Sur la dernière ligne droite vers l'élection de leur nouveau secrétaire général, les istiqlaliens n'ont qu'une seule certitude : au sortir du Conseil national de ce dimanche à Skhirat, Abbas El Fassi aura tiré sa révérence, après plus d'une décennie aux commandes du plus vieux parti du Maroc. Cela constitue une première pour le parti de la balance, qui a toujours préféré la voie du consensus pour l'élection de son secrétaire général. Cette fois-ci, le parti sera bien obligé de recourir au jeu démocratique, en passant par la case des élections, afin de départager les deux candidats en lice. Il s'agit de Hamid Chabat et de Abdelouahed El Fassi, deux poids lourds du parti aux personnalités très différentes. Les trois mois que le parti s'est donné depuis son dernier congrès pour essayer de trouver une voie consensuelle permettant de maintenir la cohésion du parti, n'auront donc servi à rien ou presque. Ni les travaux du Conseil des sages, ni les tentatives de conciliations de la part de plusieurs figures dirigeantes n'auront permis au parti de sauver la face et encore moins la troisième voie, une hypothèse ayant fait son chemin un temps et qui voulait qu'un candidat de secours fasse l'unanimité à la place des deux protagonistes! Toutes les voies de recours allant dans le sens d'un consensus ayant été épuisées, le parti de Allal El Fassi, deuxième force politique du pays à la lecture des résultats des dernières élections législatives de 2011, est désormais dans l'obligation d'opérer enfin son virage démocratique. Ce processuss'inscrit parfaitement dans le contexte actuel, porté par une réforme politique au niveau national, qui a insufflé une véritable dose de démocratie à la pratique politique, comme en témoigne la nouvelle loi organique sur les partis, adoptée à la veille des législatives de 2011. À l'évidence, la direction de l'Istiqlal aurait bien voulu se passer de cet épisode, que certains analystes politiques appréhendent comme une difficulté pour le parti historique national à s'adapter au nouveau contexte. C'est là, d'ailleurs, tout l'enjeu du conseil national de ce dimanche. Plus que l'élection d'un nouveau leader - il en fallait de toute façon en choisir un - c'est la suite des évènements qui inquiète au niveau de la direction mais aussi de la base du parti. Duel au sommet L'Istiqlal arrivera-t-il à maintenir la cohésion en son sein au sortir de la rencontre de dimanche prochain? Rien n'est moins sûr à l'heure actuelle et en attendant le verdict des urnes. L'épisode de cette élection du secrétaire général a en effet engendré des divisions, parfois profondes au sein du parti, comme l'illustrent les sorties médiatiques des deux candidats qui se sont envoyés des diatribes enflammées par médias interposés. C'est justement sur cette question de la personnalité des deux candidats, que se joue l'avenir du parti de la balance. Entre le médecin Abdelouahed El Fassi et le syndicaliste Hamid Chabat, c'est à tout point de vue, deux parcours et deux chemins differents. Cela a été, d'ailleurs prouvé par la manière dont les deux adversaires politiques ont mené leurs campagnes respectives. Autant le très populiste Hamid Chabat, dirigeant de la très puissante centrale syndicale UGTM proche du parti, a surfé sur la vague du changement, annonçant un nouveau souffle en cas de victoire, autant le médecin Abdelouahed El Fassi, est resté sur une campagne quasi normale, consolidant son sobriquet de «pompier» et s'appuyant sur son capital politique, dû en grande parti par le poids de sa famille dans le parti, pour symboliser le candidat de la cohésion et de la continuité. Deux profils différents, donc et aucun véritable favori à la veille des élections, chacun disposant de solides atouts pour se positionner comme «l'homme de la situation». Dimanche, chacun des 900 membres du Conseil national du PI aura à faire un choix entre le changement ou la continuité. Ces arguments rendent difficile un choix, à défaut de pouvoir départager les deux candidats sur leur programme politique. Pour le moment, chacun fourbit ses armes et mobilise ses partisans et à ce jeu, force est de reconnaître que Hamid Chabat, maire et député de Fès, s'est nettement distingué. En plus d'une campagne populaire rythmée par des meetings et des sorties enflammés à chaque fois que l'occasion lui a été donnée, il a eu le mérite de rallier à sa cause la jeunesse du parti, de même que le soutien de l'organisation féminine. Pour illustrer qu'il n'est pas seulement le candidat d'une frange de la base du parti, il a reçu le soutien de certaines grandes familles comme elle de Qayouh, un terrain sur lequel son adversaire semble pourtant mieux positionné que lui. Abdelouahed El Fassi, c'est en effet, et tout d'abord, une candidature qui semble naturelle au sein de la direction du parti de la balance. Issu de la très puissante famille El Fassi, dont l'emprise sur le parti et ses différents organes n'est plus à démontrer, il bénéficie du soutien de certains membres au plus haut sommet de l'Etat, comme l'actuel ministre des finances Nizar Baraka. Le seul lien sur lequel les deux candidats se ressemblent, c'est qu'ils ont tous deux milité de longue date au sein du parti, même si le parcours est à ce niveau parallèle. D'ailleurs, à ce jeu, c'est Abdelwahed El Fassi qui dispose de plus d'avantages, car ayant siégé au moins deux fois au niveau du Conseil national, un aspect qui aurait disqualifié son adversaire si les règles pour l'élection au poste du secrétaire général n'avaient été modifiées à la dernière minute, lors du dernier congrès du parti. Il est vrai aussi que Hamid Chabat peut aussi se prévaloir d'un parcours similaire au sein du parti, même s'il a suivi un chemin différent, celui de la base au sommet, un atout qu'il adore mettre en avant. Enjeux d'ailleurs L'élection du secrétaire général du parti de l'Istiqlal, si elle cristallise toutes les attentions au niveau du parti - elle est le seul point à l'ordre du jour du Conseil national de ce dimanche - elle est pourtant suivie avec une attention particulière par toute la classe politique nationale. En effet, au delà du parti, l'enjeu est aussi de taille pour les autres partis, au vu du poids de l'Istiqlal sur la carte politique marocaine. Outre son rôle historique, qui a fait de lui «le parti de l'équilibre» selon les mots qu'aime à dire l'ancien ministre Adil Douiri, économiste en chef et membre de la direction du parti, l'Istiqlal continue à maintenir sa force de frappe électorale et son assise sur toute l'étendue du territoire national. Le parti de la balance a, en effet, été de toutes les alliances gouvernementales et peut s'accommoder, grâce à son positionnement idéologique historique nationaliste et de centre, de toutes les coalitions. Cela fait de l'Istiqlal, un parti «faiseur de rois» comme on dit dans le vocabulaire politique, car il est difficile, à ce stade de l'évolution politique du Maroc, d'imaginer une coalition gouvernementale sans bénéficier de son soutien, même si cela est loin de constituer une règle générale. Le parti du chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, actuel allié du parti de la balance, est particulièrement concerné. Il est vrai que les alliances, c'est avant tout, une affaire entre partis politiques, au delà de leurs dirigeants, mais quand on prend en compte les circonstances dans lesquelles s'est nouée l'alliance PJD/Istiqlal, les critiques qui ont suivi la désignation des ministres du PI au sein du gouvernement et les déclarations de Hamid Chabat sur ses intentions, en cas d'une éventuelle élection, de revoir «certaines choses avec le PJD», on sait d'avance vers lequel des deux candidats iront les prières de Benkirane et des militants de son parti... Abbas El Fassi, la fin d'un long règne La fin de son long mandat, entamé en 1998, a de quoi éclipser le bilan de son règne à la tête de l'Istiqlal. Ayant fait les frais du vent de réformes politiques de 2011, alors qu'il était premier ministre et avant même la fin de son mandat qui normalement devrait prendre fin cette année, Abbas El Fassi le SG du parti de l'Istiqlal quitte presque la scène politique par la petite porte. Cependant, l'histoire retiendra que sous sa direction, le parti de la balance a gagné haut la main les élections législatives de 2007, qui lui ont valu d'être désigné premier ministre, poste qu'il a occupé jusqu'en 2011. Même s'il n'a pas pu rééditer l'exploit lors des dernières législatives, Abbas El Fassi a réussi à maintenir la force de frappe électorale du parti, parvenant à positionner le PI à la deuxième place avec 60 sièges au Parlement, alors que personne ne l'attendait. C'est ce capital de confiance que son successeur aura la lourde tâche de maintenir, voir de consolider, ce qui constituera la principale responsabilité du successeur d'El Fassi. La fin de mandat d'El Fassi à la tête de l'Istiqlal coïncidera assurément avec celle de la carrière politique d'un homme d'Etat marocain qui a su jouer tous les rôles, tant dans son parti que pour les pays. Même si l'homme a plus brillé par son parcours politique au sein du parti de la balance que par ses responsabilités gouvernementales. En somme, un bilan mi-figue, mi-raisin.