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Entreprises : Ces start-up qui osent écolo
Publié dans Le Soir Echos le 09 - 12 - 2010


Quel est votre cursus ?
J'ai obtenu ma maîtrise en économie à Paris-Dauphine en 1992 et j'ai ensuite intégré l'Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) dont j'ai été diplômée en 1995. J'ai démarré ma carrière aux USA en 1996 dans la banque, deux ans pour une banque régionale du Wisconsin et 10 ans à Wells Fargo Bank, à San Francisco et Orange County. A Wells Fargo, j'ai occupé plusieurs postes dans le crédit immobilier commercial pour finir Senior Vice President en charge de projets stratégiques. J'ai également beaucoup participé au développement et à la promotion de la diversité au sein de la banque en tant que membre actif du Arab American Team Member Group et du Diversity Council. J'ai quitté Wells Fargo en juin 2008 pour retourner au Maroc avec ma petite famille. De retour, j'étais prête à affronter de nouveaux challenges et j'ai décidé de ne pas chercher à intégrer une banque de la place. J'ai pensé à l'entrepreneuriat vert et j'ai investi dans RIO, une société spécialisée dans les métiers liés à l'efficacité énergétique et aux énergies renouvelables (conseils et solutions technologiques).
Pourquoi avoir choisi de vous lancer dans l'environnement ?
Ayant vécu 10 ans en Californie, j'ai été très imprégnée de la culture du green business. La Californie représente le leader incontesté en matière d'investissements cleantech avec de nombreuses mesures visant à réduire les émissions carbone et de très larges montants investis pour la R&D (on parle de près de 12 milliards de dollars investis par les sociétés de capital-risque dans le cleantech en Californie depuis 2006). Au quotidien, que ce soit à l'école, en entreprise ou à la maison, le citoyen californien est fortement sensibilisé à l'importance des mesures de conservation de l'énergie et de protection des ressources naturelles, de construction durable ou de recyclage, pour des raisons à la fois économiques et écologiques. Les infrastructures, les possibilités de financement, les nombreuses incitations fiscales et la communication environnementale tous azimuts favorisent le développement du secteur. L'une des résultantes est que le PIB produit par unité d'énergie consommée est 68% plus élevé en Californie que dans le reste des Etats-Unis. Mon arrivée au Maroc a coïncidé avec le projet de concertation autour la Charte nationale de l'environnement et du développement durable, la Journée de la Terre et le Plan national d'actions prioritaires du ministère de l'Energie qui prévoit une réduction des consommations énergétiques de 12% et la contribution des énergies propres à hauteur de 20% à l'horizon 2020. Ces initiatives nationales m'ont fortement confortée dans le choix de me lancer dans ce domaine d'avenir.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors du lancement de RIO ? Quelle fut votre stratégie ?
Lors de la création de RIO en 2006, en tant que bureau d'études spécialisé dans les audits énergétiques, les difficultés rencontrées étaient d'ordre commercial et de sensibilisation parce qu'il fallait en fait créer le besoin. Les fondateurs de RIO avaient choisi de cibler les entreprises dans le tertiaire qui ne pensaient pas forcément à l'efficacité énergétique, contrairement aux industriels. La démarche était l'acquisition de clients en déclinant des offres incitatives, à travers notamment une rémunération basée exclusivement sur les résultats. Cela a permis à RIO de convaincre un certain nombre d'entreprises de se lancer dans une démarche d'efficacité énergétique et de construire de belles références aussi bien dans le secteur public que privé, avec plusieurs ministères ainsi que d'importantes entreprises, banques, hôtels, industries, etc. Nous avons pu dégager des potentiels d'économies chez nos clients de l'ordre de 15 à 40% et sommes devenus une référence dans le secteur. Depuis 2010, nous entamons une nouvelle phase dans le développement de l'entreprise en élargissant nos offres à tous les secteurs d'activités et en ayant une approche clé en main allant du conseil à la distribution, installation et maintenance de solutions technologiques, au suivi et à la mesure des résultats. En effet, au cours des derniers mois, nous avons signé un certain nombre de partenariats technologiques stratégiques avec des sociétés internationales dans les domaines de l'efficacité énergétique, des énergies renouvelables et de la réduction de la pollution. Nous avons également lancé notre site Internet de vente de produits écologiques (www.greenstore.ma) qui allie économie et écologie pour le grand public, site qui a d'ailleurs reçu le prix du meilleur site marchand lors de la Conférence de MED IT en octobre 2010.
Que pensez-vous de la politique d'encouragement aux jeunes entreprises dans l'environnement menée par le gouvernement ?
On parle souvent, lors des nombreuses conférences liées au développement durable, de l'encouragement de la création des métiers verts. Je pense que les différentes mesures prises par le gouvernement (nouvelles lois sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, nouvelle charte de l'environnement, nouvelle loi sur les sachets plastiques dégradables, etc.) sont des facteurs indéniables favorisant le green business. Maintenant, il faut que l'effort continue et se concentre sur la mise en œuvre et l'application des textes. Je n'ai pas connaissance d'organismes qui apportent des financements spécifiques aux start-up dans l'environnement. En revanche, il y a un certain nombre de programmes génériques en faveur de la création d'entreprises (Moukawalati, CJD, AFEM, etc.) mais nous n'avons pas fait appel à ce genre d'organismes. Nous avons essentiellement financé notre activité par fonds propres et une ligne de crédit bancaire.
Vous n'êtes pas les seuls sur le marché du conseil et solutions pour une efficacité énergétique. Comment vous positionnez-vous face à cette concurrence ?
En effet, dans le domaine de l'efficacité énergétique, qui est notre cœur de métier, il existe plusieurs bureaux d'études homologués auprès de l'ADEREE et dont nous faisons partie. Notre positionnement repose sur deux principes fondamentaux : une approche clé en main et une garantie de résultats. Pour cela, nous avons des compétences locales uniques (nous sommes la seule société au Maghreb certifiée par l'Efficiency Valuation Organization pour la maîtrise du protocole international de mesure et vérification de la performance des projets d'efficacité énergétique) et aussi des partenariats technologiques internationaux forts (solutions technologiques, expertise sectorielle, etc.).
Quels sont vos objectifs pour demain ?
Notre objectif est de contribuer à rendre l'efficacité énergétique et la protection de l'environnement une priorité au sein des entreprises marocaines en leur offrant les compétences, outils et technologies nécessaires pour mettre en œuvre les actions adéquates à court, moyen et long termes. Nous voulons démontrer par des actions concrètes, mesurables et garanties que l'entreprise a tout à gagner en adoptant une démarche respectueuse de l'environnement. Economiser l'énergie, c'est tout simplement faire des économies. C'est aussi réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Economie + Ecologie = Compétitivité.
L'idée de lancer un projet dans l'environnement n'est pas fortuite. A la base, je suis chercheur en développement durable. J'ai soutenu une thèse à l'université Pierre Mendès France de Grenoble qui m'a amené à faire des travaux sur le terrain. Je suis parti dans le Haut Atlas étudier le développement durable en rapport avec développement du tourisme. J'ai été touché par la question de l'eau dans cette région, ce qui a amorcé la réflexion sur un projet en rapport avec environnement. L'autre aspect est que l'environnement est l'avenir d'un pays comme le Maroc. Il y a un peu moins de 2 ans que les autorités ont lancé les prémices de la Charte nationale. Avec des amis, nous avons alors émis le souhait de lancer un projet en rapport avec question de l'eau. Nous avions la possibilité de le faire en France mais nous souhaitions investir au Maroc pour montrer que les Marocains peuvent faire des choses avant-gardistes. L'idée était de lancer un business dans l'environnement avec un secteur qui puisse marcher. On a pensé à l'automobile.
Peut-on parler de niche en ce qui concerne le secteur du lavage automobile ?
Le lavage auto est une niche dans la mesure où nous nous sommes positionnés dans le segment haut de gamme. En plus des autos et motos, nous travaillons depuis quelques mois sur le jet privé. Le client y voit un gain de temps grâce à notre service mobile, un lavage sans odeur et sans rejet. La responsabilité environnementale est le souci de certaines entreprises au Maroc, surtout concernant les jets privés. Par ailleurs, d'un point de vue sociologique, les gens prennent de plus en plus soin de leur voiture, reflet de leur image. Désormais, le véhicule fait parti du patrimoine. Mais attention à ne pas confondre haut de gamme et luxe : le luxe est superflu. Je ne veux pas entrer dans ce genre de considérations, car c'est ce qui porte préjudice à l'écologie. Les gens pensent que l'écologie est une affaire de riches, or elle concerne tout le monde.
Quelles sont concrètement les économies en eau réalisées ?
En comptant les 14 centres entre Maroc et France, nous avons économisé environ 10 millions de litres d'eau, ce qui correspond à la consommation mensuelle de près de 5.000 enfants en milieu rural pendant 10 ans. Le procédé peut faire gagner au pays des volumes conséquents en termes d'eau et même d'eau potable.
Quelle difficultés avez-vous rencontrées lors du lancement de VIREO ?
On a ouvert à Casablanca en plein contexte de crise financière internationale. Nous avons injecté de l'argent dans ce contexte car nous voulions miroiter à nos franchisés que le réseau est viable, que la rentabilité est là. En effet, ce n'est pas à cause de la crise que les gens ne vont pas nettoyer leur véhicule et prendre soin de leur image. Aussitôt, des franchisés sont venus nous voir (Paris, Thonon-les-Bains, Montpellier et même Casa : signature d'un contrat avec Sport Plazza). Aujourd'hui, nous sommes en pourparlers avec la société qui s'occupe de la gestion du complexe Almazar à Marrakech afin d'implanter un espace de nettoyage auto sur leur parking, et avec le Mazagan Beach Resort pour planter un chapiteau qui offrirait un service rapide de nettoyage auto.
Le grande difficulté est de casser les idées reçues par rapport aux procédés de lavage sans eau et à leur rentabilité. En 3 ans, nous sommes passés d'un centre à Casablanca à 14 centres opérationnels entre le Maroc et la France.
Comment avez-vous défini votre stratégie tarifaire ?
Nous avons fait une étude de marché sur 800 personnes pour positionner notre stratégie. Le but n'est pas de différentier notre concept en se plaçant dans l'opposition en termes de pouvoir d'achat par rapport au lavage à l'eau. Le lavage d'une petite voiture revient à 45 DH. Nous avons surtout mis en place une formule d'abonnement qui puisse faire gagner de l'argent au client et pour entrer dans une politique de fidélisation. Les Marocains sont écolos quand c'est économique. Ils leur faut une valeur ajoutée conséquente telle que le système de fidélisation, le service mobile, les produits qui conservent la qualité de la carrosserie, des jantes et des plastiques. Le secteur du lavage au Maroc est encore très artisanal et il gagnerait à se moderniser. Par exemple, certaines interventions se font sur les carrosseries encore chaudes, ce qui porte préjudice au véhicule. Egalement, l'utilisation d'acide fait briller les jantes mais remonte jusqu'au système de freinage. Vireo est garant d'une qualité : on ne met pas la sono en marche quand on réceptionne le véhicule, on ne monte pas sur les bordures de portières… Avec des tarifs de 15 à 20% plus chers, l'idée est de rendre le concept un peu plus sélect mais pas inaccessible.
Que pensez-vous de la politique du Maroc en termes de financements spécifiques aux start-up dans le domaine de l'environnement ?
Je regrette que dans un pays comme le nôtre, un pays qui affiche ses convictions écologiques, il n'y ait pas d'accompagnement spécifique aux structures qui font le pari d'investir dans l'écologie. Ce serait plus simple et le retour sur investissement serait beaucoup plus rapide que d'aller à la conquête d'un créneau avant-gardiste en l'absence d'organismes qui puissent apporter leur soutien. Les fonds d'investissement régionaux devraient monter une procédure faisant que des structures spécifiques prennent en charge les projets déposés dans l'environnement. Si le projet est viable, l'Etat y gagne en termes de création d'emplois, de créativité et d'effets multiplicateurs. Nous avons lancé le projet en fonds propres. Nous étions les pionniers, sans aucune référence ni référentiel. On a bataillé pour mener un travail pédagogique auprès de la population. L'idée était de montrer que les Marocains peuvent faire des choses dans un secteur avant-gardiste en dépit de l'absence de subventions. Aujourd'hui encore, nous ne pouvons compter que sur notre propre intelligence, notre créativité pour optimiser les ressources que nous avons et faire avancer le projet.
Vous êtes pionniers et détenez la totalité du marché. Comment envisagez-vous une éventuelle concurrence ?
Le parc automobile compte 2,3 millions de véhicules, il y a de la place pour tout le monde ! Je suis pour que d'autres viennent s'installer. Notre verrou serait la qualité de la prestation, de l'accueil et la régularité. Nous avons également lancé notre propre ligne de produits écologiques et des pulvérisateurs universels. Enfin, nous sommes dépositaires d'un brevet par rapport à une nouvelle génération de stations de lavage en self-service. Ainsi peut-être, une station verte verra le jour pour la première fois au monde au Maroc.
Vous êtes aujourd'hui implantés en France, bientôt la Tunisie, l'Algérie, la Belgique… Quelle est votre stratégie à grande échelle ?
Nous voulons développer 2/3 de franchises supplémentaires au Maroc et en Algérie. Nous sommes très regardants sur le profil des franchisés, leur capacité à porter ce projet tant sur le plan de la rentabilité de leur point de vente que sur leur fibre écologique car en l'absence de cela, je ne crois pas qu'un gérant de centre saurait rentabiliser son business. Nous sommes également en pourparlers avec les Emirats arabes et la Floride. Nous portons une attention particulière à l'évolution de notre concept et sur les prochaines années (d'ici à 2013-2014), l'objectif de 50 franchisés est réalisable.


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