À la mi 2010, Les Echos quotidien rapportait une aggravation de la problématique du financement de la PME du fait de la rareté des liquidités bancaires. Depuis, les choses ont évolué de mal en pis. En effet, le besoin en liquidités se fait davantage ressentir. Les dernières avances à 7 jours (ces injections servies chaque semaine par Bank Al-Maghrib pour soulager le besoin des banques en liquidités) atteignaient 10 milliards de dirhams, quand les banques en réclamaient plus de 25. Dans ce contexte, l'éviction des PME dans le circuit du financement s'affirme davantage... une donnée qu'aucun chiffre ne pourra étayer, mais que plusieurs témoignages concordants recueillis auprès de patrons de PME ont pu confirmer. Naturellement, du fait du caractère déterminant de cette population d'entreprises pour l'économie nationale (elle représente 95% du tissu d'entreprises nationales), l'action gouvernementale tente bien d'apporter des réponses à la problématique du financement de la PME. S'attaquant de front au phénomène, le Pacte national pour l'émergence industrielle a, à titre d'exemple, mis sur les rails en début d'année le chantier d'une plateforme de rating destinée à permettre une appréciation quantitative et qualitative des entreprises afin de leur faciliter l'accès au crédit bancaire à des conditions de garantie plus souples. Les plus grandes banques de la place, Attijariwafa bank, Banque Centrale Populaire et BMCE Bank ont acté leur adhésion au projet, et en début d'année six plateformes ont été conventionnées. En parallèle, l'Etat multiplie la mise en place de fonds de garantie à même de faciliter aux PME l'accès au financement bancaire. Mais quel impact ces mesures ont-elles sur le terrain? Les patrons de PME tardent encore à percevoir les effets de ces dispositifs. Les plus pessimistes arguent même que les banques ne sont plus à même de financer les PME. «Elles ne disposent pas de spécialistes à même d'analyser le risque dans le contexte d'une PME. Aussi, les lignes de financement sont aujourd'hui débloquées en se basant sur la seule personnalité du patron», argumente un chef d'entreprise. Sans déclarer les banques hors jeu, l'action gouvernementale semble effectivement explorer de plus en plus de pistes pour satisfaire les besoins des PME. Citons à ce titre les deux récents programmes d'appui : Imtiaz et Moussanada. Le premier consiste en une aide étatique, accordée aux PME à fort potentiel, qui porte sur une prime de 20% du montant global de l'investissement, le tout plafonné à 5 millions de dirhams. Moussanada quant à lui vise à faire passer des PME à un niveau supérieur en couvrant une partie de l'investissement déployé et en mettant à leur disposition un appui managérial. Quoique Moussanada affiche au terme de 2009 sa première année d'application, la signature de 17 contrats de croissance, les opérateurs rapportent le caractère inaccessible de ces programmes d'appui. «Les programmes Moussanada et Imtiaz ne peuvent profiter qu'aux PME qui fournissent un quitus de la CNSS et de la Direction générale des impôts, deux conditions que même certaines grandes entreprises ne sont pas en mesure de remplir», rappelle prosaïquement un patron de PME. Qu'à cela ne tienne, il reste les appuis gouvernementaux déployés au profit des alternatives de financement, dont notamment le capital investissement. À ce titre, rappelons que le projet de loi de finances 2011 a supprimé la condition de seuil de participation de 50% pour les capital-risqueurs imposée jusque-là à ces derniers pour être exonérés d'impôts. En effet, les institutions spécialisées dans le financement par capital-risque sont à l'heure actuelle exonérées de l'impôt sur les sociétés au titre des revenus de leurs participations dans les entreprises, à condition que ces participations dépassent 50% du capital. Il est question, désormais, que ce seuil soit purement et simplement supprimé, si l'idée est retenue dans la mouture finale de la loi de finances. Soulagés du poids fiscal, sans condition aucune, les capital-risqueurs seraient plus à même de prendre pied dans les tours de table des PME. Une entrée qui, en plus de renforcer l'assise financière de ces entreprises, aurait le double avantage de donner un coup de pouce à leur croissance. En effet, il ressort de la dernière étude de l'Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC), que de tous les types de capital investissement (capital développement, capital amorçage, capital retournement...), le capital-risque demeure le plus profitable aux entreprises. Celles ayant accueilli des capital-risqueurs dans leur tour de table ont en effet connu un accroissement de leur chiffre d'affaires de 97% sur les cinq dernières années, alors que la croissance moyenne des entreprises profitant du capital investissement est restée contenue à 23%. Reste à transformer l'essai. À voir le peu d'enthousiasme que suscite cette nouvelle mesure parmi les patrons de PME, la partie semble loin d'être gagnée. «Les fonds de capital investissement ne financent que les secteurs dont la rentabilité est garantie et qui ne présentent plus aucun profil de risque», rapporte Hammad Kassal, économiste et ancien responsable de la commission PME de la CGEM, et lui-même patron de PME. Mais il faut aussi dire que les PME ne jouent pas le jeu elles non plus. «Le modèle de la PME familiale réticente à ouvrir son capital reste dominant», constate Kassal. De même, le manque de transparence que continue d'accuser cette population d'entreprises dans sa grande majorité rebute les institutions spécialisées dans le capital investissement au même titre d'ailleurs que tout bailleur de fonds. L'ultime piste, enfin, explorée par l'action gouvernementale pour contenir la problématique du financement de la PME va dans le sens d'une réglementation des délais de paiement. Le projet de loi sur la question a été diffusé récemment par le Secrétariat général du gouvernement à l'ensemble des départements ministériels concernés et il devrait être programmé dans les jours qui viennent au Conseil de gouvernement. Faut-il le rappeler, les retards dans le paiement des créances compliquent la gestion de trésorerie pour les entreprises et aggravent d'autant plus la problématique de leur financement, ce qui est particulièrement périlleux pour une PME. Le phénomène est d'une grave ampleur : rappelons qu'il ressortait d'une étude menée courant 2010 par la CGEM auprès de ses membres que le compte client représente en moyenne 120 à 180 jours de chiffre d'affaires pour les entreprises et qu'il peut atteindre jusqu'à 50% du total bilan. En réglementant les délais de paiement, le risque pesant sur le financement des entreprises en serait en principe réduit. Reste que cette loi est loin de recueillir l'adhésion des opérateurs. Il est notamment reproché au projet de loi son ambigüité sur le plan des délais d'abord, en ce sens qu'ils ne sont pas fixés précisément. Certes, le délai de paiement fixé par le projet de loi est de 60 jours. Mais cette règle générale admet plusieurs exceptions. De fait, une marge de manœuvre est laissée aux entreprises qui souhaiteraient opter dans le contrat pour un délai supérieur sans toutefois dépasser 90 jours. Aussi il est également envisagé d'adopter des délais inférieurs à 60 jours sous conditions. Une multitude d'ouvertures de nature à amoindrir la force de la loi, pensent les opérateurs. L'autre point à parfaire dans le projet de loi sur les délais de paiement selon les patrons touche à la sanction. Celle-ci devrait être formulée plus clairement, pense-t-on. Dans les faits, le texte laisse la question ouverte en précisant seulement que les parties doivent préciser le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles, lequel ne peut être inférieur au taux directeur de Bank Al-Maghrib majoré d'un montant déterminé par voie réglementaire. Qui plus est, la sanction est jugée insuffisamment dissuasive. Rappelons à ce titre que la CGEM avait requis que le taux de pénalité soit égal à 15% du montant de la transaction. «En l'absence d'un délai clairement déterminé et d'une sanction précise et dissuasive, la loi sur les délais de paiement ne fera qu'ouvrir le champ au rapport de force», explique Kassal. Voilà qui épuise toutes les cartouches. En somme, aucune des actions déployées par le gouvernement pour apporter une réponse à la problématique du financement des PME ne semble recueillir l'adhésion des principales concernées... Certains maux ont la peau très dure.