Marc de Gouvenain Traducteur de la trilogie scandinave «Millenium» Les Echos quotidien : D'où vous vient la passion pour la littérature scandinave ? Marc de Gouvenain : Enfant, je rêvais d'Islande. À 16 ans, j'y suis allé en stop + bateau et cela a débouché sur la découverte de la Scandinavie. D'autres voyages ont suivi à la fin des années 60: Danemark, Finlande et surtout de longs séjours en Suède. J'ai appris le suédois sur le tas, comme travailleur immigré : balayeur, ouvrier d'usine, professeur de français. À côté de cela, ma passion pour la littérature me faisait lire des romans suédois. J'ai rencontré un traducteur chevronné – Carl Gustav Bjurström – qui m'a proposé de traduire des poèmes, puis un petit roman, puis un autre... Que pouvez-vous nous dire de la Saga Millénium ? Quand, en fin 2004, j'ai lu les trois volumes du texte original (à l'époque en document Word et même pas encore publié en Suède), je ne l'ai plus lâché pendant des jours et nuits. Je me retrouvais comme un adolescent captivé par un livre, sans mes critères restrictifs/professionnels d'éditeur et je me suis dit que si ce livre avait cet effet-là sur moi, il l'aurait sur d'autres lecteurs. J'ai donc fait acheter les droits par Actes Sud. Etait-ce facile de le traduire ? Avec ma fidèle cotraductrice Lena Grumbach, nous avons, en trente-cinq ans, traduit près d'une centaine de romans suédois, chacun ayant ses difficultés particulières (P.O. Enquist, Torgny Lindgren, Göran Tunström, Selma Lagerlöf et beaucoup d'autres). Millenium réclamait en tout cas une constante vérification (par Internet ou auprès de spécialistes) d'éléments, de termes, d'un bon nombre de domaines : informatique, politique, armes, termes juridiques, etc À quoi est dû son succès planétaire, selon vous ? Une bonne histoire, développée sur de nombreuses pages, laissant au lecteur le temps de se plonger dedans. Plus un grand nombre de personnages, mais tous fouillés, développés et n'apparaissant pas brusquement pour disparaître ensuite. Un contexte socio-politique intéressant et peu connu des lecteurs qui pensent tout connaître de Los Angeles ou de Chicago parce qu'ils lisent des polars américains, mais pour qui ce milieu scandinave était neuf. Plus, bien sûr, deux excellents personnages de premier plan : Salander et Blomkvist. Vous avez déjà été professeur au Maroc. Parlez nous de cette expérience... J'ai enseigné l'anglais et le français, pendant quatre ans (1972-76) au collège Ibn Rochd de Berrechid. J'ai beaucoup aimé cette expérience et salue tous mes anciens élèves au passage. Le Maroc figure dans plusieurs nouvelles de mon recueil : Les trois verres de thé du Cheikh Sidi Othman. Votre expérience en Ethiopie a été très marquante aussi. Que pouvez-vous nous en dire ? C'était avant mon passage au Maroc, coopérant pendant deux ans - 1970-72 - au lycée local de Debre Zeit. J'avais tout juste 23 ans, et vivre dans un pays à la fois fascinant d'exotisme et terrifiant de pauvreté, m'a à jamais formé, disons dans ma vision géopolitique et humaine du monde. J'ai écrit plus tard sur ce séjour, et des retours, un livre : Retour en Ethiopie. Quels sont vos futurs projets en tant qu'écrivain ? Je ne suis plus éditeur depuis quatre ans, mais je travaille comme agent littéraire et encore une fois, je passe plus de temps à promouvoir des auteurs, à les aider à écrire, qu'à écrire moi-même. Je le voudrais, pourtant. J'ai bien sûr deux trois idées en tête, ce sera du roman. Quels sont les thèmes qui inspirent le plus votre littérature ? Un mélange de ce que je connais le mieux: le vaste monde, la géographie, les sciences naturelles, et moi-même, mon imaginaire, mes délires. Mais il y a un tas de choses que je maîtrise très mal : savoir créer des personnages, par exemple. Vous avez exercé plusieurs métiers en dehors de la littérature, à quoi est due cette polyvalence ? Une fois passées mes années d'enseignement à l'étranger, je n'ai pas voulu être enseignant en France. J'ai essayé de vivre de mes traductions, et cela a été très difficile, d'où une multitude de «petits/grand boulots» pour survivre, allant de la taille des vignes à l'accompagnement de voyages lointains. Mais je me suis accroché et il y a eu de plus en plus de traductions, puis on m'a demandé d'être directeur de collection. Parlez nous de votre parcours chez Actes Sud ? Hubert Nyssen voulait publier des auteurs scandinaves, en 1984. Il a entendu parler de moi comme traducteur (j'avais déjà traduit pour Gallimard, Flammarion, Denoël...). Je lui ai conseillé d'éditer Torgny Lindgren, ce qui a été un succès. La porte m'a été ouverte de directeur du domaine scandinave. Puis, comme je voyageais beaucoup, Actes Sud m'a demandé d'ouvrir une collection de récits de voyages, puis de Littérature des antipodes, et plus tard cela a été la collection Actes Noirs. Et j'ai mené toutes ces collections, plus quelques beaux-livres, seul et en free-lance, ce qui représente un énorme travail, excluant quasiment les vacances ou un temps pour soi. L'âge de la retraite arrivant en même temps que le succès de Millénium, beau fleuron pour terminer une carrière, j'ai quitté Actes Sud. Depuis mes grands-parents libraires, j'ai la littérature dans la peau, je continue donc, plus paisiblement, comme agent littéraire, entre autres celui du best-seller international du suédois Jonas Jonasson : Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, (Presses de la Cité).