Jean-Pascal Darriet, directeur général de lydec Les Echos quotidien : Vous êtes à la tête de Lydec depuis mai dernier. Vous arrivez donc dans un contexte de réflexion et de discussion, dans le cadre de la révision du contrat de gestion déléguée des services d'assainissement, d'eau et d'électricité. Quelles sont vos priorités ? Jean-Pascal Darriet : Notre entreprise gère des services essentiels, anticipe et accompagne le développement de la plus grande agglomération du royaume. Lydec est aussi le partenaire économique de nombreuses entreprises marocaines. Nous avons conscience du rôle très exigeant que nous avons. C'est surtout une mission portée par les 3.500 collaborateurs qui déploient leurs compétences au service des habitants et des entreprises. Après quinze ans d'activités et de présence sur le Grand Casablanca, il nous fallait écouter les besoins et exigences de nos parties prenantes, pour préparer les prochaines étapes de la vie de l'entreprise. C'est dans ce but que nous avons récemment lancé une série d'études. De l'écoute interne qui a touché l'ensemble des collaborateurs de Lydec, s'il n'y a qu'un mot à retenir, c'est la fierté d'accomplir un métier au service des habitants de la ville, avec un sentiment d'exigence qui s'est d'ailleurs développé, au fil des ans. Cela requiert de développer davantage la proximité avec nos clients. Des considérations de politique politicienne ont souvent caractérisé, les décisions d'investissement de certains projets dans le cadre de ce contrat de gestion déléguée. Comment comptez-vous gérer cette facette assez délicate de vos relations avec les autorités locales ? Je constate que Lydec a pleinement tenu ses engagements de modernisation des services publics qui lui ont été confiés en 1997, afin de répondre aux attentes des habitants. Plus de 11 MMDH ont été investis par Lydec afin d'accompagner le développement du Grand Casablanca dans la mise à niveau et l'extension des infrastructures qui nous ont été confiées (équipements et réseaux d'eau, d'assainissement, d'électricité...) et afin d'assurer au mieux la continuité et la qualité des services publics. Je partage avec vous le fait que notre entreprise soit vraiment au cœur de la cité et de ses problématiques. A titre d'exemple, il était impossible de prévoir, il y a cinq ans, l'accélération de la croissance de l'urbanisation de Casablanca. Celle-ci s'est produite sous l'effet de l'ouverture de nouvelles zones d'activités et d'habitations, induisant l'urbanisation d'un hectare par jour, soit 350 hectares par an aujourd'hui contre des hypothèses de 200 hectares il y a 5 ans... et les projections les plus récentes tablent sur le triplement de cette croissance annuelle, qui atteindrait 1.000 hectares par an. La modernisation de la ville passe aussi par l'action de Lydec, dans la mesure où ces nouvelles surfaces devront être viabilisées, éclairées, équipées en système de collecte des eaux pluviales, pour éviter de nouveaux points à risques d'inondation, etc. Tout cela devra bien sûr passer par la mobilisation d'importantes capacités d'investissement, par le déploiement de technologies et de techniques assez importantes, au fur et à mesure que la croissance de la ville de réaliser. Voici un enjeu majeur de la deuxième révision du contrat de gestion déléguée, qui permettra de déterminer le financement de ces nouveaux réseaux d'eau potable, d'électricité, ou de collecte des eaux pluviales et d'assainissement nécessaires aux habitants... sans oublier que certains réseaux actuels devront être redimensionnés. Vous semblez écartelé entre la nécessité de suivre le développement de la ville, et la faiblesse des ressources disponibles ou allouées. Ce n'est pas une position très confortable... Ce sujet est en effet parmi les enjeux de la deuxième révision du contrat de gestion déléguée qui se prépare actuellement. La phase d'audit a démarré en juillet 2012 et devra s'achever début 2013. Je rappelle que la révision prévue dans le contrat de gestion déléguée est une étape importante et nécessaire, tant pour l'autorité délégante que pour Lydec. Elle permet de dresser un bilan des cinq dernières années, afin de déterminer les engagements contractuels qui ont pu prendre de l'avance ou du retard et d'évaluer l'évolution des hypothèses ayant permis d'établir ces engagements il y a 5 ans. L'objectif est de mesurer l'impact de ces évolutions sur la performance du service délégué, les résultats de l'entreprise et sa capacité à financer les nouveaux investissements. Cet exercice doit permettre de fixer de nouveaux engagements en prenant en compte l'évolution du contexte de la ville, ainsi que les attentes des habitants, avec la vision la plus long-termiste possible. Le contrat de gestion déléguée en vigueur prévoit un rythme d'investissement cumulé de 8 MMDH, pour les quinze prochaines années, alors que nous savons que suivant le rythme d'urbanisation de la région, les besoins en investissements se situent autour de 30 à 32 MMDH. Cela fait un grand écart... C'est effectivement un grand gap, qui fait que l'autorité délégante et le délégataire sont amenés à hiérarchiser et prioriser les urgences et projets à réaliser et en même temps réfléchir à de nouvelles ressources. Cela expliquerait-il donc sûrement les retards observés sur certains projets d'investissement ? Lydec évolue au rythme des investissements prévus dans son contrat. Nous sommes sur un rythme de l'ordre de 900 MDH par an. L'année 2011 a marqué un record avec plus de 1,3MMDH, dont plus de 560 millions financés par Lydec. Nous devons assurer la réalisation de certaines actions d'urgence en priorité. S'agit-il d'une nouvelle stratégie ? Globalement, il y a deux objectifs majeurs portés aujourd'hui par Lydec. Le premier est de veiller à répondre aux besoins et attentes des clients et le second est de réussir à faire cela dans le respect des dispositions du contrat de gestion déléguée. Notre priorité est d'être les plus performants possible en termes de qualité de service, à travers nos différents métiers. Nous voulons garder le leadership de la gestion clientèle dans le secteur des services publics. La constance que nous essayons de partager est de répondre du mieux possible aux exigences de notre clientèle. Nos clients sont aujourd'hui beaucoup plus exigeants qu'il y a quinze ans. Notre obligation est donc d'anticiper en permanence les attentes et les évolutions des services. L'éclairage public est un nouveau métier dans les activités de Lydec. Comment comptez-vous l'intégrer dans vos activités ? C'est un nouveau métier que l'autorité délégante nous a confiés en mai 2099. Il est à la fois très exigeant et très valorisant, dans la mesure où les performances et évolutions réalisées sont facilement perceptibles dans l'espace public. En deux ans, nous avons pu améliorer significativement l'efficacité de ce service, qui compte plus de 120.000 points lumineux. Nous évaluons cette performance sur la base de disponibilité des candélabres, qui est passée d'une moyenne de 70% en 2009, à plus de 90% aujourd'hui. Ce résultat a été obtenu grâce au renouvellement et à la pose de milliers de nouveaux candélabres, à la mobilisation rapide et efficace d'équipes spécialement affectées à ce service. La gestion déléguée au Maroc a-t-elle de l'avenir et est-elle rentable, par rapport à l'expérience que vous en avez eue ? Le travail d'écoute et d'état des lieux que nous avons réalisé auprès de nos parties prenantes nous a également permis de faire l'évaluation des acquis à ce sujet. Nous avons en effet constaté une fantastique évolution de la modernisation des services, caractérisée par une accélération des investissements réalisés pour suivre la croissance extrêmement rapide de la métropole. Cette amélioration des services et de la relation clientèle ont fortement évolué, par rapport au démarrage des activités. ...Mais avec 1,8% de croissance du chiffre d'affaires en 2011, ne pensez-vous tout de même pas pouvoir faire mieux ? La gestion et la distribution de l'eau et de l'électricité est un métier rentable, certes, mais qui ne permet pas de générer des gains financiers très importants. Les enjeux d'investissements sont très lourds et mobilisent d'énormes moyens financiers de l'entreprise. Lydec est une société dont la rentabilité est à un rythme de croissance inférieur à 5%. Nous sommes fiers de ce chiffre, vu nos contraintes et lourdeurs de charges d'investissement. Nous ambitionnons de maintenir ce niveau de rentabilité et de poursuivre en même temps ces mêmes efforts financiers pour la réalisation de nos projets. Pour ce faire, il nous faudrait donc trouver de nouvelles ressources de financement. Quelles seraient-elles ? Il y en a plusieurs. L'une d'elles serait par exemple la subvention publique, destinée à appuyer des projets d'envergure dépassant l'échelle de la ville, voire ayant un intérêt national. C'est le cas du Super collecteur ouest, qui permettra de traiter la problématique des eaux pluviales de l'Oued Bouskoura. Il y a également une formule mixte à trouver, en développant des recettes de type «participations». Tout projet immobilier réalisé dans la région s'acquitte en effet de participations qui sont des ressources directement affectées au financement des infrastructures nécessaires à l'extension de la ville. Une partie du mix suppose donc une hausse de ces «participations», pour suivre le rythme de croissance urbanistique qui est demandé par ces mêmes promoteurs. Quels sont aujourd'hui vos modes de financement ? Nous procédons par plusieurs voies : l'autofinancement, grâce aux recettes tarifaires, les «participations» payées par les constructeurs-aménageurs et versées au Fonds de travaux de l'autorité délégante et il nous est également arrivé de solliciter le marché, via des emprunts obligataires. Nous utilisons toute la panoplie de moyens de financement qui sont possibles pour une société comme Lydec. C'est vrai que nous sommes sur un niveau de rentabilité honorable dans nos domaines d'activité, mais je pense que nous avons le devoir de maintenir cette rentabilité pour la seule et simple raison que les besoins en investissements étant énormes pour le Grand Casablanca, les autorités locales ont besoin d'un partenaire qui soit solide et viable dans la durée...Une Lydec fiable est un partenaire de référence pour le Grand Casablanca. Et si tout cela était à refaire ? A mi-parcours et avec un recul de 15 ans, il faudrait imaginer un mécanisme d'adéquation entre l'évolution des besoins d'investissement et les ressources mobilisables. Je ne dis pas cela dans un souci de confort financier à trouver, mais parce qu'adapter les besoins et les ressources est un processus généralement très long dans le temps. Cela se fait aujourd'hui à travers des opérations de révision tous les cinq ans, comme prévu dans le contrat de délégation. Nous avons besoin, dans ce métier, d'être les plus réactifs possible en termes de mobilisation des capacités financières. C'est un manque de réactivité qui influe beaucoup sur nos opérations. Ces mécanismes à trouver pourraient donc nous rendre beaucoup plus réactifs par rapport aux projets d'investissements lourds. Le foncier est également parmi les soucis que nous avions dans le passé et qui ont provoqué le retard de certains projets, mais aujourd'hui c'est un dossier sur lequel nos partenaires nous ont montré beaucoup d'engagement.