Le démantèlement de la cession légale poursuit lentement mais sûrement son chemin. Ce processus, entamé depuis 2006, vise la suppression de la «rente» versée par chaque compagnie d'assurance à la SCR (Société centrale de réassurance), filiale de la CDG. Ainsi, 10% de chaque prime était concédé au réassureur national. En effet, après le transport public des voyageurs, la cession légale vient d'être abandonnée pour le transport maritime et l'aviation, ainsi que les responsabilités civiles correspondantes, et ce depuis le début du mois courant. Il faut dire que la suppression de la cession avait déjà commencé en 2007, à la suite des accords de libre-échange avec les Etats-Unis. «C'était un point crucial au niveau des échanges de services financiers, et qui était déjà à l'ordre du jour de la SCR», indique un professionnel. L'accord prévoyait la suppression de la cession dans un délai de 8 ans. Le démantèlement devrait donc se poursuivre jusqu'en 2012. Il y a quelques années, la suppression de la cession légale avait soulevé beaucoup de craintes par rapport à l'impact sur le chiffre d'affaires de la SCR. «A l'époque, on avait évalué une baisse de 60% du CA de la SCR», commente un assureur. L'une des options qui se présentait pour remplacer la manne de la cession légale était le développement à l'international. À ce niveau, c'est plutôt l'optimisme qui prime, l'activité du réassureur étant bien évaluée à l'extérieur. En effet, la SCR a dirigé la Fédération afro-asiatique des compagnies d'assurance et de réassurance, tout comme elle est membre permanent du comité exécutif de l'Organisation africaine des assurances. En outre, le top management reste assez confiant quant aux perspectives d'avenir (cf Interview ci-contre). 2012, la deadline Le réassureur a également la possibilité de contrecarrer les effets de l'après cession-légale en prenant en charge le risque de catastrophe naturelle. À ce propos, une étude préparatoire avait été lancée en 1998, pour aboutir à un ouvrage collectif, ainsi qu'à un projet de loi toujours dans les tiroirs du Secrétariat général du gouvernement. La mise en place d'une couverture pour risque catastrophique devrait permettre des rentrées d'argent de 400 à 500 millions de DH, ce qui devrait pallier les 150 millions de DH qui sortiront de l'escarcelle de la SCR, suite à la poursuite du démantèlement de la cession légale. À propos de celle-ci, le réassureur a abattu beaucoup de travail depuis pas mal de temps, notamment en ce qui concerne le segment vie. L'année 2008 a vu la suppression de la cession sur l'assurance-maladie et, depuis le premier janvier 2009, il y a eu celle sur la responsabilité civile. «Nous avons facilité les choses à tous les intervenants dans ce domaine, puisque la cession légale engrangeait le déficit de ce secteur. Et nous avons donné les couvertures idoines pour les deux compagnies de la place, à savoir la CAT et la MATU» commente -t-on au sein de la SCR. Zones à risque Si le projet de couverture des risques de catastrophes tient la SCR à cœur, ce n'est pas sans raison. En cas de catastrophe s'accompagnant de dégâts matériels, les dispositifs d'indemnisation sont encore minimes. Sans compter que la position géographique du Maroc le place en effet dans une zone sensible en matière de secousses telluriques. Qui ne se souvient pas du tremblement de terre d'Agadir, celui plus récent dans la région d'Al Hoceima, ou tout simplement des frayeurs nocturnes occasionnées il n'y a même pas un mois par un séisme marin ...au large du Portugal ! Le département des Sciences de la terre à la faculté des sciences de Rabat avait déjà mis en garde contre ces risques, tout en déplorant le manque de système d'alerte. L'existence de quelques 400 zones à risque d'inondations, de tremblements de terre et de «tsunami» au Maroc a été avancée. L'un des risques les plus dangereux reste le glissement d'une partie d'un volcan en activité dans les îles Canaries. Un affaissement qui provoquerait, selon des simulations réalisées par une équipe de chercheurs anglais, marocains, espagnols et français, des vagues géantes qui atteindraient les côtes marocaines en moins de 30 minutes. Les eaux pourraient gagner plus de 12 km sur la terre. Ceci étant, selon les spécialistes, le Maroc demeure un pays à sismicité modérée ou à risque moyen, comme l'Espagne ou le Portugal. Néanmoins, la vulnérabilité des structures est différente d'un pays à l'autre, et dépend en grande partie de la qualité des constructions. Un code de construction parasismique a été publié il y a quelques années mais, de l'avis des spécialistes, «c'est un minimum à respecter». Ces derniers estiment que le royaume enregistre près de 1.000 chocs non ressentis par an, avec trois ou quatre d'entre eux ressentis un peu partout au Maroc. « Nous préparons l'après-cession légale depuis une dizaine d'années »:Ahmed Zinoun, administrateur directeur général de la SCR Les Echos : On a beaucoup parlé de cession légale ces derniers jours. Quels sont les principaux changements survenus récemment ? Ahmed Zinoun : J'aimerais lever un certain nombre d'ambiguïtés, s'agissant de la cession légale. La suppression de la cession légale a, pratiquement, débuté il y a trois ans. Ce n'est pas quelque chose de nouveau pour nous. Cette suppression est maîtrisée et programmée en concertation avec les instances supérieures de la SCR, le ministère des Finances et la Fédération marocaine des compagnies d'assurances. Nous avons commencé depuis pas mal de temps avec le segment Vie. Vous savez, même la SCR avait demandé dans le temps à ce que la partie épargne soit supprimée de la cession légale, pour la simple raison qu'il n'y a pas de risque là-dedans, mais aussi pour être en phase avec la demande du secteur des assurances. Je tiens à souligner une chose : même si la SCR perd effectivement une partie importante des primes, il ne faut pas oublier qu'au niveau de l'acte d'assurance ou de réassurance, il y a la prime et il y a le volet sinistre également. La SCR ne recevait pas uniquement les primes, mais réglait également les sinistres. Et, lorsque l'on fait le bilan sinistre-prime, on s'aperçoit que pour certaines compagnies, la SCR a globalement consolidé la position du marché marocain des assurances. D'autre part, même lorsqu'il y a suppression de la cession légale, tous les intervenants au niveau de l'assurance et de la réassurance du risque aviation s'adressent à la SCR, pour plusieurs raisons. Je cite, entre autres, la proximité et la présence d'équipes professionnelles qui gèrent l'aviation, qui maîtrisent le domaine et qui connaissent les autres acteurs de la réassurance du risque aviation. Pour ces raisons, les acteurs marocains ont estimé qu'il valait mieux compter la SCR comme partenaire. Par ailleurs, nous gérons également le pôle aviation de la fédération des compagnies d'assurance et de réassurance d'Asie et d'Afrique. Nous avons donc pratiquement 500 avions qui sont gérés par les équipes de la SCR pour le compte de ces compagnies d'assurance et de réassurance. Idem pour le risque maritime où la SCR est présente en force. À combien s'élève le manque à gagner pour la SCR, suite à la suppression de la cession légale ? Je ne dirai pas qu'il s'agit d'un manque à gagner. En termes de primes, nous avons près de 150 millions de DH en moins pour ce qui est de l'aviation et du maritime, mais nous les avons récupérés au niveau du conventionnel. Donc, il n'y a pas de pertes. Pour les autres branches, s'il y a perte de la prime, nous gagnons en termes de profitabilité, puisque la cession légale était déficitaire. Ce qui fait que la rentabilité technique de la SCR s'améliore. Par conséquent, nous réalisons une meilleure rentabilité en matière de distribution de dividendes aux actionnaires et de participation de l'Etat au bénéfice net. À ce niveau, l'Etat est présent de deux manières : il récupère l'impôt sur les sociétés (37,5%) et 50% du bénéfice net que lui verse la SCR. Tout le monde est gagnant dans l'affaire. La SCR s'est donc bien préparée pour la période d'après cession légale ? Nous préparons l'après cession légale depuis pratiquement une dizaine d'années. Pour remplacer les primes dérivant de la cession légale, la SCR a établi un plan stratégique réparti en trois missions. Elles ont pour but de faire de la SCR le réassureur régional de référence qui intervient en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Nous comptons en parallèle garder la place de leader sur le marché marocain. Les compagnies marocaines le constatent, nous sommes là en cas de difficulté, même si elles ont une fenêtre ouverte vers les réassureurs internationaux. D'ailleurs, la part réassurée chez nous est de 70% globalement. Nous avons, en outre, une mission d'intérêt général, qui consiste à assurer les couvertures dont le pays a besoin. L'avenir est devant nous. «Un projet qui nous tient à cœur» L'étude sur les couvertures de risques catastrophiques a été lancée en 1998, mais il fallait l'affiner par la suite. Selon Zinoun, des benchmarks ont été effectués au niveau de plusieurs pays « avec un balayage de l'ensemble des expériences, du Japon à la Californie ». Cela a donné naissance à un projet de loi, affiné ensuite par la DAPS (Direction des assurances et de la prévoyance sociale), et depuis, chez le secrétariat général du gouvernement. Outre le volet catastrophe naturelle, le projet comprend également la couverture du risque terroriste. «Lorsqu'un investisseur étranger vient chez nous, il demande souvent si on a une couverture en la matière», commente Zinoun. Et d'ajouter qu'«une fois la loi adoptée, elle permettrait à notre pays de se prendre en charge, au lieu de toujours compter sur l'aide internationale en cas de catastrophe, ou bien d'impliquer le Trésor public dans l'indemnisation des sinistrés». Le risque sera supporté principalement par la SCR, par des réassureurs partenaires internationaux, et in fine, en cas de besoin, par l'Etat marocain, en dernier recours.