Le «hârf»- lettre arabe- naît et renaît. Une nouvelle dimension de renouvellement lui sera aujourd'hui donnée avec l'hommage que lui donne l'exposition «Souffle» organisée par la Villa des arts de Rabat. Un nouveau souffle aussi qui sera visible à travers divers supports du 6 juillet au 31 août. Khalid Bayi, Ahmed Ben Ismael, Mohamed Boustane, Noureddine Chater, Larbi Cherkaoui et Noureddine Daifallah, ces différentes plumes feront frémir la lettre arabe pour projeter le visiteur dans les origines de la civilisation arabo-musulmane qui a fait du trait, tout un art. Une sorte d'épanouissement à un art si précieux qui a suscité l'intérêt de plusieurs chercheurs et artistes et qui a même fait l'objet de prestigieuses expositions et publications. C'est que la calligraphie donne à la lettre ses atours graphiques et «sous influence perse, sait être le modèle réduit, la miniature qui va tenir lieu d'exemplaire plus que d'exemple, de schéma plus que de détail à bon nombre de principes architecturaux», comme l'expliquait d'ailleurs le professeur Ali Benmakhlouf, dans son livre «C'est de l'art» ( DK éditions-2012). L'exposition est organisée, soulignons-le, en collaboration avec le ministère de la Culture, la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc, la Bibliothèque Sbihi et le collectionneur Rachid Sbihi . La calligraphie arabe, c'est le «tracé» d'une culture, d'une histoire ... Depuis les ottomans déjà, le «harf» avait commencé creuser son courant esthétique qui allait plus tard motiver tout un courant de lettresisme qui fait sa propre référence au patrimoine séculaire musulman. Si bien que certains, comme l'Irakien Hassan Massoudy ou le Jordanien Nassar Mansour, conservent la lettre arabe inscrite dans des mots, voire des sentences. D'autres rendent volontairement illisible la lettre arabe comme la Palestinienne Leïla Shawa. Des noms aujourd'hui très connus illustrent ce mouvement comme ceux de Mohammed Ehsaï en Iran, Nja Mahdaoui en Tunisie, Ali Omar Ermes en Libye. Bayi, la lettre dans l'espace Chez Khalid Bayi, le lettresisme est en 3D. Faisant jouer les oppositions de lumière et d'ombre, les superpositions de Bayi sont troublante tant la lettre s'articule dans l'espace pour se fondre, comme tracée par le «qalam», dans cet insolent moulage en cuivre où la lettre s'affirme. Ben Ismail, une lettre au fond... Cumulant ses dons de peintre et de photographe, Ahmed Ben Ismail a ce lien avec la lettre qui lui permet de l'incarner d'un subtile trait abstrait. Pour lui, la lettre est toujours l'élément secondaire du chiffre. Un fond et non une figure. Quand on connaît Ben Ismail, on comprend bien que ce chiffriste étalera la lettre en accessoire au chiffre arabe. Boustane, explosif ! Il joue de la lettre, l'étire, l'amasse, et va jusqu'à tracer une nouvelle articulation à la lettre pour la déplacer. Ce sont des explosions de lettres que Mohamed Boustane signe de son pinceau. Très fortes graphiquement, les créations de ce professionnel donnent tant de formes et de tailles au trait jusqu'à l'émerveillement. Chater, l'effet mixte Il a fait de l'agrandissement, sa principale force. Isoler , agrandir les lettres arrondies comme le nûn ou le bâ, ou mêmes les linéaires comme le âlif... des techniques qui donnent cette force aux calligraphies de Chater. Il balance entre les techniques et les effets, laissant à celui qui apprécie son œuvre, cette séduction du «hârf». Cherkaoui, autrement... Ses lettres parlent, et la peau porte la dimension de ses œuvres. Larbi Chrekaoui a su donner un nouveau souffle à la calligraphie pour offrir une énergie et une liberté au trait sans pareils. Une force de la lettre où les couleurs de la terre crient le son qu'elles illustrent. Daïfallah, des ombres et des lettres C'est avec le roseau qu'il a commencé ses tracés, et a opté ensuite pour le pinceau et d'autres supports et couleurs jusqu'à se trouver l'ancrage de son style que Noureddine Daïfallah incarnera tantôt par des tailles de lettres ou des couleurs différentes, tantôt par des ombres portées à son oeuvre, ou des effacements qui en rendent le déchiffrage de l'oeuvre impossible mais dont ils n'écorchent aucunement la beauté.