La réforme du système de compensation est décidément bien en marche. Au lendemain de la revue à la controversée hausse des prix à la pompe, le Conseil de la concurrence rendait publiques, hier à Rabat, les conclusions de l'étude qu'il a menée, en interne cette fois-ci, sur la réforme du système de subventions. D'emblée, on peut d'ores et déjà dire que le Conseil a mâché le travail pour le gouvernement en proposant deux pistes de réforme substantielles, dont l'une paraît aujourd'hui des plus plausibles. Ceci dit, ni l'une ni l'autre de ces propositions, ne manqueront d'engendrer des coûts supplémentaires à la fois pour la société civile et pour les opérateurs économiques, de quoi jeter de l'huile sur le feu et renforcer davantage la polémique autour d'une réforme des plus urgentes. En effet, l'institution présidée par Abdelali Benamour propose une libéralisation des prix des produits subventionnés selon deux approches. La première consiste en une libéralisation totale des filières sucre, farine et produits pétroliers avec le maintien de la fiscalité en vigueur au niveau de la consommation. En d'autres termes, aucune contrepartie aux surcoûts engendrés par la libéralisation ne sera accordée aux ménages et aux opérateurs économiques. Cette mesure paraît comme la moins contraignante pour les finances publiques dans le sens où elle permettrait d'économiser l'ensemble du montant que l'Etat réserve à la compensation, soit plus de 51 MMDH (montant dépensé en 2011). Cependant, les répercussions socio-économiques d'une pareille démarche risqueraient d'être des plus délicates. Du coup, c'est l'option d'une libéralisation des prix ajustés par un accompagnement de l'Etat sur d'autres volets qui paraît aujourd'hui des plus plausibles. Selon le Conseil de la concurrence, la proposition est d'intégrer une modulation de la fiscalité avec des aides aux catégories cibles de la population ainsi qu'aux opérateurs économiques. L'enjeu que présente ce scénario est que l'Etat supporte à travers d'autres supports que les subventions, les surcoûts que générerait une libéralisation des prix. Le résultat qu'apporterait une pareille mesure est une économie budgétaire de 46,5 MMDH, de laquelle l'Etat pourra dépenser un montant maximum de 14,8 MMDH dédiés aux opérateurs économiques. Au final, l'économie budgétaire nette varierait entre 25 et 30 MMDH selon la taille de la population cible pour les aides aux ménages et le montant de transfert par personne et par an. En quoi consiste donc concrètement ce système ? La clé, le ciblage des aides L'étude menée sous l'ère du gouvernement El Fassi et que le Conseil de la concurrence avait commandité auprès d'un prestataire externe, propose dans ce sens, pour la filière sucrière, la suppression des droits à l'importation du sucre brut qui s'établissent à 35%. «Il pourrait être envisagé une application de ces droits uniquement lorsque les cours baissent afin d'assurer la protection de l'amont agricole», explique-t-on auprès de l'équipe de Benamour. Dans la même filière, l'accompagnement pourrait se faire via la suppression de la taxe sur la valeur ajoutée. Pour ce qui est du gaz butane et des fuels, le Conseil retient dans le scénario proposé la suppression de la taxe intérieure à la consommation (TIC) ainsi que la TVA. «Ces modulations fiscales réduiraient les recettes fiscales de plus de 5,2 MMDH», ajoute la même source. L'introduction de cette réforme fiscale permettrait ainsi aux opérateurs économiques de réduire le surcout engendré par la libéralisation et d'appliquer de ce fait des prix de ventes des produits, jusque-là subventionnés, moins élevés que dans le scénario d'une libéralisation simple des prix. Parallèlement, le scénario tel que proposé par le Conseil de la concurrence prévoit des aides maximales pour les opérateurs économiques équivalentes au montant du surcoût à supporter. Pour ce qui est du sucre, l'aide serait donc de 660 MDH tandis que pour les produits pétroliers, l'Etat verserait 14,13 MMDH. Au niveau des transports qui consomment pour rappel 34% du gasoil, le montant de l'aide atteindrait 7 MMDH alors que pour les industries utilisant le fuel on prévoit 1,73 MMDH et pour la production d'électricité, l'aide serait de 5,4 MMDH. En tout, cela reviendrait donc à accorder une aide de 14,8 MM DH/an au maximum. «Cette aide ne serait efficiente que dans la mesure où elle répondrait, avec une temporalité limitée, à des objectifs socioéconomiques précis», insiste-t-on auprès du Conseil de la concurrence. Il s'agit notamment de la formalisation des entreprises, la déclaration des salariés aux systèmes de prévoyance sociale ou encore des objectifs de productivité de manière à relever la compétitivité de l'économie nationale. Quelle population cible ? Ceci dit, si cela permettra de réduire la pression du coût de la vie sur les ménages, elle n'empêchera cependant pas que les populations démunies et celles à faibles revenus d'être directement touchées par la hausse inévitable des prix de ces produits. C'est de là que découle la proposition d'appliquer des aides directes aux catégories cible de la population. Il s'agit pour le Conseil de la concurrence d'assurer un transfert monétaire vers ces populations. Pour ce faire, il a été établi une simulation de l'impact direct de cette libéralisation sur le panier de la ménagère, en prenant en considération les modulations fiscales accordées aux opérateurs. Ainsi, il en ressort que les dépenses supplémentaires seraient de 335 DH par personne chaque année pour le quintile le moins favorisé de la population et 426 DH pour le deuxième quintile le moins favorisé de la population. Pour ce qui est des populations les plus aisées, les estimations font ressortir des dépenses de 788 DH par personne. La question est donc de savoir quoi donner à quelle catégorie sociale. Sur ce dernier point, le scénario élaboré par le Conseil de la concurrence tient compte de trois options possibles. La première reviendrait à choisir les populations vivant en dessous du seuil de pauvreté relatif dont la part dans la population totale est de 8,9%, ce qui correspond à environ 2,84 millions de personnes. Ensuite, le gouvernement pourrait opter pour le ciblage des populations retenues pour le régime d'assurance maladie pour les personnes défavorisées, le RAMED, qui concerne 28% de la population, soit 8,9 millions de personnes. La troisième possibilité est de considérer les catégories sociales retenues par le HCP et de retenir les deux premiers quintiles de la population, soit 40% de la population totale ou 12,7 millions de personnes, correspondant à la catégorie des pauvres, des vulnérables et une part de la classe moyenne. Quelle que soit la catégorie retenue pour le ciblage, le scénario propose dans une première hypothèse de transférer le montant des dépenses supplémentaires occasionnées par la hausse des prix pour le deuxième quintile, soit 426 DH/personne/an. Le résultat découlant de cette mesure serait une amélioration du pouvoir d'achat des populations pauvres et vulnérables, et le maintien de celui des personnes appartenant au deuxième quintile. La deuxième hypothèse proposée est de transférer le montant des dépenses supplémentaires occasionnées par la hausse des prix pour le troisième quintile et qui coïncide avec les niveaux de consommation moyens de chacun des produits concernés par les subventions. Dans ce sens, il serait question d'accorder à la population cible 508 DH/personne/an. Notons par ailleurs que le Maroc pourrait également s'inspirer du modèle brésilien et accorder une aide forfaitaire différenciée. Il s'agit d'un côté de fixer un montant de 500 DH par ménage et par mois, soit 6.000 DH par ménage ou 1.200 DH par personne et par an, aux populations vivant sous le seuil de pauvreté. D'un autre, l'aide forfaitaire aux populations concernées par le RAMED et non pauvres serait de 250 DH par ménage et par mois soit 3.000 DH par ménage ou 600 DH par personne et par an.