Le marché marocain des céréales attise les convoitises des grands producteurs internationaux. Cet appétit fait suite aux perspectives d'une montée en flèche des importations marocaines cette année, à la suite d'une campagne agricole difficile au niveau national. Les premiers à se manifester sont les exportateurs américains, qui se préparent à une vaste offensive destinée à reconquérir leur part du marché. C'est en tout cas la décision que vient de prendre le conseil américain des exportateurs de céréales, US Grains Council. Lors d'une réunion tenue la semaine dernière, les exportateurs américains ont convenu d'«intensifier leurs efforts afin de reconquérir leur part du marché marocain, dont les besoins en matière d'importations devraient s'élever cette année». Pour se donner les moyens de ses ambitions, le US Grains Council a annoncé orienter désormais son attention vers «les initiatives visant à récupérer la part américaine du marché Maroc pour les importations de céréales, principalement secondaires», selon Cary Sifferath, directeur régional du Conseil. Il faut dire que ce regain d'intérêt pour le Maroc fait suite à la publication, en mars dernier, d'un rapport du département américain de l'Agriculture sur une sensible augmentation des besoins marocains en matière de céréales. «Les importations de blé du Maroc devraient atteindre les 5,6 millions de tonnes, au cours de la campagne 2012-2013», ont estimé des experts américains. «Un niveau record», selon ces derniers, qui placera le Maroc, en 7e position des pays importateurs de blé mais qui restera, toutefois, derrière l'Egypte et l'Algérie. Cette tendance est confirmée par les statistiques du ministère de l'Agriculture du Maroc. Selon le ministre Aziz Akhannouch, qui dressait l'état de la situation à l'occasion des Assises de l'Agriculture récemment tenues à Meknès, la production nationale ne devrait pas excéder les 4,8 millions de quintaux cette année. Cela correspond presque à la moitié de la récolte, assez exceptionnelle, enregistrée la saison précédente (8,4 millions de quintaux). La situation rejaillit sur le volume des besoins en importations, qui passent, ainsi, de 3,2 à 4,5 millions de quintaux, selon les estimations l'Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses (ONICL). Satisfaire les besoins supplémentaires à l'import «L'USGC travaillera avec les autorités de passation des marchés de céréales marocains afin de les aider, depuis la source, à satisfaire leurs besoins supplémentaires en matière d'importations », a souligné Cary Sifferath, qui s'appuie sur la disponibilité des stocks aux Etats-Unis. Les exportateurs américains devront faire cependant face à une rude concurrence de la part de plusieurs pays d'Europe et d'Amérique latine qui, d'année en année, ont consolidé leur présence sur le marché marocain. Il faut dire que jusqu'au milieu de la dernière décennie, les Etats-Unis ont joué un rôle important sur le marché marocain des importations de céréales. Avec des parts qui pouvaient atteindre les deux tiers des importations nationales, les Etats-Unis ont vu leur présence chuter, en dépit de l'accord de libre-échange qui les lie au Maroc. Une régression au profit de plusieurs pays de l'Union européenne et d'Amérique du Sud, ainsi que de la Russie ou de l'Ukraine. Actuellement, c'est la France qui reste le principal fournisseur du royaume, notamment pour le blé tendre, avec une part estimée à 63% contre 9% pour les Etats-Unis qui s'adjugent la même part que l'Argentine. À fin mars dernier, la France détenait 41%, contre 21% pour le Brésil et 13% pour le Argentine. Selon les chiffres de l'ONICL, la France se positionne en chef de file sur le marché du blé, alors que le Brésil et l'Argentine dominent les exportations de maïs. La tâche s'avère donc assez compliquée pour les exportateurs américains, surtout que les traditionnels partenaires du Maroc sont également décidés à maintenir leurs positions. Cette arrivée en force annoncée par les Américains ne semble, d'ailleurs, pas inquiéter leurs homologues français. Interrogé, le responsable du Bureau de France céréales au Maroc, Yann Lebeau, indique que cela ne fera que «stimuler la concurrence, surtout dans un contexte difficile pour le Maroc qui aura besoin de tout le monde». Cet avis est partagé par Cary Sifferath lequel, tout en reconnaissant «une concurrence croissante», s'appuie sur la sécheresse qui a été enregistrée au Maroc et qui a engendré «une intensification des pressions pour subvenir aux besoins d'alimentation et, par conséquent, élargir les opportunités pour les exportations américaines». Pour Yann Le Beau, ce sont les avantages comparatifs des céréales françaises, comme la disponibilité, le prix et la proximité qui feront la différence, sans occulter le critère de qualité qui demeure, également, déterminant. Selon ce dernier, même les dispositions contenues dans les différents Accords de libre échange ne pourront renverser, à court et moyen terme, la tendance puisque «ces accords ne seront utilisables que si les droits de douanes sont appliqués». Or, à la suite des décisions prises par le gouvernement pour assurer un approvisionnement normal du marché, les droits de douane ont été suspendus jusqu'à ce mois-ci. Suspension qui vient d'être prorogée d'ailleurs, en vertu du Bulletin officiel du 13 avril dernier. Selon le département de l'Agriculture, cette suspension pourrait courir jusqu'au mois de juillet prochain. Il y a là de quoi comprendre la «sérénité des exportateurs français», qui risque de durer encore un bon bout de temps. Tout bénef' pour le Maroc La rude concurrence que se livreront les exportateurs internationaux sur le marché national se fera, sans aucun doute, à l'avantage du Maroc, à un moment où les cours des céréales sur les marchés internationaux demeurent tendus. Selon le constat dressé par l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture (FAO), la tension sur les prix demeure encore assez élevée pour le premier trimestre de l'année. Même si pour la Banque mondiale, les prix resteront stables pour le reste de l'année, selon les dernières prévisions sur la situation alimentaire mondiale du mois d'avril. Alors que le Maroc pâtit d'un déficit, assez critique, au niveau de sa balance des paiement et que le budget de l'Etat est sans cesse, mis à mal par la facture des importations de céréales, le Maroc n'aura que l'embarras du choix. D'autant plus que d'autres grands producteurs affûtent également leurs armes, comme le Canada en perspective de la signature, d'ici à la fin de l'année en cours, selon Akhannouch, d'un ALE avec le Maroc.