Intelligence économique. Le Maroc ne dispose toujours pas d'un modèle d'action unifié en la matière. La structure actuelle de l'économie marocaine, dominée par les services, rend incontournable cette démarche. Mise à niveau du cadre légal et des dispositifs d'appropriation de l'information, absence de la logique offensive... beaucoup de gaps restent à combler Quel lien y a-t-il entre l'implantation à Tanger par Renault d'une usine automobile à la pointe, les performances stratosphériques de l'Office chérifien des phosphates et le don de 750 millions de dollars débloqué par les Etats-Unis au bénéfice du Royaume dans le cadre du Millenium Challenge Account? Dans tous ces faits, le succès est venu par un effort d'intelligence économique, pourtant, le Maroc n'a pas encore de modèle d'action unifié en la matière, qu'il s'agisse de public ou de privé. Tel était du moins le leitmotiv des experts qui se sont exprimés lors du colloque international tenu en fin de semaine passée à l'Université Mundiapolis. Traitant du thème «Intelligence économique et stratégie d'influence», l'évènement était organisé par l'Association marocaine d'intelligence économique (Amie). Qu'on se le dise il n'y a pas encore, à proprement parler, de modèle marocain d'intelligence économique. «Il est encore en construction et ses méthodes sont en cours de consolidation», pense Ahmed Azirar, professeur à l'Iscae et président de l'Association marocaine des économistes d'entreprises (Ameen). Cela n'empêche pas que quelques actions ponctuelles relevant de l'exercice d'une intelligence économique soient observables au niveau national. Mohamed Chafiki, directeur des études et des prévisions financières (DEPF), cite en exemple la cellule de veille stratégique constituée au niveau de son département dès les prémices de la crise internationale. Une action encore balbutiante Cette structure a constitué une base pour la confection des lois de Finances de ces dernières années, prenant en considération le caractère exportateur de certains secteurs, et leur degré d'exposition à la concurrence internationale. Inscrite sous le signe de l'échange, la démarche a, par la suite, donné lieu à la création du comité de veille stratégique. En somme, «cela a été une expérience unique dans l'histoire du pays, soulignant l'impératif de faire avancer le travail sur l'information, le monitoring, la production et le traitement de l'information», explique Chafiki. Dans la sphère privée aussi, des actions attestant d'initiatives d'intelligence économique peuvent être signalées. C'est que «l'entrepreneur marocain est un lobbyiste né», fait observer Ahmed Azirar. Des partenariats public-privé s'exercent naturellement dans ce sens, relève l'expert. «Beaucoup d'acteurs, qu'il s'agisse de banques, de grands groupes ou d'organes étatiques font de l'intelligence économique», résume donc Driss Guerraoui, vice-président de l'Association marocaine d'intelligence économique. Bémol, tous ces acteurs travaillent en vase clos, informe le spécialiste. Cela justifie, entre autres, que l'action d'ensemble des acteurs marocains, en termes d'intelligence économique, reste encore balbutiante. Sur le champ de la défense, impliquant les mécanismes de veille basique, la marge de progression reste importante comme en témoigne le retard pris par les exportateurs nationaux pour intégrer les nouvelles normes procédurales pour exporter vers l'Union européenne. Sur le champ de l'influence, le retard à combler est d'autant plus marqué. «Nous n'avons pas encore de réseau d'expansion», fait observer à juste titre Azirar. Avec tout cela, on reste bien loin des actions de lobbying à l'étranger. À contrario, sur ce dernier volet, «le Maroc apparaît plus comme un champ d'intelligence économique vers l'étranger, à savoir que beaucoup d'informations de source locale profitent à l'étranger par le biais des études», éclaire Azirar. Pourtant, le timing pour que le Maroc installe une stratégie d'intelligence économique d'ensemble est des plus serré. «La dernière décennie, en parallèle avec l'évolution économique du pays et la diversification de nos structures économiques, a vu la réunion progressive des conditions objectives du développement de l'intelligence économique», insiste Chafiki. Qui plus est, la structure actuelle de l'économie marocaine, dont plus de 54% consiste en services (secteur financier, télécommunication et services aux entreprises, etc.), astreint à développer une veille économique fiable. Pour installer ce dispositif, Chafiki recommande de renforcer l'actuel système de production, d'organisation et de traitement de l'information. Vers une logique offensive Cependant, il ne s'agit-là que d'une seule recommandation parmi de nombreuses autres conditions de développement formulées par les experts, car il reste encore pour l'ensemble des acteurs à s'approprier cette information, énumère Chafiki, ce qui passe par le développement d'une culture économique au niveau global. Le directeur de la DEPF juge également que l'information continue aujourd'hui d'être produite en grande partie sous forme agrégée, aussi est-il requis qu'elle soit davantage détaillée afin de pouvoir donner lieu à une exploitation plus fine. A ce titre, il est jugé que le Maroc présente aujourd'hui de grands gaps, en termes d'analyse économique qui sont à rattraper. «Nous faisons beaucoup d'efforts, en termes de production d'information, mais nous perdons cet avantage au niveau de l'analyse», estime Chafiki. À cela s'ajoute le fait que les acteurs nationaux ne soient pas encore imprégnés par une culture de l'information. «La circulation de l'information au sein même du ministère des Finances se fait au prix de batailles rangées», de l'aveu de Chafiki. Il faut dire que les acteurs du secteur privé ne dérogent pas non plus à ce manque de partage. En lien, Mohamed Lahlou, président du directoire de l'Esith, recommande une plus grande mutualisation de l'information entre les entreprises. Avec tout cela, il reste le volet légal. Un nouveau projet de loi sur la diffusion de l'information est actuellement en discussion au gouvernement et le débat se développe sur la question. Pour apprécier les insuffisances du cadre légal actuel en la matière, Chafiki, témoigne : «La DEPF est parfois hors-la-loi, au vu de ce qu'elle diffuse et compte tenu de l'obligation de réserve». Le tout, s'accordent à dire les spécialistes, est de transiter d'une démarche défensive vers une logique offensive. Le futur Conseil économique et social est appelé à jouer un rôle déterminant sur ce plan.