Une proposition de loi qui fait tâche... d'alcool. Le texte déposé par quatorze députés du groupe de la Justice et du développement au Parlement, et visant à interdire toutes les formes de publicité pour certains produits, chauffe aujourd'hui les producteurs de raisins. Hier, en effet, ceux-ci se sont associés aux professionnels du tourisme pour frapper à la porte du président du Parlement, Karim Ghellab. Comme arme de riposte, la Fédération nationale du tourisme (FNT), celle des restaurateurs (FNR), celle de l'industrie hôtelière (FNIH) et celle des agences de voyages (FNAVM) sont venues soutenir l'Association des producteurs de raisins au Maroc en signant un courrier commun qui devait être déposé, hier, au Parlement. Ledit courrier (dont les Echos quotidien détient une copie) a été adressé à Karim Ghellab, président du Parlement, aux présidents des groupes parlementaires et une copie a été transmise au chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane. Il y est question de souligner que «la réglementation de la publicité des boissons alcoolisées (...) mérite un débat de fond, que le Parlement serait en mesure de fournir à travers une mission d'information bi-partisane». Ces professionnels ajoutent également dans leur correspondance que cette «mission d'information permettrait d'auditionner professionnels et experts, ainsi que d'évaluer l'impact des mesures projetées sur l'ensemble des secteurs que nous représentons». La démarche s'inscrirait en ligne droite avec les «pratiques dont le chef de gouvernement s'est fait le promoteur durant la campagne législative de l'automne dernier», précisent les rédacteurs du document, comme pour rappeler au Chef de gouvernement sa promesse d'ouverture, de tolérance et de respect des libertés de chacun. Les arguments avancés versent principalement dans la défense de la viniculture mais aussi du tourisme national. Le «lobby» ainsi constitué estime ainsi que l'interdiction des publicités des boissons alcoolisées serait de nature à réduire les emplois dédiés au marketing et à la commercialisation. «Les implications de cette loi vont bien au-delà de la seule industrie de production des vins et autres alcools, mais toucheront également les grandes surfaces, les hôtels, les cafés, les restaurants et les agences de communication et de publicité», estiment les opérateurs. In fine, l'alarme est aussi déclenchée pour un secteur touristique national qui se débat déjà pour assurer sa rentabilité sur fond de crise dans les principaux pays émetteurs. Le produit national, qu'il s'agisse de celui offert par les hôteliers ou par les restaurateurs, perdrait ainsi de son attrait avec une telle décision, soutient-on auprès des signataires de la lettre datée du 11 juin, et comme pour jouer sur les cordes sensibles du gouvernement, certains de ces professionnels indiquent que le texte pensé par le bras idéologique du PJD au Parlement, pour préserver la morale, ne fera que renforcer le secteur informel. Cela étant donné que les alcools «formels» ne pourront être distingués par le consommateur de ceux «informels» et qu'il en va du respect des normes sécuritaires et sanitaires. «Cette loi va à contresens de son objectif affiché d'intérêt public», estiment les opposants de la proposition de loi. Techniquement... Sous la coupole, les exigences réglementaires permettent encore une marge de manœuvre aux professionnels. Plus de deux semaines après le dépôt de la proposition de loi au bureau de la Chambre des représentants, ce dernier n'a pas encore transmis le texte projeté pour son examen devant la commission des secteurs productifs. Un délai est en effet donné aux groupes parlementaires afin de mesurer le degré d'adhésion des autres formations à la nouvelle proposition, sinon un retrait du texte reste une option envisageable. Dans tous les cas, le projet composé de 8 articles devra «être examiné successivement par les deux Chambres du Parlement pour parvenir à l'adoption d'un texte identique. La Chambre des représentants délibère la première sur les propositions de loi initiées par ses membres», comme le prévoit la Constitution qui ajoute que c'est «la Chambre des représentants (qui) adopte en dernier ressort le texte examiné». Ce qu'il faut savoir, c'est que pour faire passer sa proposition de loi, le PJD a encore besoin d'approbateurs, ce qui renvoie la balle dans le camp des représentants. Il faut en effet une majorité aux 2/3 pour marquer le point. Cela suppose que le texte en question retienne l'attention également du PAM ou alors du RNI, ce qui n'est pas chose aisée aujourd'hui pour le parti de Benkirane, encore moins après les bras de fer des derniers jours. Cela, bien sûr, s'il n'est pas retiré entre-temps du circuit législatif. Le PJD finira-t-il par mettre de l'eau dans son vin ? Priorités La nouvelle proposition de loi tend la perche à ces professionnels qui y trouvent l'occasion de jeter la lumière sur les problématiques du secteur. Auprès de ce «groupement», l'on signale que le plus important n'est pas d'imposer une interdiction des publicités, mais plutôt de mettre en place de «vrais programmes de sensibilisation et de prise en charge des problèmes de santé liés à l'alcoolisme». L'important est donc dit : les professionnels plaident d'abord pour une législation qui renforcerait la protection des mineurs, une amélioration de la santé publique ou encore une lutte contre les canaux clandestins et à la contrebande.