Les besoins en expertise et en accompagnement dans le domaine de l'optimisation énergétique sont énormes. Différents types de profils se reconvertissent pour devenir des consultants. Le créneau n'étant pas encadré, les risques encourus par les entreprises peuvent être importants Les cabinets et bureaux d'études spécialisés dans l'optimisation énergétique prennent d'assaut le marché. Pourtant, il y a encore quelque temps, personne ne connaissait leur existence. Aujourd'hui, rien que dans le cadre des audits énergétiques sectoriels que mène l'ADEREE, selon son Directeur général Saïd Mouline, 17 cabinets conseils et bureaux d'études sont répertoriés. Certains sont marocains, d'autres des consultants qui ont accouru de l'étranger, car ils ont flairé la bonne affaire. Les 17 cabinets répertoriés et validés par l'ADEREE sont ceux qui, selon les critères de l'Agence, disposent de l'expertise nécessaire pour soumissionner aux appels d'offres du Programme national d'efficacité énergétique. Cependant, en dehors de ces prestataires «agréés», plusieurs autres cabinets ont vu le jour, et à défaut de pouvoir participer aux appels d'offres du Programme national d'efficacité énergétique, s'attaquent directement au segment des entreprises, notamment les PME. La concurrence commence déjà à battre son plein. Reconversion massive Les profils de ces cabinets conseils en optimisation d'énergie sont variés, mais la plupart sont le fruit d'une reconversion. Dans le lot de ce nouveau type de consultants, on peut retrouver des ex-employés d'ONG œuvrant dans le domaine du développement durable à l'électricien d'usine, en passant par l'ex- ingénieur commercial d'appareils électriques. Chose plus ou moins normale d'ailleurs, car, lorsqu'on consulte les offres d'emplois des cabinets structurés, comme Rio par exemple, ce sont ces types de profil qu'ils cherchent à recruter pour constituer leurs équipes de consultants. Toutefois, dans la dynamique actuelle et face à la montée en puissance soudaine de la concurrence occasionnée par la «ruée» de consultants sur le créneau de l'optimisation énergétique, les offres se font de plus en plus alléchantes. Comme dans le cost killing traditionnel, chaque cabinet et consultant indépendant affûte ses arguments marketing, étalant ses solutions et les économies d'énergie qu'elles sont susceptibles d'occasionner pour l'entreprise. 30%, 40%, voire 50% de gains sur la facture d'énergie, chacun y va de son chiffre. Certains acteurs du marché, tentant de se démarquer davantage, proposent même des solutions d'optimisation d'énergie sans investissement initial de la part du client. «On prend en charge la totalité des coûts de l'investissement et on est rémunéré sur un pourcentage des économies réalisées pendant une durée déterminée», explique un consultant. Cette solution, quoique séduisante, ne semble pas pour autant convaincre même les acteurs du marché. «Pour l'instant, cette offre au Maroc ne pourra être efficace que s'il s'agit de petits projets tertiaires. Elle devient difficile à mettre en œuvre dès lors qu'il s'agit de projets coûteux», tranche Meriem Elmandjra, directeur général délégué du cabinet Rio. Selon elle, si ce type de prestation a eu du succès dans certains pays, c'est parce qu'il y a eu à la base des accords tripartites impliquant le bureau d'études et de réalisation, un organisme de financement et le client final, sur des contrats de longue durée. Opportunités Les élans actuels du marché se basent bien sur des opportunités réelles. Le Maroc met les bouchées doubles pour réduire sa facture énergétique. La progression fulgurante que connaît celle-ci est source d'inquiétude. La raison en est que 95% de l'électricité produite au niveau national proviennent d'hydrocarbures importés. Entre 2003 et 2008, la facture énergétique nationale est passée de 21 à 71 milliards de dirhams et la demande s'est accrue de façon «galopante», à un rythme estimé à 6% par an. Pour juguler cette tendance, le gouvernement a lancé en 2009 via le département de Benkhadra, le plan d'action national visant à réduire la consommation énergétique de 15% à l'horizon 2020 et en a fait une priorité. La mise en œuvre de ce plan a été effective en 2010. Cette volonté de maîtriser le poids de l'énergie a également comme objectif de couvrir à hauteur de 40% les besoins en électricité par les énergies renouvelables. Séduisante, la politique d'efficacité énergétique n'a pas tardé à gagner l'approbation des acteurs financiers. Le gouvernement, avec l'appui de plusieurs autres institutions nationales et internationales (BAD, PNUD, banques locales, etc.), débloque les budgets et les projets poussent tous azimuts. Les besoins en expertise et en accompagnement deviennent dès lors une toile de fond pour toute l'affaire. Cette donne se traduit par la reconversion des professionnels (techniciens et experts) du monde de l'énergie et de l'électricité, particulièrement en consultants indépendants, et par l'arrivée de cabinets (nationaux et étrangers) dans l'optique de saisir les opportunités qu'offre cette nouvelle manne financière dédiée aux projets de développement durable. Néanmoins, tout cela n'est pas sans risque. Des garde-fous s'imposent Par le passé, ce type d'engouement que connait le «green consulting» a produit des effets pervers sur les autres segments du conseil (dans le coaching, le management, le marketing, la communication, etc.). Sur ces créneaux, quand le marché a commencé à être porteur, on a vu arriver toutes sortes de guetteurs d'opportunités qui s'imprimaient des cartes de visite et se faisaient passer pour des experts. Dans le coaching, domaine très sensible, l'association Maroc Coaching a dû vite réagir en initiant une charte éthique, en instaurant la supervision des coachs et en homologuant les experts. Dans les autres segments, c'est toujours le désordre. Il est souvent difficile de distinguer amateurs et «charlatans» (comme on les appelle au niveau des coachs) des vrais professionnels et experts. Toutefois, sur cet aspect, certains analystes comme Redouane Laâfou, directeur général de Prospecom, et Nicolas Deburge, directeur conseil de Sunergence-Gaïa, disent que «ce n'est pas bien grave, les lois du marché aideront à faire le tri». Or, avant que la sélection naturelle du marché ne fasse ses effets, ce sont les entreprises qui, en premier, font les frais de l'amateurisme et la perte de crédibilité qui s'en suivra n'épargnera pas toujours les vrais professionnels. Contacté à ce propos, Saïd Mouline, le patron de l'Agence nationale pour le développement des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique explique que, du côté de l'Aderee, «ce qui est sûr, c'est que ne soumissionne pas aux appels d'offres qui veut». Il y a un comité qui veille à la validation des cabinets selon leur expertise. Mouline souligne aussi que, s'agissant du marché en lui-même, chacun est libre de lancer son cabinet ou de devenir consultant indépendant. Il revient donc aux entreprises d'être attentives dans leur choix de prestataire de solution d'optimisation d'énergie. À saisir 165 milliards de dollars par an jusqu'en 2010 et 185 milliards sur la période 2011-2020 par an, c'est le montant de l'investissement dans le secteur électrique des pays en développement, estimé par la Banque mondiale. 50% des besoins dans le monde en investissement dans l'énergie, c'est ce que représente la production et la transformation d'énergie dans les pays en développement. 200 audits énergétiques par an (soit 400 à l'horizon 2012) et assistance des entreprises auditées à la réalisation des investissements recommandés, c'est ce que l'Aderee a prévu de réaliser. Point de vue : Nicolas Deburge, Directeur Conseil Synergence-Gaïa Je ne suis au Maroc que depuis quelque temps et effectivement j'ai été étonné de voir qu'il y a un nombre de plus en plus important de consultants dans le domaine du développement durable et de l'optimisation d'énergie. Sur le volet conception de stratégie de développement durablement, il y a certes peu d'acteurs. La plupart des consultants qui se lancent actuellement s'attaquent au volet opérationnel (d'où l'attrait du segment optimisation d'énergie). Toutefois, il peut y avoir évidemment des risques que des amateurs se mêlent aux professionnels sur le créneau du moment que tout le monde se trouve en droit de s'y lancer. Mais les clients potentiels peuvent circonscrire ce risque, en tenant compte du parcours du consultant, de ses références attestées et signées par ses anciens clients. S'agissant des cabinets, il faudrait prendre le soin de vérifier les équipes dont ils disposent et leurs compétences, et surtout les mettre en concurrence pour sélectionner le bon prestataire. «L'appui des banques est déterminant pour mener de grands projets» Meriem Elmandjra, DG déléguée de Rio Les Echos quotidien : Quel est le profil type des entreprises et organisations qui affichent le plus d'intérêt pour les solutions d'efficacité énergétique ? Meriem Elmandjra : C'est le secteur industriel qui est fortement concerné par ce type de solutions pour des raisons évidentes de compétitivité (l'énergie représentant une charge lourde dans ce secteur) mais également le bâtiment (par exemple l'hôtellerie, les bâtiments administratifs, bureaux, etc.), les transports, sans oublier l'éclairage public, et de plus en plus les exploitations agricoles. Nous sentons également un intérêt chez les PME qui se rendent compte qu'elles peuvent économiser jusqu'à 40% de leur facture énergétique avec des solutions clés en main (comprenant l'audit, la mise en œuvre et le suivi) et un temps de retour sur investissement inférieur à 18 mois, donc très rapide. Quels sont les freins qui empêchent les autres entreprises de franchir le cap ? Les investissements issus du plan d'actions de l'audit énergétique peuvent représenter un frein puisqu'ils n'ont pas forcément été budgétisés par l'entreprise pour l'exercice en question. Nous pensons que les institutions financières seront de plus en plus impliquées dans les projets de financement de l'optimisation énergétique. Sans l'appui du secteur bancaire, il serait difficile de mener à bien ces grands projets. Dans d'autres pays, les entreprises ou particuliers bénéficient de taux à prêts bonifiés et d'un certain nombre d'incitations fiscales ou douanières. Certains acteurs du marché proposent des solutions permettant à leurs clients d'optimiser leur énergie sans réaliser d'investissement. Leur chiffre d'affaires, expliquent-ils, proviendrait de l'encaissant pendant un certain temps, 50% des économies réalisées par le client. Quel regard un acteur comme Rio qui offre un package global porte-t-il sur ce type d'offre ? Au lancement de Rio en 2006, nous étions le seul bureau d'études à offrir ce type de contrat de performance, le Contrat Eco Energie sans investissement de la part du client avec partage des économies. Ce type de modèle fonctionne bien sur de petits projets tertiaires, notamment dans l'hôtellerie ou l'offshoring. En revanche, dès que l'on touche à l'industrie ou aux projets nécessitant de lourds investissements, même dans les secteurs de l'hôtellerie ou de l'offshoring, il n'est pas possible que le bureau d'études se substitue à l'organisme de financement et réalise ces investissements à la place du client, et ceci pour des raisons de cash-flow...