Les Echos quotidien : Vous venez de boucler votre mandat de 4 ans à la présidence de l'université Hassan II Ain Chock de Casablanca. Quel bilan faites-vous de la nouvelle gestion instaurée dans le cadre de la réformede l'enseignement ? Mohammed Barkaoui : Grâce aux efforts de réforme engagés en 2000, l'université marocaine a gagné en modernité et en efficience en matière de gestion universitaire, avec le développement de systèmes d'information, de systèmes de management de la qualité, d'outils de pilotage, devenant ainsi progressivement une organisation relativement performante, similaire dans son volet «gestion» à de nombreuses autres grandes organisations. Les évaluations effectuées sur la mise en place de cette réforme permettent de capitaliser sur les acquis de cette réforme pour les pérenniser et les consolider ainsi que d'engager les solutions adéquates pour les points à améliorer. Plusieurs acquis sont à capitaliser à l'issue de cette décennie pour notre système d'enseignement supérieur et de recherche universitaire qui a connu des évolutions importantes, et il convient de poursuivre ces évolutions et ces améliorations pour atteindre les niveaux d'autonomie et de capacité d'innovation attendus pour répondre à la demande sociale et économique de notre pays, pour assurer sa croissance et renforcer sa place dans la compétition mondiale. La formation universitaire semble être le maillon faible de l'enseignement supérieur. Quels sont les principaux obstacles auxquels vous avez fait face durant votre mandat et qui limitent la portée des réformes engagées ? Je souhaiterai tout d'abord préciser que le système national d'enseignement supérieur universitaire public accueille plus de 90% des étudiants. À côté de la formation, la recherche scientifique est l'une des missions principales des universités. En toute objectivité, on ne peut pas la qualifier de maillon faible. Au contraire, les formations délivrées par l'université marocaine ont un niveau de qualité internationalement reconnu et ont permis et continuent de permettre la formation de cadres de haut niveau dans l'ensemble des domaines, avec les formations de médecins, d'ingénieurs, de techniciens de haut niveau dans les écoles supérieures de technologie, de juristes, d'économistes, de gestionnaires, de financiers, de sociologues, d'informaticiens, de scientifiques et de spécialistes des sciences humaines et de lettres. Ces cadres issus des formations dispensées dans les universités constituent la majeure partie des compétences sur lesquelles s'appuie le développement de notre pays depuis l'indépendance. Il faut aussi reconnaître la pertinence du choix du système d'enseignement supérieur national en phase avec le système d'enseignement supérieur dominant à l'échelle mondiale, ce qui permet l'équivalence et la lisibilité de nos diplômes à l'international et favorise la mobilité des étudiants et des chercheurs dans un monde moderne caractérisé par l'émergence de la société de l'économie du savoir. Malgré tout, sur le terrain, l'université peine à s'intégrer dans son environnement socioéconomique et notamment à satisfaire les besoins du marché de l'emploi. La formation universitaire est à ce niveau pointée du doigt... Les formations universitaires sont naturellement améliorables et doivent être améliorées en ce qui concerne leur rendement interne et l'adéquation formation-emploi. Ces deux points constituent des enjeux importants pour l'offre de formation des universités. Ainsi, dans le cadre de la réforme pédagogique, le système LMD (licence, master et doctorat) a été mis en place en 2003 avec un système modulaire et semestriel où les étudiants capitalisent sur les modules requis pour l'obtention de leurs diplômes nationaux à l'issue de filières de formation accréditées. Les étudiants ont la possibilité de choisir des filières fondamentales ou professionnalisantes. Ainsi, les universités offrent des formations en licence fondamentale et en licence professionnelle (sur six semestres), des masters et des masters spécialisés (sur quatre semestres). En 2008, le nouveau cycle doctorat est mis en place avec une structuration et une organisation des études doctorales dans les centres des études doctorales (CEDOC) qui s'appuient sur des équipes de recherche et des laboratoires qui sont régulièrement accrédités et évalués. De manière globale, on peut considérer que la réforme pédagogique initiée en 2002 qui, rappelons-le, a aussi permis l'introduction des enseignements d'informatique, de langue et de communication dans l'ensemble des cursus des universités, a permis d'apporter de nombreuses améliorations qui se traduisent globalement par des formations universitaires plus attractives, notamment pour les filières de licences professionnelles et pour les masters de manière générale. Cependant, les résultats atteints en ce qui concerne le cycle «licences fondamentales» restent effectivement en-deçà des attentes, et des efforts supplémentaires sont à fournir pour permettre à ce cycle d'atteindre les performances escomptées en termes de rendements internes et d'adéquation formation-emploi. Dans ce cadre, le plan d'urgence est un contrat où des moyens sont mis à la disposition des universités pour améliorer leurs performances sur la base d'une démarche contractuelle fondée sur des résultats à atteindre et des indicateurs à améliorer. Ces améliorations concernent entre autres l'amélioration des rendements internes et externes par l'introduction de nouveaux modules de langue, de communication, de nouvelles technologies avec un programme de tutorat pour aider les étudiants à réussir leur cursus de formation ainsi que des services d'information et d'orientation pour accompagner les jeunes à choisir leur projet de formation en phase avec les besoins de la société et en accord avec leurs propres attentes. Ce travail déjà initié est évalué en permanence pour l'améliorer continuellement. L'autonomie des universités n'est pas encore, selon plusieurs observateurs, une réalité au Maroc à l'instar de ce qui est en vigueur en Europe et au sein des universités dites de classe mondiale. Pensez-vous que cela limiterait les efforts visant justement à rendre nos universités plus performantes ? À ce sujet, il est inexact de dire que l'autonomie n'est pas une réalité au Maroc. Les universités marocaines, conformément aux dispositions de la loi, sont des établissements publics dotés de la personnalité morale et de l'autonomie administrative et financière et jouissent dans le cadre de l'exercice de leurs missions de l'autonomie pédagogique, scientifique et culturelle. Dans ce sens, cette autonomie accordée par la loi aux universités est tout à fait comparable voire parfois plus large que celle existant dans de nombreux pays en Europe ou ailleurs. Les universités, depuis la mise en place en 2002 des instances universitaires dans le cadre de la loi 01.00 ne cessent d'œuvrer pour explorer le plus de possibilités offertes par l'autonomie qui, rappelons-le, est certes un champ de décision plus large pour les instances universitaires mais aussi une responsabilité accrue de l'ensemble des acteurs de l'université. Dans ce cadre, les universités disposent de l'autonomie leur permettant de développer leurs partenariats et de renforcer leur ouverture sur l'environnement socioéconomique ainsi que celle pour œuvrer en vue d'une meilleure adéquation formation-emploi. Ainsi, au-delà de l'autonomie qui reste en définitive un mode de gestion des organisations, la question de l'adaptation de l'université aux attentes et besoins de l'environnement socioéconomique est nettement plus large et requiert la mise en place de dispositifs dédiés à cette fin tant du côté de l'université que des acteurs socioéconomiques. Ces dispositifs se mettent progressivement en place grâce à l'adhésion, l'engagement et l'implication de tous les acteurs et les partenaires de l'université et leurs retombées seront de plus en plus importantes. La privatisation croissante des cycles masters au niveau des facultés ne risque-t-elle pas d'ôter à long terme le caractère de service public dévolu à l'université ? Je ne pense pas qu'il y ait une quelconque privatisation des cycles masters dans les universités marocaines. Les masters, au même titre que l'ensemble des diplômes nationaux accrédités et délivrés par l'université, sont obtenus à l'issue de formations initiales non payantes dispensées au sein de l'université, établissement public dans tous les sens du terme conformément au cahier des charges de ces formations et en respectant les termes fixant les conditions d'accès et l'effectif d'étudiants contractuels. Dans ce cadre, que ce soit pour la formation initiale ou pour la formation continue, le caractère de service public de l'université n'est nullement mis en cause. Ceci étant, les universités, dans le cadre de leur autonomie et compte tenu de leurs capacités à répondre aux attentes des entreprises et des cadres en activité désireux de se perfectionner et évoluer dans leur carrière professionnelle, proposent des formations qualifiantes ou diplômantes en temps aménagé adapté à ces publics moyennant leur contribution aux coûts de ces formations. Dans ce cadre l'université ne fait que s'acquitter d'une de ses missions, celle de promouvoir la formation tout au long de la vie, de diversifier ses ressources et asseoir son ouverture sur son environnement par la formation, la transmission des savoirs et la qualification permanente.