Si on ne réagit pas maintenant, on va droit dans le mur. C'est en substance le message adressé par les économistes istiqlaliens suite à la dégradation de la conjoncture économique. Quelques jours à peine après que Nizar Baraka et son chef de gouvernement aient tiré la sonnette d'alarme pour annoncer «aux Marocains» l'ampleur des difficultés que traverse l'économie nationale, c'est au tour des économistes du parti de la balance de sortir pour appeler à l'urgence d'une réaction face à ce contexte. «Si on ne fait rien, on n'aura plus de croissance, les prix vont augmenter et on sera mis sous tutelle la tutelle des institutions internationales», prévient Adil Douiri, président de l'Alliance des économistes istiqlaliens. Cette situation se traduirait par une forte dévaluation de la monnaie marocaine, le rétablissement de barrières douanières et de ce fait, une forte récession. En effet, les risques qui pèsent aujourd'hui sur l'économie nationale deviennent de plus en plus lourds, et ce n'est évidemment pas le parti de l'actuel ministre de l'Economie et des finances qui va le démentir. Ces risques découlent directement de la conjoncture internationale. Celle-ci, au lieu de se rétablir, empire jour après jour. À cela, il faut ajouter le renchérissement continu des prix des matières premières, qui n'est pas favorable au redressement de l'économie mondiale. Dans ce contexte, le Maroc se voit contaminé directement via ses échanges extérieurs. «Ce n'est pas le déficit budgétaire ou le taux d'endettement du Maroc qui constituent un problème, mais plutôt le déséquilibre de la balance commerciale», souligne-t-on auprès des istiqlaliens. Selon les estimations faites par Douiri et son équipe, le Maroc éprouve aujourd'hui un besoin d'injecter 50 à 60 milliards de DH supplémentaires chaque année dans les revenus à l'export du royaume pour assurer un équilibre de sa balance commerciale. Tant que cela n'est pas fait, les réserves en devises du royaume continueront à s'effriter jusqu'au point où le Maroc ne pourra plus payer ses importations. Pour rappel, aujourd'hui le niveau des réserves de changes s'établit à 4 mois, soit à peine 2 mois de plus que le seuil critique fixé par le FMI. Cette fonte des réserves nous amène, selon l'alliance, directement vers les accidents macro-économiques des années 80, qui ont conduit au plan d'ajustement structurel. Comment en est-on arrivé là une fois encore ? Pour les économistes istiqlaliens, le Maroc a bien pris conscience de la nécessité de mettre en place des stratégies visant à renforcer ses exportations, au moins depuis la conclusion de l'accord de libre-échange avec l'Union européenne. «Ces plans ont été bien faits dans l'ensemble. Cependant, la façon de les construire et de les concrétiser est lente, parce qu'elle dépend de plusieurs facteurs qu'il faut prendre en compte en même temps», déplore Douiri. Ces facteurs, ce sont principalement la multiplication des acteurs prenant part à la mise en œuvre de ces stratégies. Mais ceci n'est pas tout. La situation que vit le Maroc aujourd'hui est également imputable à l'amélioration du niveau de vie des Marocains. En effet, le pouvoir d'achat a fortement augmenté ces dix dernières années, ce qui n'a pas manqué de tirer vers le haut la consommation des ménages. Baisse de l'impôt sur le revenu, baisse des droits de douanes, augmentations de salaires... tous les éléments ont été réunis pour que les Marocains consomment plus. Or, «dans toutes les économies du monde, la forte croissance de la consommation interne profite inéluctablement aux importations, et c'est ce qui est également arrivé au Maroc», ajoute-t-on auprès du parti de l'Istiqlal. À cela, il faut ajouter les programmes d'investissement publics qui se sont inscrits dans une tendance exponentielle mais qui, pour se concrétiser, faisaient souvent appel à l'importation de produits et matériels de l'étranger. «Le coup de grâce a été donné par l'explosion des prix du pétrole», ajoute-t-on auprès de l'Istiqlal. Le Maroc s'est donc rapidement retrouvé dans une situation où il n'arrivait pas à faire croître son chiffre d'affaires à l'export alors qu'en parallèle il importait de plus en plus de biens d'équipement et de consommation de l'étranger. C'est là l'équation fatale que la crise économique internationale a mis à nu. Peut-on alors rattraper le coup ? Le Programme d'ajustement structurel peut-il encore être évité ? L'alliance des économistes istiqlaliens maintient l'espoir et propose aujourd'hui trois pistes urgentes pour redresser la barre. La première et la plus importante, aux yeux de Adil Douiri, c'est de revoir le rôle de l'Etat dans la mise en œuvre des stratégies exportatrices critiques, notamment celles du tourisme, de l'offshoring et de l'industrie. L'Etat doit désormais être directement impliqué dans l'accélération des projets stratégiques, comme cela a été le cas pour la réalisation du complexe de Renault à Tanger. Dans le même sens, l'Alliance préconise de déplacer l'effort d'investissement public de l'Etat pendant quelques années, de manière à remplacer les investissements en infrastructures «pures» vers la concrétisation de projets de construction d'unités industrielles et de stations touristiques. «Nous préconisons de ne pas lancer de nouveaux projets autres que ceux en cours et dont l'achèvement est en retard», insiste-t-on auprès des istiqlaliens. Ils ajoutent qu'il devient désormais indispensable de renforcer le dispositif réglementaire de préférence nationale, pour freiner les importations de services. Ceci dit, la proposition des istiqlaliens qui paraît aujourd'hui la plus compliquée à mettre en place concerne directement les ménages. Pour eux, il est hors de question que l'Etat continue à stimuler la consommation comme il l'a fait jusque là. «L'urgence désormais n'est pas de consommer, mais plutôt de produire», insiste Adil Douiri. Pour lui, de toute manière, si on ne stabilise pas la consommation aujourd'hui, elle risque de freiner brusquement, si PAS il y a. C'est donc là l'un des points sur lesquels devrait plancher en urgence le gouvernement pour sauver ce qui peut encore l'être. Mobilisation Que faut-il retenir de cette sortie des économistes istiqlaliens ? Bien qu'ils nient que cette sortie médiatique ait un but politicien, il est en effet difficile de ne pas faire le lien avec les récentes sorties du ministre de l'Economie et des finances, istiqlalien à l'origine, et dont les dernières déclarations s'inscrivaient justement dans la même logique que les propositions faites par l'alliance. Même si ce n'est pas dit explicitement, il est aisé d'en déduire que c'est une manière intelligente de soutenir le ministre de l'Economie et des finances dans l'une des phases les plus complexes qu'il aura connue dans sa carrière politique ? Beaucoup de questions surgissent au lendemain de cette sortie des istiqlaliens, mais une chose est au moins sûre : la mobilisation semble aujourd'hui générale dans ce pire contexte économique que le Maroc aura connu depuis le début des années 80. A ce titre, les istiqlaliens ont marqué un point en rendant le débat public.