Il ne fait pas toujours bon d'être au gouvernement. Aujourd'hui, on est ministre, on est bien, on est puissant, on est fier, on fait le beau, on regarde les gens d'en haut, et puis, du jour au lendemain, on peut se retrouver comme un moins que rien. Oui, parce que rien sait et a toujours su qu'il n'est rien d'autre que rien. Alors qu'un ministre, lui, il croit qu'il est et qu'il sera toujours quelque chose. Parce qu'on l'a placé un jour, il croit que c'est un bon placement. Une valeur sûre. Eternelle. Tu parles! Ici comme ailleurs, ministre n'a jamais été un métier ni une carrière d'avenir. Dès que vous mettez votre pied pour la première fois dans votre bureau de ministre, il faut vous mettre dans la tête que, tôt ou tard, vous allez le faire, pour la dernière fois, dans le sens contraire. C'est vrai, on a un certain pouvoir, dont d'ailleurs une bonne partie est illusoire, mais on doit savoir que ce pouvoir est terriblement provisoire. On a un emploi, certes bien vu, bien rémunéré, très envié, très en vue, mais quel qu'en soit le titre et quelle qu'en soit la durée, ça reste un emploi fatalement temporaire. Ce n'est même pas un CDD, c'est un CDA – un Contrat à Durée Aléatoire. Dans les CDD, on sait au moins, et dès le début, à quoi s'en tenir. On ne vous raconte pas de bobards. On vous propose un boulot, parfois même un très bon boulot, mais on vous prévient tout de suite qu'il ne faut pas que vous vous y attachiez trop. C'est du provisoire. Vous cherchiez un travail, ils cherchaient un travailleur. Ils ne vous rendent pas un service, ils ont besoin de vous, et vous restez ensemble le temps de ce besoin. Après, ils vous disent au revoir en pensant souvent adieu. C'est clair et net. Chacun respecte son contrat et la séparation, hélas, fait partie intégrante de ce contrat. Par contre, dans le CDA, le pauvre ministre, lui, d'abord, n'a aucun contrat, mais, en plus, il n'a aucune idée de la durée de son mandat, lequel mandat, soit dit en passant, n'est pas une panacée. Il y a bien mieux ailleurs, mais, ailleurs, on ne vous appelle pas Monsieur le ministre – ou Madame la ministre - et on ne fait pas des courbettes à votre passage. En plus, c'est vrai aussi, quand vous êtes ministre et que vous passez dans votre limousine avec chauffeur, vitres teintées et tout et tout, ça en jette un max! Que ce soit le gendarme du coin ou le flic du rond-point, c'est systématiquement le garde à vous ou bien gare à eux! Mais, dès le jour où on vous remercie pour mission – temporaire – accomplie, où l'on vous congédie pour faute avérée ou imaginaire, vous n'avez plus qu'un seul droit : plier bagage dare-dare et vous taire jusqu'à la disparition de la Terre. Bien sûr, on va continuer, pour vous soutenir ou vous taquiner, de vous appeler, le sourire en coin, Monsieur le ministre – ou Madame la ministre - mais vous, dès le moment où le pouvoir n'est plus là, le cœur n'y est plus. La foi non plus. Parfois même l'envie de vivre vous quitte à jamais. (Si, si, j'en ai même connu qui ont perdu carrément les boules). Alors, pour passer le temps, ou parce que vous êtes persuadé que ceux que vous avez servis ne sont pas si ingrats que ça, vous gardez vos mains tremblantes sur votre portable ministériel que vous avez gardé par mégarde, guettant un appel salutaire qui, la plupart du temps, ne viendra jamais. Que c'est triste, la vie d'un ex-ministre! Mon Dieu, si vous m'aimez bien, faites qu'on ne m'appelle jamais! (Je dois vous préciser que ce texte est tout à fait imaginaire et que toute ressemblance etc. etc.)