Le projet de loi 13.21 relatif aux usages licites du cannabis a franchi le cap de la Chambre des représentants, mercredi dernier, en dépit de la position des députés du PJD qui ont voté contre le texte en commission et en séance plénière. Une première qui a été pointée du doigt par l'opposition dont certaines composantes ont menacé de recourir à l'arme de la motion de censure. Un projet qui est visiblement tombé à l'eau… Le PJD est plus que jamais isolé sur la scène politique. Il est vertement critiqué par aussi bien ses alliés de la majorité que par les composantes de l'opposition. Son vote mercredi dernier contre le projet de loi relatif aux usages licites du cannabis ne passe pas sans heurts. Le député et secrétaire général du PAM, Abdellatif Ouahbi, n'a pas hésité à épingler, à cet égard, les parlementaires du parti de la lampe qui ont rejeté un texte adopté par le gouvernement lequel se trouve être piloté par leur secrétaire général, Saad Dine El Otmani. De son côté, le chef de file du Parti du progrès et du socialisme, Mohamed Nabil Benabdallah, dégaine et tire. Il estime que le vote du parti qui dirige le gouvernement contre un projet de loi est non seulement inacceptable sur les plans constitutionnel, politique et démocratique, mais il est même de nature à aggraver davantage la crise de confiance dans l'espace politique. Il s'agit d'un véritable problème constitutionnel, d'après l'opposition dont certaines composantes ont brandi la menace du recours à l'article 105 de la loi fondamentale pour mettre en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d'une motion de censure.
Techniquement, celle-ci n'est recevable que si elle est signée par le cinquième au moins des membres de la Chambre basse et qu'elle est approuvée par un vote pris à la majorité absolue des députés. Contacté par Les Inspirations ECO, un député blanchi sous le harnais souligne que la motion de censure ne passera certainement pas, même en cas de sa recevabilité. Selon lui, le gouvernement dispose arithmétiquement de la majorité, mais il s'agirait de marquer une position politique « face à une coalition gouvernementale de plus en plus disloquée et qui n'arrive toujours pas à accorder ses violons, à quelques mois de la fin de son mandat». Il faut dire que ce ne serait pas la première fois que l'opposition plaide pour l'activation des mécanismes constitutionnels, en vue d'engager la responsabilité du gouvernement. Rappelons que le désaccord des composantes de la majorité sur le quotient électoral et le vote de ses groupes parlementaires, hormis celui du PJD, pour l'amendement de l'opposition qui a été rejeté par le ministre de l'Intérieur, avait également suscité tout un tollé. Le PAM avait appelé, alors, le chef de gouvernement à actionner l'article 103 de la Constitution, car « le gouvernement a perdu sa majorité». Cet article stipule que « le chef de gouvernement peut engager la responsabilité du gouvernement devant la Chambre des représentants, sur une déclaration de politique générale ou sur le vote d'un texte ». La confiance ne peut être refusée qu'à la majorité absolue des députés. L'opposition prépare la riposte Sur le dossier de la légalisation du cannabis, la situation est jugée plus grave du point de vue politique que celle ayant prévalu à propos du quotient électoral. L'opposition pourra-t-elle vraiment passer à l'acte ? D'après nos sources, le parti de l'Istiqlal, après examen de la question, a écarté cette option. Les secrétaires généraux des partis de l'opposition (PAM, Istiqlal et PPS) avaient convenu d'organiser un point de presse, jeudi 27 mai, au lendemain de l'adoption du projet de loi sur les usages licites du cannabis. Ils ont, toutefois, fini par le reporter en raison de la volte-face des héritiers de Allal El Fassi. D'après un dirigeant de l'Istiqlal, la conjoncture n'est pas propice à l'activation de l'article 105 de la Constitution, et même si l'opposition arrive à faire passer la motion de censure, le gouvernement continuera à gérer les affaires courantes jusqu'à la tenue des élections, ce qui se fait déjà depuis des années. Le parti de la balance serait plutôt en faveur de l'interpellation du chef de gouvernement au parlement, en vertu de l'article 101 de la Constitution relatif à la présentation du bilan d'étape de l'action gouvernementale. Une conjoncture spéciale Certaines voix estiment que le recours à la motion de censure ne fera que ternir l'image du PJD, qui « brandit toujours la carte de la victimisation pour attirer la sympathie des électeurs », commente-t-on dans les couloirs du parlement. Une accusation rejetée avec véhémence par les dirigeants du PJD. Par ailleurs, d'autres voix pensent qu'il ne serait pas judicieux d'actionner le mécanisme de la motion de censure dans la conjoncture actuelle, laquelle nécessite la conjugaison de tous les efforts pour renforcer le front national et soutenir le Maroc au niveau diplomatique. Le débat autour de la cohésion de la majorité et la légalisation du cannabis n'est pas prêt de se terminer. Il devra se poursuivre au sein de la Chambre des conseillers qui examinera, à son tour, le texte. On s'attend à ce que le PJD adopte la même position au sein de la Chambre haute. Les parlementaires du parti de la lampe pointent du doigt l'absence d'un débat national autour de la légalisation du cannabis et le gel des mécanismes constitutionnels qui permettent d'approfondir les discussions sur les dispositions des projets de loi. Le PJD a, en effet, appelé à un consensus et à saisir le Conseil économique et social sur ce dossier. Il met en garde contre l'exploitation de la nouvelle législation aux prochaines élections. Les autres composantes du parlement, elles, ne voient pas les choses du même œil, précisant que c'est un texte qui se fait attendre depuis de longues années et qui permettra de protéger les cultivateurs concernés et de tirer des bénéfices économiques. Nombre de députés auraient souhaité que le ministre de l'Intérieur accepte de répondre aux multiples appels relatifs à une amnistie générale au profit des agriculteurs du cannabis poursuivis par la justice. Ce que recommande la Commission spéciale sur le modèle de développement La Commission spéciale sur le modèle de développement a émis plusieurs recommandations relatives au dossier du cannabis. Elle souligne que l'ambition est de développer une filière légale de production et de transformation du cannabis ou du chanvre dans la région du Rif, basée sur une recherche scientifique de qualité, sur la préservation et la valorisation du patrimoine naturel et culturel, tout en assurant une sécurité juridique pour les cultivateurs. A cela, s'ajoute la nécessité de transformer la réponse de l'Etat face à la consommation du cannabis d'une approche principalement punitive basée sur la pénalisation, facteur d'exclusion, à une approche inclusive basée sur la prévention, les soins pour les usages problématiques et la réinsertion. Il est recommandé, entre autres, de réduire le gap entre la loi et la réalité concernant la culture du cannabis en adoptant un cadre légal clair, cohérent et adapté qui encadre et organise la production. L'enjeu est aussi de promouvoir la recherche scientifique sur le cannabis et d'étudier les voies d'une valorisation du patrimoine naturel et culturel lié à la culture de cette plante. Il est également proposé de promouvoir des alternatives économiques attractives et viables pour les communautés d'exploitants et de recueillir et actualiser les données relatives à la culture et la transformation de cannabis. S'agissant des orientations relatives à la consommation du cannabis, la Commission spéciale plaide pour l'adoption d'une approche préventive plus efficace et le développement d'une offre de soins et de réinsertion sociale pour les consommateurs problématiques de cannabis. Il s'avère, par ailleurs, nécessaire, selon la Commission, de supprimer les peines de prison et de mettre en place des peines alternatives pour la consommation illicite du cannabis tout en poursuivant la lutte contre les réseaux de trafic. Jihane Gattioui / Les Inspirations Eco