Mais quelles mouches ont piqué Benkirane ? Depuis quelques semaines, le chef du premier gouvernement de l'après-nouvelle Constitution envoie des messages brouillés et semble se tromper de débat et d'ennemis, au point de déstabiliser même ceux qui l'ont élu et porté au pouvoir. Le PJD, qui pendant toute sa campagne électorale, insistait sur la continuité, la préservation des acquis, la bonne gouvernance, la liberté d'expression, la transparence, la démocratie, la promotion de l'investissement, les droits de l'homme... aurait-il perdu son sang froid ? En tout cas, son prochain passage au Parlement promet d'être très chaud, voire très show. En politique, c'est bien connu, la théorie du complot est souvent la solution de facilité quand on subit la pression et qu'on a du mal à tenir ses promesses dans un contexte tendu. La gouvernance et la gestion de la chose publique, cela se gère à tête froide et avec beaucoup de sagesse. Les 100 jours de grâce sont largement consommés et Benkirane ne peut plus se permettre d'erreur. Le PJD a été élu démocratiquement, mais, faut-il le rappeler, ne gouverne pas seul. Ses relations avec l'institution monarchique ont été clairement définies dans le cadre de la nouvelle Constitution et n'ont pas besoin d'être «exploitées» dans toute les sorties publiques de Benkirane. Celle du 1er mai est la sortie de trop, après la surenchère autour des cahiers de charges du pôle public audiovisuel et quelques jours auparavant, une malencontreuse déclaration sur le «printemps arabe» en marge d'une rencontre très PJDiste. Il est clair que le chef de l'Exécutif, tout comme les ministres du parti de la lampe ne sont pas encore arrivés à se défaire des vieux réflexes de l'opposition et franchir sans heurts, le cap de l'exercice du pouvoir. Preuve du malaise, les sorties incendiaires de certains députés PJDistes qui ne cessent de faire des vagues. Ouvrir une nouvelle page, et vite ! Ces derniers semblent agir en véritables électrons libres, semant la zizanie et provoquant des tensions institutionnelles inutiles, menaçant constamment de faire appel à la rue pour trancher de supposés rapports de force politiques. Ils n'hésitent pas systématiquement à utiliser «la rue» contre le modèle de pouvoir qu'ils veulent incarner. La transition politique et les tensions conjoncturelles que vit le pays, n'ont pas besoin aujourd'hui de ce type de surenchère démagogique. Benkirane, en sa qualité de chef de gouvernement et de leader du PJD, a une responsabilité politique majeure, celle d'unifier les rangs et de montrer la voie à ses ministres et ses députés qui tombent de plus en plus dans le piège du «chantage démocratique». Le PJD ne peut en aucun cas, jouer cavalier seul et se laisser piéger par excès idéologique. La force du Maroc, qui lui a permis de gérer au mieux le printemps arabe et de garder la confiance des partenaires historiques et des bailleurs de fonds, n'est autre que le cadre institutionnel dans lequel s'exercent les pouvoirs. C'est aussi une des principales mission de Benkirane et de son équipe que de préserver cet acquis politique, seule clé de réussite de l'enjeu économique et de croissance qui attendent le pays. La prochaine sortie du chef de gouvernement doit absolument faire oublier toutes ces fausses notes et rassurer sur les «bonnes» intentions du PJD et des partis qui ont adhéré à son projet pour former une majorité qui se doit d'être homogène. L'occasion de son passage attendu au Parlement, la semaine prochaine, probablement le mercredi ou le vendredi pour dresser un premier bilan d'étape est l'occasion idéale d'ouvrir une nouvelle page, de repartir sur des bases claires et éviter d'aller vers une crise politique entre institutions. L'opposition s'échauffe Les préparatifs pour la tenue de la séance de discussion du président du gouvernement au Parlement sont en cours. La séance attendue la semaine prochaine a été prévue par le nouveau règlement intérieur, laissant son ordre du jour en suspens. L'annonce de la tenue de la première séance consacrée au contrôle du chef de gouvernement est tombée à point nommé pour la majorité parlementaire. Les députés qui n'ont pas été officiellement convoqués seront à nouveau à l'épreuve des nouvelles règles constitutionnelles, qui tendent à instaurer un contrôle effectif et une participation active lors du vote des lois ordinaires et organiques urgentes. Les débats programmés en séance plénière se focaliseront sur plusieurs questions liées aux nouvelles exigences constitutionnelles relatives au droit d'information des députés. Le nouveau cadre tracé pour les députés de la majorité devra permettre, via cette première rencontre avec Benkirane, de «garder l'autonomie des députés du parti, sans que cela ne brise la solidarité avec l'ensemble des membres du gouvernement, quelle que soit leur étiquette partisane. La nature du contrôle qui sera exercé ne doit pas occulter le fait qu'un énorme effort législatif reste à faire», résume-t-on auprès du PJD. Dans le camp de l'opposition, on déplore le manque de communication du gouvernement au sujet de la date de la tenue de cette séance. Plusieurs composantes du Parlement, notamment au sein de la seconde Chambre, avaient dénoncé l'absence de réponses du gouvernement aux questions écrites posées depuis l'investiture de ce dernier. Les Conseillers qui ne pourront pas assister au grand oral de Benkirane, comme c'était le cas pour la loi de finances, n'ont pas moyen de faire pression à cette étape.