Vingt ans après s'en être séparé, Boeing va racheter son sous-traitant Spirit AeroSystems, accablé par des problèmes de production, mais une partie des activités sera reprise par Airbus, ont annoncé lundi les deux grands concurrents de l'aéronautique mondiale. Côté Boeing, la transaction se fera entièrement en actions, au prix de 37,25 dollars par titre, valorisant Spirit AeroSystems à 4,7 milliards de dollars. En incluant la dette de Spirit, l'opération est chiffrée à 8,3 milliards, a expliqué le constructeur américain dans un communiqué. Boeing représente de loin le plus important client de Spirit, dont les revenus provenaient à 60% de l'avionneur en 2022, dont des fuselages. Mais l'équipementier constitue aussi un fournisseur stratégique d'Airbus, pour lequel il produit notamment des éléments d'ailes. Dans un communiqué lundi, l'avionneur européen a indiqué avoir «conclu un accord contraignant avec Spirit AeroSystems portant sur l'acquisition potentielle d'activités majeures liées à Airbus». «Nous pensons que cet accord est dans le meilleur intérêt des voyageurs, de nos clients, des employés de Spirit et Boeing, de nos actionnaires et de notre pays plus généralement», a déclaré Dave Calhoun, le patron de Boeing, cité dans le communiqué de son entreprise. Boeing et Spirit AeroSystems avaient confirmé début mars des discussions préliminaires en vue de ce remariage. Spirit AeroSystems est en effet issu de plusieurs de ses activités regroupées dans une entreprise indépendante. Spirit AeroSystems et Boeing sont sous surveillance depuis qu'une porte-bouchon de la carlingue d'un Boeing 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines s'est décroché en plein vol le 5 janvier. Turbulences Le 4 mars, l'Agence américaine de l'aviation (FAA) avait indiqué que des «problèmes de non-conformité dans le processus de contrôle de fabrication, la manipulation et le stockage des pièces détachées et le contrôle de la production» avaient été repérés chez Boeing et Spirit AeroSystems. Trois des quatre familles d'avions commerciaux actuellement fabriqués par Boeing sont visés par des enquêtes de la FAA pour des problèmes de qualité: le 737, le 777 et le 787 Dreamliner. L'acquisition envisagée par Airbus, soumise à un processus de diligence raisonnable de l'équipementier en difficulté, porterait sur des «activités majeures liées à Airbus», selon le groupe européen. Elle concernerait notamment la production de sections de fuselage de l'A350 située à Kinston (Caroline du Nord) et à Saint-Nazaire (France), des ailes et du fuselage central de l'A220 à Belfast (Irlande du Nord) et à Casablanca, ainsi que des pylônes de l'A220 à Wichita (Kansas). «Avec cet accord, Airbus entend assurer la stabilité de l'approvisionnement de ses programmes d'avions commerciaux grâce à une évolution plus durable, tant sur le plan opérationnel que financier, des différents lots de travaux d'Airbus dont Spirit AeroSystems est aujourd'hui responsable». Lancé dans une politique d'externalisation pour ne conserver que l'assemblage final des avions, Boeing s'était séparé en 2005 de son usine de Wichita (Kansas), spécialisée dans les aérostructures, donnant naissance à Spirit AeroSystems. La société a depuis diversifié ses clients et grossi à coups d'acquisitions. Mais ses difficultés ont conduit Boeing à annoncer début mars qu'il envisageait de réintégrer Spirit. Il était impensable pour Airbus que son principal concurrent devienne l'un de ses fournisseurs stratégiques. Le président exécutif d'Airbus Guillaume Faury avait ainsi confié fin avril suivre «de près» la situation. «Nous ne voulons pas que des lots de travail importants soient fournis par notre principal et seul concurrent», avait-il souligné. Un important fournisseur pour les avions commerciaux Sur les 6,05 milliards de dollars de chiffre d'affaires réalisés en 2023 par Spirit AeroSystems, 70% provenaient de Boeing, environ 23% de son concurrent européen Airbus et le solde d'autres clients (Lockheed Martin, Northrop Grumman, Bombardier, Rolls-Royce), y compris du gouvernement américain pour des équipements militaires. La société, qui a accusé une perte nette de 616 millions en 2023, est organisée en trois branches: Commercial (4,88 milliards de chiffre d'affaires), Défense et Espace (789 millions), et Après-Marché (maintenance, pièces détachées, services…: 374 millions). À fin 2023, son carnet de commandes atteignait près de 50 milliards de dollars, dont 55% liés au 737 de Boeing et environ 11% à l'A320 d'Airbus. Spirit AeroSystems a vu le jour en 2005, lorsque Boeing a décidé de regrouper ses activités installées à Wichita (son siège, Kansas), Tulsa et McAlester (Oklahoma) dans une entreprise indépendante. Grâce à l'acquisition en avril 2006 de BAE Aerostructures, la société récupère des contrats avec Airbus qui vont encore augmenter après le rachat en octobre 2020 d'actifs de l'avionneur Bombardier en Irlande du Nord et au Maroc. «Nous sommes actuellement l'unique fournisseur de presque tous les produits que nous vendons à Boeing et à Airbus», précise le groupe dans son dernier rapport annuel. Il fabrique notamment des fuselages pour le 737 de Boeing et des structures pour son 787 Dreamliner, ainsi que des éléments pour ses deux autres avions commerciaux (767 et 777). Spirit Aerosystems est également un fournisseur important d'éléments d'ailes pour la famille de l'A320 et pour l'A220 d'Airbus et il fabrique également des pièces pour l'A330 et l'A350. À fin 2023, il produisait sur onze sites : six aux Etats-Unis, deux au Royaume-Uni, un en Malaisie, en France et au Maroc. Pat Shanahan, qui a travaillé plus de trente ans chez Boeing et a été ministre de la Défense par intérim en 2019, est entré à son conseil en 2021 et en a pris les commandes en septembre 2023 pour tenter de remédier aux problèmes de production et de contrôle qualité. Cotée à la Bourse de New York (NYSE), la société employait 20.655 personnes à fin 2023, dont 14.780 aux Etats-Unis (12.590 à Wichita). Sami Nemli Avec Agence / Les Inspirations ECO