C'est décidément le mal de la décennie pour les banques marocaines. Ayant entamé une course acharnée pour accroître leurs activités, parfois en allant sur de nouveaux marchés à l'international, les établissements de la place continuent de souffrir d'un manque de liquidité chronique.... Pas plus tard que mercredi dernier, la Banque centrale s'est une nouvelle fois retrouvée obligée d'injecter plusieurs dizaines de milliards de DH dans les trésoreries bancaires. Au titre de l'appel d'offres du 5 octobre, ce sont 31 milliards de DH qui ont été prêtés aux banques nationales sous forme d'avances à sept jours. Jamais des seuils pareils n'avaient été atteints durant les années précédentes. Il faut dire que l'enjeu pour la Banque centrale est crucial. Tant que la panne persiste, les risques de hausse du taux interbancaire planeront, ce qui ne verse pas dans le sens de la stratégie de maîtrise de l'inflation prônée en priorité par la Banque centrale. En effet, une hausse du taux moyen pondéré (TMP) interbancaire provoquerait systématiquement une hausse des taux des crédits et, partant, une hausse des prix dans l'économie. C'est justement ce que veut éviter Bank Al-Maghrib via ses injections régulières de liquidités dans les trésoreries des banques, censées permettre un alignement du coût des ressources dans le marché interbancaire sur le taux directeur. Ceci n'a pas manqué d'être souligné par le FMI, d'ailleurs, dans sa récente analyse au lendemain de la mission menée au Maroc l'été dernier. «La gestion efficace de la liquidité par BAM a permis de maintenir le taux d'intérêt au jour le jour proche du taux de référence de BAM, qui est demeuré inchangé à 3,25% depuis mars 2009», avait noté le FMI. La Banque centrale est même allée au-delà lors de la dernière réunion de son Conseil en septembre dernier, en annonçant le recours à des injections via des pensions à 3 mois au lieu de se contenter des habituelles avances à sept jours. Cette mesure n'a pas manqué d'être saluée par les professionnels. «On ne peut que se réjouir de cette décision, qui donne les moyens aux banques de soutenir davantage l'économie», a ainsi déclaré Brahim Benjelloun Touimi, administrateur directeur général délégué de BMCE Bank, lors de la présentation des résultats semestriels de sa banque. Des analystes vont encore plus loin, estimant que cette décision permet de «satisfaire les besoins des banques sur des maturités trimestrielles, réduisant de ce fait le risque de manque de liquidité du système bancaire». Cependant, même en donnant plus de visibilité au secteur, le prolongement de la maturité des injections de liquidité de BAM n'est qu'un moyen pour répondre temporairement à la problématique de sous-liquidité et ne permet en aucun cas d'y remédier de façon définitive. En effet, avec cette décision, Bank Al-Maghrib sera toujours aussi sollicitée par les banques de la place. Une autre solution aurait tout de même pu soulager davantage les trésoreries, mais la Banque centrale l'a esquivée pour la énième fois. Il s'agit d'une baisse du taux de la réserve obligatoire. Après une série d'abaissements entre 2009 et 2010, qui l'a fait passer de 16,5% à 6%, l'équipe de Jouahri semble se détourner de ce moyen d'injecter du cash. Pourtant, les 6% du taux actuel se traduisent par la mise en réserve d'un montant de près de 25 milliards de DH. Il est clair donc qu'en cas de suppression de cette obligation de constituer des réserves, le déficit en liquidité des banques serait absorbé de manière structurelle. Or, BAM ne l'entend pas de cette oreille. En effet, le gouverneur de la Banque centrale a fait savoir, à plusieurs reprises, la réticence du Conseil face à une nouvelle baisse du taux de la réserve obligatoire, «afin de ne pas perdre l'autorité de Bank Al-Maghrib sur les établissements bancaires de la place». En d'autres termes, obliger les banques à recourir aux interventions de la Banque centrale est un moyen de garder le contrôle sur elles. Cela n'a rien de bien alarmant, tant que BAM peut répondre aux besoins des banques. Cependant, dans le contexte actuel, la sollicitation des interventions de la Banque centrale tend à s'accentuer, ce qui n'est pas sans mettre de la pression sur l'institution elle-même. Certes, «BAM répondra toujours aux besoins des banques, tant que la pression sur les liquidités se fait sentir», rassure le gouverneur. Cependant, force est de constater qu'en dépit de l'engagement de BAM, la situation des trésoreries bancaires continue de s'aggraver. Mal structurel Les économistes expliquent cette tendance par le creusement du déficit du compte courant, qui implique un moindre stock en devises dans le royaume (voir interview Mohamed Berrada sur lesechos.ma). À ce titre, il suffit de citer le passage des réserves en devises du Maroc de près de sept mois d'importation en début d'année à 5 mois et 20 jours seulement à fin août dernier. Et ce n'est pas encore prêt de s'arrêter. En effet, tant que le Maroc ne parvient pas à produire une offre exportable à forte valeur ajoutée, les exportations du royaume continueront à être insuffisantes pour couvrir la facture des importations qui ne fait que s'alourdir. Or, ceci est un mal structurel dont le remède nécessite des stratégies étalées sur de longues périodes. Le déficit commercial, et partant celui du compte courant du Maroc, tend à s'aggraver à l'avenir et la pression qu'il exerce sur les liquidités bancaires va s'accentuer. L'autre raison avancée par les experts concerne directement l'activité même des banques. «Le secteur bancaire évolue toujours dans un contexte de pression sur la liquidité liée à une croissance plus importante des crédits par rapport aux dépôts», commentaient pour leur part les analystes de la banque d'affaires CFG. En effet, dans un contexte où la demande intérieure constitue le véritable moteur de la croissance du pays, en raison de la conjoncture qui sévit dans les pays partenaires du royaume, la machine du crédit constitue aujourd'hui le véritable stimulateur de la croissance. Quoi de plus logique donc que les officiels tentent par tous les moyens de convaincre les banques de poursuivre leur engagement envers l'économie (convention pour le financement des PME, mécanisme de garantie des crédits logements...). Le rythme de croissance des crédits ne peut donc que s'accentuer et les trésoreries bancaires seront donc toujours aussi sollicitées qu'aujourd'hui. 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