À travers cet entretien, Samir Rachidi, directeur général de l'IRESEN, revient sur les enjeux et surtout les perspectives qu'offre le développement de l'hydrogène vert et ses dérivés, en particulier à l'issue de l'activation de l'offre Maroc. Une première réunion a été tenue pour l'activation de l'offre Maroc en termes d'hydrogène vert. Quel regard portez-vous sur les contours de cette offre ? Suite aux instructions royales déjà émises portant sur la nécessité de positionner le Maroc sur le développement de la filière émergente de l'hydrogène vert et ses dérivés à travers l'élaboration d'une «Offre Maroc» opérationnelle et incitative, le gouvernement devrait dans un premier temps baliser le terrain pour la consolidation des investissements nationaux et étrangers en vue d'assurer le développement de cette filière à fort potentiel. Idéalement, cette offre Maroc sera un véritable point de départ qui devrait permettre d'exposer les atouts du Royaume, notamment en matière de facteurs naturels et industriels, mais aussi, de mobilisation des infrastructures nécessaires pour le développement de la chaîne de valeur de l'hydrogène vert et ses dérivés. Il s'agit aussi de mettre en place les mesures qui vont accompagner le déploiement de cette offre au niveau des régions, mais aussi, les actions qui vont pallier le manque qu'on peut constater à travers certains aspects, en capitalisant sur le développement du solaire, l'éolien et le dessalement de l'eau de mer grâce aux deux principales façades maritimes dont dispose le Maroc. Par contre, il faudra également fournir des efforts en matière d'infrastructure logistique, y compris portuaire et gazière, pour pouvoir transporter l'hydrogène vert sous sa forme de gaz et ses autres dérivés, tels que l'ammoniac, le méthanol et les carburants synthétiques. Comment l'IRESEN œuvre-t-il pour la promotion de l'hydrogène vert et ses dérivés en tant qu'énergie propre ? À partir de 2017, l'IRESEN a commencé à s'intéresser à cette thématique suite à plusieurs sollicitations de nos partenaires internationaux. En effet, la baisse du prix, à partir de 2014, de l'électricité provenant du renouvelable, notamment du solaire et de l'éolien, a donné des idées à des think tank pour réfléchir à produire cette hydrogène verte à la place des procédés classiques à base de gaz naturel ou à partir de sources fossiles afin de produire de l'hydrogène. L'idée tout simplement était de transformer cette compétitivité de l'électricité renouvelable en une force industrielle à travers la production des matières premières. De ce fait, à travers nos réseaux, nous avons collecté cette information tout en initiant une réflexion au sein de notre pays avec plusieurs acteurs. En collaboration avec le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, nous avons ainsi coordonné avec l'ensemble des parties prenantes l'élaboration de la feuille de route nationale et les études préliminaires qui ont permis la rédaction de ce document. Publié en 2021, il a fait du Maroc le premier pays africain et arabe qui a émis une feuille de route dédiée spécialement au développement de l'hydrogène vert et ses dérivés. Ensuite, avec d'autres acteurs tels que le groupe OCP, une première usine à l'échelle du méga watt de production d'ammoniac a été réalisée. Le développement de ce concept s'est poursuivi avec l'université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) autour d'un concept beaucoup plus global, allusion faite à la plateforme technologique Green H2A qui est l'équivalent de ce qu'on a fait à Benguerir. Cette plateforme s'intéresse aux innovations de l'hydrogène vert et ses applications. Pour le secteur privé, nous travaillons avec plusieurs entreprises, notamment Nareva, à propos de réflexions initiales sur le déploiement de Power-to-X au sein du secteur d'activité de cette entreprise pour se diversifier dans ce domaine. Parallèlement, on a contribué à la création du cluster de l'hydrogène vert Green H2 qui en train de structurer l'écosystème industriel de l'hydrogène vert pour préparer sa sous-traitance au Maroc. Le Maroc souffre d'un problème structurel d'eau. Comment concilier la production de l'hydrogène vert et ses dérivés avec la rareté d'eau et le développement de dessalement de mer ? Comme vous le savez, pour la production de l'hydrogène vert, on a besoin d'eau sachant bien que le Maroc souffre d'un déficit hydrique structurel. C'est la raison pour laquelle l'idée est de passer exclusivement par le dessalement de l'eau de mer en capitalisant sur le développement actuel des stations de dessalement de l'eau de mer destinés à l'eau potable et l'irrigation sur les deux façades maritimes dont dispose le Maroc. C'est l'un des points forts sur lesquels le Royaume peut tabler pour le développement de sa chaîne de valeur en matière de production de l'hydrogène vert et ses dérivés. L'autre point est non des moindres, c'est la quantité d'eau nécessaire à la production de l'hydrogène vert sur laquelle les développeurs privés, dans le cadre de partenariats public-privé, doivent s'atteler pour produire également de l'eau potable et agricole en faveur des communautés locales où ses projets seront développés. Quel est l'impact du recours de l'hydrogène et ses dérivés sur les autres types d'énergie, y compris solaires et éoliennes ? Le déploiement futur des usines d'hydrogène vert et ses dérivés vont renforcer le développement des énergies renouvelables, y compris le solaire et l'éolien, puisque le besoin est de combiner les deux énergies pour avoir le meilleur coût compétitif en matière de production d'hydrogène vert. Pour produire exclusivement de l'hydrogène vert, un mégawatt ou un gigawatt en matière de capacité d'électrolyse nécessite quasiment le double pour la partie des énergies renouvelables. D'une manière linéaire, pour installer des électrolyses pour la production de l'hydrogène vert, il faut installer deux fois du renouvelable, d'où le potentiel en amont qu'offre ce volet pour le développement du marché et des projets en matière de panneaux solaires et pales éoliennes. Il y a un aspect très important, c'est celui de l'intégration locale et la création de la valeur industrielle. Le développement de la filière de l'hydrogène vert et ses dérivés passent impérativement par une offre régionale dédiée. Est-elle suffisamment développée ? Au Maroc, il y a quatre régions qui peuvent avoir un avantage compétitif pour se positionner sur cette question. Il s'agit de l'Oriental – dont on ne parle pas beaucoup -, ainsi que des régions de Laâyoune-Sakia El Hamra, Dakhla-Oued Eddahab et Guelmim-Oued Noun. Cette dernière est un peu avancée par rapport aux autres puisqu'elle a été sollicitée très tôt par plusieurs investisseurs. Les autres régions sont également en train de se positionner doucement, mais sûrement, sur ce créneau, notamment celle de Dakhla qui dispose du meilleur site au monde, compétitif et à bas coût, pour la production de l'hydrogène vert. Yassine Saber / Les Inspirations ECO