les modifications de ces tranches, mais je rappelle que l'Etat va le compenser par un gain de 8 MMDH, grâce à une augmentation de la recette fiscale sur l'IR de plus de 8 MMDH. Pour l'année 2024, l'IR est censé rapporter 52,8 MMDH, mais pour l'année 2025, ce sera 60 MMDH. Donc, il n'y a pas de moins-value pour l'Etat, au contraire, le calcul est plutôt bon pour le gouvernement à travers ces modifications. Quelles sont les détails de ces modifications de l'IR dans le PLF 2025 ? Le PLF 2025, tel qu'il est présenté actuellement, prévoit une première tranche qui n'aura pas à payer d'impôts. Elle est exonérée, car soumise à un taux de 0%. Cette tranche passe de 30.000 à 40.000 DH. Mais attention, le barème proposé par l'Etat ne s'applique pas au brut, mais au salaire net imposable. Cela dit, on a maintenu les mêmes types d'imposition comme dans l'ancien barème qui, je le rappelle, date de 2010. Donc, cela fait 14 ans que l'on n'a changé ni les taux, ni les tranches d'imposition. Pour ce qui est des autres tranches, on note un taux d'imposition de 20% pour la tranche comprise entre 60.000 et 80.000 DH et de 30% pour celle de 80.000 à 100.000 DH. Au-delà de 180.000 DH, on va appliquer un taux de 35%. Là, le gouvernement a réduit le taux de 1 point, sauf qu'il nous avait promis que les taux intermédiaires de 10%, 20% et 30% seraient également revus à la baisse. Malheureusement, ces taux ont été maintenus. Donc, le seul point positif, c'est la tranche d'exonération qui va jusqu'à 40.000 DH par an. En détails, comment le simple salarié peut-il faire ce calcul, ou savoir à quoi s'attendre avec ces nouvelles dispositions fiscales ? Je rappelle que c'est le salaire net imposable qui est concerné. Par exemple, quelqu'un qui a un salaire net imposable de 9.000 DH par mois, si on applique le barème en vigueur en 2024, l'impôt serait de 1.626 DH. Si les propositions du gouvernement dans le PLF 2025 sont adoptées par le Parlement, le montant nouveau de l'impôt sera de 1.226 DH. Ce qui donne une économie d'impôt de 400 DH. Donc, un employé dont le salaire net imposable est de 9.000 DH va gagner 400 DH mensuels sur son salaire. Il est aussi question d'élargir le champ d'application de l'IR, notamment à de nouvelles catégories de contribuables... Il y a les influenceurs et les blogueurs. En l'absence d'un texte juridique qui réglemente leur profession, ce sont quand même des gens qui exercent une activité qui génère des revenus, et ces revenus doivent être soumis à l'IR. Parallèlement, il y a des gens qui font des paris via des jeux comme le tiercé, le loto, la loterie nationale, les casinos, notamment virtuels. Et ces gains ne sont actuellement pas compris sur la base d'imposition. On leur prélève à la source quelques taxes et quelques taxes parafiscales. Désormais, à partir de l'année prochaine, toutes les personnes qui réalisent des gains de jeux seront soumises à l'IR. Et les organismes payeurs seront dans l'obligation de retenir à la source un impôt de 30%. Je pense que c'est une bonne chose pour élargir l'assiette fiscale, car ce sont des gains exceptionnels, contrairement aux salaires qui sont soumis à des impositions. Cela rentre dans le cadre de l'équité et de la justice fiscale. Comment l'Etat va-t-il pouvoir récupérer les fonds lorsqu'il s'agit de jeux opérés avec des opérateurs basés à l'étranger ? Si les gains de jeux sont distribués (sur le plan technique) sur le territoire marocain, il n'y aura pas de problème. Les organismes qui s'occupent de ces jeux seront tenus obligatoirement de retenir à la source cet impôt au taux de 30% libératoire. Mais le risque, c'est lorsqu'il s'agit de jeux gérés depuis l'étranger. Là, le texte prévoit que ce sont les banques et les organismes financiers qui reçoivent le transfert d'argent, qui seraient invités à retenir 30% de l'impôt. L'essentiel, c'est que l'assiette de l'impôt sur le revenu s'élargisse avec ces revenus provenant des gains sur les jeux. Je rappelle que les revenus classiques auxquels ceux-ci viennent s'ajouter sont les revenus professionnels (salaires) et les revenus agricoles ainsi que les revenus mobiliers et fonciers. Selon-vous, s'agit-il d'avancées importantes ou plutôt de réformes peu audacieuses ? Le Projet de Loi de finances 2025 accorde un certain intérêt à l'impôt sur le revenu. Mais c'est un processus qui a commencé en 2023, avec le changement des taux d'imposition relatifs à l'impôt sur les sociétés. En 2024, c'était la réforme de la TVA, essentiellement, à travers les taux d'imposition et quelques produits en termes d'exonération. L'année 2025, comme on nous l'avait promis, par le passé, serait consacrée à l'impôt sur le revenu. Des avancées sont donc attendues, mais nous sommes vraiment en deçà des attentes exprimées dans les recommandations des dernières assises de Skhirat. Contrairement à ce que l'on avait promis l'année dernière, au titre des réformes, je vois personnellement, que comme l'IS et la TVA, on assiste à une «réformette», avec la modification de quelques taux d'imposition et des tranches. Est-ce que cette révision de l'IR aura un impact sur le pouvoir d'achat des citoyens face à l'inflation ? Personnellement, je ne le pense pas. La faible baisse de l'IR ne va pas améliorer le pouvoir d'achat des citoyens. Parce que les barèmes de l'impôt remontent à 2010. Cela fait 14 ans déjà. Si on prend le cumul du taux d'inflation de 2010 à 2025, cela va dépasser largement le taux d'augmentation des revenus tel qu'il est proposé dans le PLF 2025. Les gains que les salariés du public et du privé vont gagner, c'est entre 1% et 4% seulement. Donc, cela n'est pas suffisant pour un rattrapage du pouvoir d'achat, surtout pour la catégorie de la classe moyenne, laquelle constitue l'essentiel de la population au Maroc. J'aurais souhaité que les réductions de taux soient plus sensibles. Il aurait été mieux de réduire les taux. Abdellah Benahmed / Les Inspirations ECO