Rassurant, mais appelant à la vigilance, telle a été encore une fois la position d'Abdellatif Jouahri après la tenue du Conseil de la Banque centrale, mardi dernier. C'est la deuxième fois consécutive que le gouverneur de BAM adopte cette position, suscitant plusieurs questionnements sur cette volte-face de ce Sage, connu pour son franc-parler. «Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. J'analyse les choses telles qu'elles sont. Je ne suis pas là pour défendre ce que fait le gouvernement...», s'est-il défendu devant la presse. Il faut dire que la position de Jouahri s'explique principalement par les suites qui ont été données à l'obtention par le Maroc, de la ligne de crédit auprès du FMI lors du mois de ramadan et que certains se sont empressés de qualifier d'un retour du plan d'ajustement structurel au Maroc. Jouahri est sorti de ses gonds pour dénoncer cette lecture. «j'ai vécu les années du PAS et je peux vous assurer qu'on en est très loin», insiste-t-il, arguant que le déficit budgétaire est loin d'atteindre le seuil des 12 à 13% enregistré à l'époque et que les réserves de changes sont loin d'être totalement épuisées. Le gouverneur de la Banque centrale se félicite même de cette ligne de crédit qui a, dès son obtention, causé une baisse de 45 points de base de la prime de risque des titres de dettes du Maroc et qui pourrait désormais lui permettre de lever des fonds à l'international dans des conditions de taux intéressantes. C'est d'ailleurs ce dernier point qui semble aujourd'hui inquiéter la Banque centrale. «Avec de telles analyses erronées, il peut y avoir d'importantes répercussions sur l'image du Maroc et ce, à la veille d'une levée à l'international», ajoute le gouvernement. Cela n'empêche, Jouahri n'a pas manqué une nouvelle fois d'appeler à la vigilance, surtout que le contexte économique peine toujours à s'améliorer partout dans le monde, et que les répercussions sur l'économie nationale risquent d'être importantes. Au-delà de ces déclarations, l'unique grande nouvelle à retenir de cette réunion du Conseil de la Banque centrale est cette réduction du taux de réserve monétaire, porté désormais à 4% contre 16,5% il y a trois ans. En cause, la crise des liquidités que vit le secteur bancaire depuis plusieurs mois et qui s'est nettement accentuée récemment. Aujourd'hui, on parle dans le secteur bancaire d'un déficit de trésorerie au sein des banques de plus de 73 MMDH que la Banque centrale se retrouve obligée de combler chaque semaine, via ses interventions hebdomadaires et les pensions livrées à 3 mois. Avec cet abaissement de 2% du taux de réserve monétaire, la Banque centrale injecte ainsi de façon permanente, 7 MMDH dans le circuit bancaire. Concernant le reliquat, la Banque centrale insiste sur sa volonté de continuer à injecter des fonds dans les trésoreries bancaires à chaque fois que le secteur en éprouvera le besoin. «Il n'y a pas de limite aux aides accordées aux banques. Tout ce qui compte pour nous, c'est de s'assurer que les injections de liquidités permettent effectivement de financer l'économie», rassure Jouahri. En effet, répondant aux critiques adressées par certains opérateurs, notamment les PME - qui considèrent que les banques ont plus tendance à financer le Trésor et à réaliser des placements, que de financer l'entreprise - le gouverneur de la banque centrale réfute du revers d'une main ces plaintes, en assurant que son établissement veille, via un suivi continu, au sort des fonds injectés dans le secteur. En revanche, la Banque centrale reconnaît qu'il est aujourd'hui question de trouver une solution structurelle à la problématique des liquidités. C'est dans ce sens qu'il faut encourager les banques à recourir aux différents instruments financiers disponibles et surtout, les inciter à recourir aux emprunts extérieurs au même titre que les grandes entreprises structurées du royaume, afin d'alléger la pression sur les liquidités locales. Jouahri aurait même appelé les deux grands groupes privés, que sont Attijariwafa bank et BMCE Bank, à utiliser leur excédents de trésorerie en Afrique, mais en respectant les dispositions règlementaires des pays dans lesquels elles sont implantées. C'est dire qu'il existe aujourd'hui des solutions au problème de sous-liquidité du marché mis à part les injections régulières de BAM et les baisses de la réserve monétaire. Cependant, parmi toutes ces solutions, c'est surtout celle de la mobilisation de l'épargne longue qu'il faudrait activer. Bien que l'intégration de Al-Barid Bank dans le réseau bancaire ait permis au Maroc d'augmenter sensiblement son taux de bancarisation, la mobilisation de l'épargne reste incontestablement le talon d'Achille du secteur. Mobilisation de l'épargne Séparer les aspects fiscaux et bancaires La Banque centrale s'active pour la mobilisation de l'épargne. C'est du moins ce que voudrait faire entendre son management. Cela passe d'abord par mettre l'accent sur le low income banking, qui permet de toucher une cible plus large de clients bancarisables. De même, BAM travaille actuellement avec les autorités pour tenter de séparer dans le secteur bancaire les aspects fiscaux des aspects purement bancaires. Les avis de tiers détenteurs sont d'ailleurs un sujet qui revient souvent comme un frein à la mobilisation des liquidités. Des mesures sont donc promises pour les «prochains jours» afin de mieux organiser la gestion des dossiers des ATD. Rappelons que les ATD font l'objet de discussions ardues entre le système bancaire et la direction générale des impôts depuis plusieurs mois déjà. Financement des PME Seuls 15% des dossiers sont rejetés Les mesures destinées à encourager les banques à octroyer plus de crédits aux PME commencent à porter leurs fruits. Pour la Banque centrale, un premier bilan d'étape de ces mesures a fait ressortir que la baisse du taux directeur en mars dernier a permis d'alléger les conditions d'octroi des crédits de trésorerie. Il en est de même de la mesure relative à la réinjection de 25% des montants des crédits alloués aux PME dans les trésoreries bancaires. «Si la distribution de crédit à évolué de 8%, ceux déstinés aux PME ont bondi de 13%», confie le gouverneur de BAM. Pour ce dernier, le Maroc est en bonne voie pour résoudre les problèmes de financement des petites structures. «Certes, la problématique est permanente. Cependant, il ne faut pas oublier que dans la région MENA, la Banque mondiale a classé le Maroc en tête à ce niveau», ajoute-t-il. Selon les données rapportées par l'institution internationale, le Maroc octroie près de 30% de ses crédits aux PME, un score inégalé dans la région. De plus, selon une enquête réalisée par Bank Al-Maghrib, il s'avère aujourd'hui que seuls 15% des dossiers liés au financement des PME sont rejetés. «Nous avons demandé aux banques de nous transmettre les dossiers, pour savoir ce qui cloche et je peux vous assurer que ces dossiers ne méritaient pas d'être acceptés», soutient Jouahri. Bénéfices des banques Moins que les grosses boîtes Les banques ne gagnent pas autant que ce qu'il y paraît. Interpellé sur l'image des banques auprès des citoyens comme étant de véritables machines à bénéfices, avec notamment la facturation de commissions jugée parfois trop importante, Abdellatif Jouahri considère que si l'on réunit les bénéfices de toutes les banques locales, cela n'arriverait même pas à égaler les bénéfices que pourraient réaliser certaines grandes entreprises au Maroc. «De plus, les banques ne distribuent que la moitié de leurs bénéfices au maximum, comme dividende à leurs actions, sans oublier leur contribution à l'IS à un taux plus élevé», note-t-il. Jouahri avoue d'ailleurs ne pas être surpris par de pareils jugements envers les banques, vu que «le banquier est souvent mal vu un peu partout dans le monde». Banques islamiques Quatre intéressés déjà La loi bancaire ne fixe que les principes de fonctionnement de la banque islamique. C'est ce qu'annonce le gouverneur de la Banque centrale. Selon lui, il devrait y avoir des décrets et circulaires devant compléter l'arsenal réglementant ce secteur. Cet arsenal comprendrait ainsi les structures qui veilleront au bon fonctionnement des banques islamiques et la méthodologie d'octroi des agréments. Pour ce dernier volet, BAM devrait insister dans le processus sur la valeur ajoutée que devrait apporter une banque islamique qui dépose son dossier d'agréments, son business plan, son plan de couverture des différentes zones territoriales, la qualité de l'encadrement et la composition de son tour de table. Par ailleurs, Jouahri annonce que la Banque centrale devrait particulièrement porter son attention à la préservation de l'équilibre du marché. «Nous ne sommes pas obligés d'octroyer tous les agréments au même moment. On verra combien le marché pourra supporter de banques islamiques et nous déciderons après du nombre d'agréments à octroyer», souligne Jouahri pour qui l'octroi d'agréments se fera de la même manière que dans le cas des banques classiques. Pour l'heure, on parle chez la Banque centrale de quatre investisseurs spécialisés dans la banque islamique sous d'autres cieux, qui ont pris contact avec BAM. Relance de la Bourse Enjeu crucial pour CFC Pour Casablanca Finance City, on ne peut pas se permettre d'avoir une Bourse manquant de profondeur. Telle est la réaction du gouverneur de la Banque centrale en analysant la situation actuelle du marché boursier. Pour lui, au-delà des aspects fiscaux qui pourraient encourager le recours à la Bourse, il existe également des aspects structurels comme ceux liés à la gouvernance auxquels il faudrait s'atteler en urgence. La réflexion serait d'ailleurs déjà de plancher sur l'amélioration de la gouvernance à la Bourse. La mise en place d'urgence de nouveaux instruments et de nouveaux compartiments pourrait également être une solution pour activer la relance du marché. Selon Jouahri, le ministre des Finances aurait déjà pris contact avec les parlementaires pour constituer une commission technique, afin de se pencher sur les textes mis dans le circuit. Objectif : accélérer la procédure dès que le processus de vote des textes sera entamé. «Il est urgent de faire revivre la Bourse», conclut-il. Ligne de crédit du FMI Pas d'exigences particulières Les exigences du Fonds monétaire international pour l'octroi de sa ligne de précaution sont conformes aux objectifs que s'était déjà fixé le gouvernement. Selon le gouvernement de la Banque centrale, la principale exigence du FMI a concerné l'instauration d'un équilibre des indicateurs macro-économiques. Ceci correspond parfaitement aux défis qu'a relevés l'Exécutif depuis son investiture. «De toute façon, même sans cette ligne, ne pas réaliser ces équilibrages enclencherait inéluctablement une dynamique de difficultés pour le Maroc», soutient Jouahri. Il s'agit aujourd'hui principalement de maîtriser le déficit budgétaire, celui de la balance commerciale ainsi que l'inflation. Il est à noter que le gouverneur de la Banque centrale avait pris part aux négociations avec le FMI. «ce dernier ne venait pas nous dire ce qu'il fallait faire ou ne pas faire, mais nous demandait surtout de le convaincre du projet qu'on lui présentait» Dépenses publiques Le Maroc dépense mal Le problème du Maroc est qu'il dépense mal. C'est là une constatation d'Abdellatif Jouahri, qui, ironisant, compare l'Etat à un ménage. «Un homme aura beau ramener de l'argent à la maison, s'il a une femme qui dépense sans compter, c'est la faillite. On revanche, si elle est une bonne gestionnaire, ils vont de l'avant». Pour le gouverneur de la Banque centrale, il faudrait sortir des surenchères politiques et raisonner pour le bien du pays. Jouahri note par ailleurs qu'un temps, le Maroc enclenchait des investissements à tout va sans pour autant coordonner ses projets. Du coup, le Maroc se retrouvait en train de dépenser pour des projets qui finalement ne servaient à rien ou devaient être refaits. S'agit-il là d'un plaidoyer pour une rigueur budgétaire ? Rien n'est moins sûr. Plus de 70 milliards de cash en moins Au cours du deuxième trimestre de l'année 2012, l'insuffisance de liquidité bancaire s'est creusée de près de 13 MMDH par rapport à la fin du trimestre précédent, passant ainsi de 49,5 milliards à 62,4 MMDH. La Banque centrale explique ce creusement par l'effet restrictif conjugué de l'ensemble des facteurs autonomes pour près de -15,3 MMDH. En effet, les opérations en devises ont induit une ponction de liquidités de 9,6 MMDH en raison de la poursuite du rythme accéléré des achats de devises par les banques commerciales, auprès de Bank Al-Maghrib. De même, les retraits nets de la monnaie fiduciaire ont atteint 3,5 MMDH durant la période estivale. Par ailleurs, le Trésor est venu enfoncer la situation avec des opérations qui ont contribué au resserrement des trésoreries bancaires pour près d'1,9 MMDH. Durant le trimestre, la même tendance a été observée et le déficit de liquidités bancaires s'est creusé en raison de la poursuite de l'évolution restrictive de l'ensemble des facteurs autonomes, pour -12,4 MMDH. Au total, le déficit de liquidité a dépassé durant le trimestre en cours le cap des 70 MMDH, un niveau record.