C'est une première ! Le ministère de la Communication, Mustapha El Khalfi et son homologue de la Justice et des libertés, Mustafa Ramid, siégeant côte à côte pour parler ensemble de la réforme du Code de la presse. C'était hier à Rabat lors de la première journée d'étude initiée par le ministère de tutelle pour l'ouverture du dialogue national sur le Code de la presse. «C'est la première fois que je rencontre des juristes en tant que participant à un dialogue et non en tant qu'accusé», lance sur le ton de la plaisanterie le président de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), Noureddine Miftah, devant l'assemblée de professionnels des médias et de juristes. Cette boutade, non sans pertinence, est significative de l'importance de ce premier acte du nouveau dialogue. Un dialogue qu'il était temps de mettre en place puisque, comme le souligne El Khalfi, lui même, «l'image du Maroc à l'international n'est pas des plus reluisantes en matière de liberté de la presse». La faute à qui? Aux 24 peines restrictives de liberté incluses dans le Code professionnel actuel, ajoute le ministre. Passez par la case prison Autant de peines d'emprisonnement sensées dissuader les diffamateurs, les calomniateurs ou autres médisants qui utilisent la presse pour régler des comptes avec qui bon leur semble. Ce large éventail de sanctions, qui porte par contre directement atteinte au principe même de liberté «physique» de la presse, aura-t-il pour autant empêcher ces mêmes plumes de distiller leur mauvaise encre ? En effet, comme le souligne Younes Moujahid, président du Syndicat national la presse marocaine (SNPM), ni les peines, ni les condamnations d'emprisonnement ferme de journalistes n'ont empêché qui le veut d'utiliser les colonnes des tabloïdes à d'autres fins que d'informer. À la question que se pose Ramid : «Est-il judicieux d'éliminer totalement les peines restrictives de liberté ?», les professionnels brandissent le texte de la nouvelle Constitution qui prône «la liberté de la presse». Une liberté responsable et donc, certes, soumise à des règles, à condition qu'elles soient avant tout professionnelles. Voilà donc ce que demandent les acteurs des médias nationaux venus partager leur point de vue et leur opinion concernant les réformes à adopter. À ce niveau, le ministre de la Justice et des libertés s'interroge une fois de plus, «comment peut-on élaborer un Code de la presse qui prône la liberté de celle-ci, tout en défendant la dignité des citoyens, en protégeant l'image des entreprises et en veillant au respect des principes fondateurs de la société stipulés dans la Constitution ?». Animés par des professionnels de la presse et des juristes, les débats ont porté lors de cette journée sur cette question fondamentale. S'il est question de préserver les libertés d'expression et de publication, d'accès à l'information et de protéger ces sources, le débat remet le rôle de la presse, qu'elle soit écrite ou électronique, au cœur du contexte sociétal. Quel est le rôle des médias dans la société ? Quelles sont les attentes des citoyens par rapport aux médias ? Une affaire... d'Etat Ces questions ont déjà trouvé des réponses dans le cadre d'un autre débat national qu'évoquera d'ailleurs Miftah. «Les recommandations du débat national Médias et société ont démontré que les libertés accordées aux médias par la société sont nettement au-delà de ce que les professionnels exigent eux-mêmes». La société serait-elle donc plus laxiste que la justice qui prétend la préserver ? À en juger les propos de Moujahid, la société n'est en réalité qu'un prétexte pour des enjeux plus stratégiques. En effet, le syndicaliste rappelle que «cela fait plus de 15 ans que le débat sur ce fameux Code de la presse est ouvert», à l'aune de plusieurs gouvernements. Presque à chaque fois, le projet de réforme est avorté. Parallèlement, le représentant des professionnels fait remarquer que les évolutions majeures qu'a connues la profession ont pratiquement toujours été liées aux bouleversements politiques vécus par le pays. «Les médias sont au cœur du débat politique», conclut-il. Preuve en est, malgré les nombreuses plateformes, discussions et recommandations émises au cours de ces années par les professionnels, jamais aucune n'a abouti sans un soutien politique ou gouvernemental, fait noter Moujahid. La question de la réforme du Code de la presse n'est donc pas une question de liberté ou d'emprisonnement, mais une question d'indépendance. Ce quatrième pouvoir, ne saurait jouer son rôle d'observateur de la société et de garant de la démocratie sans qu'on lui confie les outils de la profession. D'où l'importance de la gouvernance. S'il y a donc une avancée majeure sur laquelle devrait aboutir cet énième débat, c'est la constitution du Conseil supérieur de la presse. Cette autorité de gouvernance, qui se veut avant tout indépendante et autonome, mais dont les tenants et les aboutissants n'ont pas encore été définis, serait en mesure de changer radicalement la donne.