L'Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC) a nommé un nouveau Conseil d'administration qui a élu, à l'unanimité, Tarik Haddi à la présidence. Ce dernier détaille les priorités de son mandat et explique sa feuille de route pour le secteur du capital investissement. Quelle est votre feuille de route pour l'AMIC ? Comme vous le savez, l'AMIC se veut un acteur engagé et influent au service d'une industrie du capital investissement responsable et éthique, créatrice de valeur pour toutes les parties prenantes du champ économique national. Mon mandat s'inscrit tout naturellement dans la continuité de ceux de mes prédécesseurs avec qui j'ai travaillé en tant que co-président de la Commission amorçage/innovation. Plus particulièrement, durant les 2 prochaines années, l'investissement va jouer un rôle crucial dans la relance économique post-Covid-19. Ces années seront donc déterminantes pour asseoir l'association comme une force de propositions incontournable pour l'avenir des entreprises marocaines. En effet, l'AMIC regroupe des compétences exceptionnelles qui se doivent d'être placées au service de la pensée économique, qui permettra à nos entreprises d'attaquer de nouveaux marchés en croissance; de gagner en compétitivité et/ou de s'engager dans de nouvelles filières industrielles innovantes. Ensuite, une industrie du capital investissement professionnelle, régulée et appuyée par les pouvoirs publics sera mieux à même de capter les investissements des institutions financières internationales de développement, des investisseurs institutionnels et grands groupes marocains et étrangers, pour accompagner financièrement et techniquement les PME sur les chemins de la croissance, de la compétitivité et de l'innovation, notamment dans les nouvelles chaînes de valeur qui vont voir le jour suite à la recomposition de la carte mondiale des échanges. Depuis le début de la crise sanitaire, l'AMIC a élaboré des recommandations économiques, fiscales et réglementaires fortes susceptibles de booster l'attractivité du capital investissement dans notre pays pour soutenir la relance des start-up, PME et ETI. Quels seront les chantiers que vous considérez comme prioritaires ? Notre priorité va tout d'abord consister à travailler main dans la main avec l'Autorité marocaine des marchés de capitaux (AMMC) pour améliorer le cadre législatif et réglementaire du capital investissement national en apportant les modifications à la loi 41-05 relative aux organismes de placement collectif en capital (OPCC), susceptible d'offrir un cadre attractif pour tous les fonds marocains. Je tiens à signaler à cette occasion que l'AMMC porte une attention particulière et constante au renforcement de l'industrie nationale du capital investissement et soutient activement toutes les propositions de notre association qui vont dans ce sens. Notre objectif commun est d'engager un processus inclusif qui permettrait à terme de transformer tous les adhérents de l'AMIC en OPCC. La régulation ainsi que les meilleures pratiques en matière de gouvernance et de contrôle sont en effet un gage de sécurité et d'efficacité pour tous les investisseurs dans les fonds de capital investissement ainsi que pour les sociétés investies par ces fonds. Avec l'AMMC, nous pourrons également avancer sur les marchés de capitaux alternatifs qui permettront d'améliorer la liquidité des fonds d'investissement, tant au niveau de leurs fonds propres que de leurs investissements. Sur le plan de la fiscalité, nous avons émis plusieurs recommandations dont l'adoption d'un crédit d'impôt pour les investisseurs – personnes physiques et morales – dans les fonds, l'exonération, la réduction de la TVA sur les frais de gestion des fonds (qui renchérit le fonctionnement des fonds marocains et grève ainsi la compétitivité de la place Maroc au détriment des autres places régionales) et des mesures en faveur de la start-up sur lesquelles je reviendrai plus en détail. Sans ces mesures fiscales, il faut bien comprendre qu'il sera très difficile de créer une dynamique forte en faveur du capital investissement dans notre pays. Enfin, nous avons proposé la création d'un fonds spécial en fonds propres et quasi-fonds propres de soutien aux entreprises marocaines, notamment à travers les sociétés de gestion membres de l'AMIC qui ont une réelle expertise dans l'investissement en PME marocaine. Et pour avancer sur tous ces chantiers, nous allons renforcer notre coopération avec l'AMMC, le ministère des Finances et la CCG dont le rôle est devenu central pour le financement de l'économie marocaine. Quel devrait être, selon vous, le rôle du capital investissement dans l'accompagnement des TPME ? De par sa nature intrinsèque, ce mode de financement permet notamment de renforcer les fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises tout en leur assurant un accompagnement actif et créateur de valeur, un rehaussement des standards de gouvernance, plus de transparence dans la gestion et plus de performance. Il permet aussi de soutenir tout type d'entreprises, qu'il s'agisse des grandes entreprises, des ETI, des PME ou des TPE, de renforcer l'entrepreneuriat au féminin et de favoriser l'émergence des start-up et des futurs champions régionaux dans les filières de la nouvelle économie. Ceci, sans oublier le fait qu'il crée et pérennise les emplois en contribuant à rééquilibrer l'approche genre, mais aussi à augmenter les contributions fiscales (IS, IR, TVA) des sociétés investies. Il faut bien comprendre que les mesures prises en faveur du financement bancaire seules ne suffiront pas pour soutenir efficacement nos entreprises. L'endettement peut même être dangereux pour la pérennité des entreprises qui ne seront pas sur des marchés en forte croissance après la crise. Pour équilibrer les structures financières de nos entreprises et financer leurs nouveaux marchés, leur compétitivité ou leur redéploiement dans de nouvelles filières innovantes, notamment dans les nouvelles chaînes de valeur, il faudra des fonds propres. Aujourd'hui, le cumul des montants levés pour le capital investissement au Maroc ne représente que 2,5% des encours de crédits bancaires aux entreprises (20 MMDH de levées de fonds pour 800 MMDH d'encours de crédits bancaires, alors que les crédits inter-entreprises avoisinent 400 MMDH), à l'image de la structure bilancielle de nos entreprises. Le financement et l'innovation sont deux aspects qui vous tiennent à cœur. Comment allez-vous les développer en tant que président de l'AMIC ? Cela fait un moment déjà que j'essaie de sensibiliser aux grandes disruptions qui vont progressivement provoquer l'effondrement de très nombreuses filières économiques dans l'industrie, le commerce, la logistique, la finance, l'éducation, la santé et même l'agriculture... qui seront transformées par l'intelligence artificielle (IA), la big data, l'Internet des objets, la blockchain, les biotech et l'agritech. Selon les chiffres 2019 de Partech, le Maroc est classé 15e en Afrique pour les levées de fonds au profit des entreprises innovantes, loin derrière le Kenya, le Nigeria, la Tanzanie, le Sénégal ou le Rwanda. De par le monde, on court derrière la supériorité quantique ou la suprématie par l'intelligence artificielle; on ne peut pas se permettre de rater ce virage de la révolution 4.0. Il faut donc tout d'abord poursuivre le travail de sensibilisation de nos décideurs sur ces mutations de fond pour lesquelles il faut consacrer immédiatement des ressources importantes humaines, matérielles et financières. Ensuite, il faudra porter le plus loin possible, notamment auprès des ministères des Finances et de l'Industrie, les propositions élaborées au sein de la Commission amorçage et particulièrement celles relatives au renforcement de la sécurité des investissements dans l'innovation, à l'amélioration de la liquidité des investissements dans l'innovation à travers le développement d'un marché boursier alternatif pour les start-up innovantes (un NASDAQ marocain ou africain), mais aussi à l'appui au rendement de ces investissements, à travers des incitations fiscales fortes pour les investisseurs dans les start-up innovantes, leurs promoteurs et les talents mobilisés. Le financement de la start-up passe aussi et surtout par le bon de commande, faut-il le rappeler. Une fiscalité encourageante pour les grandes entreprises qui externalisent leur activité R&D au profit des start-up innovantes, notamment à travers le crédit d'impôt proposé par la Commission mixte AMIC – CGEM, doit ainsi être envisagée sérieusement. Il faudra aussi accélérer la digitalisation de l'ensemble des processus de programmation, de passation, d'exécution et de contrôle (transparence, simplification et réduction des délais de traitement et de paiement) de la commande publique en encourageant l'accès des start-up marocaines. Des propositions ont également été faites pour adapter le cadre légal régissant les sociétés commerciales afin de simplifier et fluidifier les modalités juridiques des investissements et désinvestissement des fonds. Enfin, l'écosystème de l'accompagnement de la start-up, qui a été structuré grâce à l'initiative Innov Invest de la CCG, devra être renforcé par un appui plus important aux structures d'accompagnement (incubateurs, clusters, accélérateurs...), et dans ce sillage, je me réjouis que le ministère des Finances et la CCG aient mis en place un plan d'urgence Covid-19 destiné à ces structures. Mais il faut également une professionnalisation accrue des acteurs d'accompagnement et une prise en charge par l'ensemble de ces acteurs de leur écosystème, dans le cadre d'une organisation dotée d'une gouvernance, de systèmes de pilotage, et même de critères de sélection communs des projets pour agir comme un écosystème intégré orienté vers la réalisation d'objectifs à forts impacts socio-économiques et technologiques, selon les règles de la profitabilité globale. Comment voyez-vous l'avenir du secteur ? Le secteur du capital investissement va jouer un rôle déterminant durant les prochaines années, puisque la question des fonds propres et de l'accompagnement de nos entreprises, notamment de nos PME, sera au cœur de toutes les stratégies de relance. Les acteurs locaux du secteur ont en outre développé une réelle expérience depuis près de 2 décennies et disposent aujourd'hui de l'expertise et du professionnalisme requis pour non seulement pérenniser le secteur, mais le développer fortement au cours des toutes prochaines années. Une régulation plus adaptée au stade de développement actuel du secteur, renforcée et généralisée, améliorera l'attrait de l'industrie du capital investissement marocain pour les investisseurs institutionnels tant nationaux qu'internationaux. Toutefois, la place Maroc souffre aujourd'hui d'un problème de compétitivité par rapport aux places concurrentes, notamment à cause de la fiscalité du capital et de la TVA sur les frais de gestion des fonds d'investissement au Maroc, d'où l'urgence des mesures fiscales proposées par l'AMIC. Comment assurer la relance économique L'AMIC a lancé une étude relative aux impacts du Covid-19 sur les sociétés de gestion et leurs portefeuilles de participations. «Les résultats de cette recherche sont attendus avant la fin de l'été», affirme le président de l'AMIC. Pour ce dernier, la relance de la machine est tributaire des mesures qui seront mises en œuvre durant les deux prochaines années. Il s'agit notamment des nouvelles stratégies sectorielles qui devront privilégier l'intégration des nouvelles chaînes de valeur régionales et les filières de la nouvelle économie, du déploiement de Damane Relance, de l'appui au renforcement des fonds propres de nos entreprises à travers un fonds de fonds public et les mesures fiscales incitatives à l'investissement en capital et de la structuration de fonds de dettes. Ces mesures concernent également l'accélération des réformes fiscales pour l'amélioration de la compétitivité de nos PME et l'incorporation de l'informel, le renforcement de l'assistance technique et de la formation professionnelle, la stimulation de la demande nationale à travers des mécanismes d'incitation de la demande locale et internationale du «made in Morocco» et l'accélération de la transformation numérique en faveur de l'inclusion numérique et financière. Sanae Raqui