Ce n'était pas du tout le Nizar Baraka des grands jours que les Marocains ont découvert hier sur leurs écrans de télévision. Il faut dire que la mission était délicate et la situation très inconfortable. Le ministre de l'Economie et des finances a quand même tenté de sauver la face du gouvernement qu'il représente, devant les deux Chambres réunies. Conscient que le projet de Budget 2012 présente des enjeux majeurs et qu'il est basé sur des hypothèses «fort périssables», il se devait quand même, pour rester fidèle à la tradition, de défendre la copie, désormais sienne. Les cinq premières minutes ressemblaient à un grand moment de solitude, que la voix tremblante du ministre a trahi. Ce n'est pas tant le projet de loi qui inquiète Baraka, mais la bataille à laquelle il devra se livrer face à une opposition qui en connaît les «fragilités» par cœur. Baraka a tenté de rester fidèle à l'esprit du programme présenté il y a plus d'un mois par le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, avec le show en moins, comptant sur le soutien inconditionnel des partis de la coalition gouvernementale, mis à part l'UC, probablement, qui «préfère temporiser avant de prendre position vis-à-vis du budget». Toute la journée, l'opposition affûtait ses armes, même si les quatre partis qui la composent n'ont pas encore décidé d'agir en commun durant le démarrage de cette session extraordinaire. Dans des situations pareilles néanmoins, ils sont obligés d'adopter des démarches «synchronisées». «Les députés siégeant au sein des commissions auront la tâche d'appliquer les nouvelles dispositions qui donnent un rôle avant-gardiste à l'opposition», souligne Mohamed El Ouchari, qui a voté contre le programme du gouvernement de Benkirane.«Le gouvernement a été encore moins convaincant que lors de la présentation de sa déclaration», insiste le même député, qui ne voit pas comment son parti pourrait voter pour le projet de loi de finances 2012. Pour sa part, le RNI, qui contrôle la commission de la législation, ainsi que le PAM, qui se trouve à la tête de la commission des infrastructures, ne trouvent pas que le projet a reflété les engagements déjà pris par le gouvernement, qui préfère toujours «la logique du pompier». Du moins, c'est ce qu'ont déclaré aux Echos quotidien plusieurs députés des deux partis. Pour Younès Sekkouri, député du parti du tracteur, «la visibilité manque toujours concernant la mise en place de chantiers majeurs, comme la régionalisation et leur autonomie financière, ainsi que l'absence d'un cadre clair pour la lutte contre l'économie de rente, sur laquelle le gouvernement s'était fermement engagé». Du côté de la majorité, aucune pause ne sera marquée durant cette rentrée. Aujourd'hui, le PJD a choisi de réunir ses 107 députés pour une journée d'information «afin d'accompagner l'examen du projet par un soutien critique et qui complète la politique tracée», souligne pour sa part Abdelaziz El Omari, président du groupe du PJD au Parlement. La marge de manœuvre des partis de la majorité semble être plus importante que celle de l'opposition. Les amendements proposés par les partis de la majorité ont en effet plus de chances d'être retenus. Les débats en coulisses au Parlement avant de passer aux plénières permettront également de valider la loi de règlement de la loi de finances, portant sur l'exercice précédent. Cette loi inclut le bilan des budgets d'investissement, dont la durée est arrivée à échéance. Le gouvernement tentera pour sa part de motiver tout refus des propositions émanant des partis de l'opposition. À côté de cette nouvelle procédure, un vide immense demeure pour tout ce qui touche à la nature des informations, documents et données nécessaires pour enrichir les débats parlementaires, pour l'adoption de la nouvelle loi organique. Les nouvelles règles prévoient aussi que les dépenses d'investissement, nécessaires à la réalisation des plans de développement stratégiques ou des programmes pluriannuels, ne seront votées qu'une seule fois, à l'approbation de ces derniers par le Parlement et seront reconduites automatiquement pendant leur durée. Raté ! Par Hanaâ Foulani Les bonnes surprises, il n'y en a pas eu. Pis, c'est une grosse déception, aussi bien sur le fonds que sur la forme. Le ministre des Finances aurait au moins pu tenter de jouer le show et de regarder la caméra en face, et donc les Marocains dans les yeux, pour leur demander de différer «le rêve PJD» de quelques années. Maladresse ou véritable naïveté politique d'un gouvernement qui commence à peine à se rendre à l'évidence, qu'entre promettre et gouverner, le gap est énorme ! Heureusement que Baraka a fait vite pour limiter la casse. À l'écouter, il s'excusait presque auprès des Marocains et de ses ex-coéquipiers qui sont allés renforcer les rangs de l'opposition de ne pas avoir pu faire «plus». Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il est évident que le projet de loi qu'il était en train de défendre est, à quelques retouches près, le même que le Parlement aurait pu valider il y a quelques mois, avant même les élections. Il n'y a qu'à lire entre les lignes et interpréter les axes dits prioritaires pour se rendre compte que nous sommes loin de la révolution que certains espéraient. Finalement, la montagne a accouché d'une souris... et encore ! Même les hypothèses avancées et qui étaient défendables au dernier trimestre 2011, ne le sont plus du tout, maintenant que la crise est passée par là. Finalement, qu'est-ce que Baraka a présenté hier ? Le projet de Mezouar remis au goût du jour ? Une loi de finances transitoire (et donc, tout ce qu'on a cherché à éviter)? Ou tout simplement un budget de circonstance ? Et si le gouvernement Benkirane avait été pris à son propre piège ? Ce qui est sûr, c'est que Baraka, et avec lui, l'équipe gouvernementale, sont passés devant une occasion en or pour annoncer le ton de leur mandat. Dixit... «Ce projet est le premier de la nouvelle législature et intervient dans un contexte international sceptique sur la possibilité d'un redressement de la croissance mondiale. Le projet a été préparé sur la base des engagements que le gouvernement a pris devant le Parlement en ce qui concerne le programme gouvernemental. Le renforcement de la bonne gouvernance, tout comme la mise à jour de l'arsenal juridique relatif à la déclaration de patrimoine et la mise en place d'un pacte national pour la lutte contre toutes les formes de corruption dans les services publics, avec l'implication des citoyens dans cette lutte». Nizar Baraka, ministre de l'Economie et des finances. «Le projet de budget est préoccupé par la protection des couches les plus défavorisées. Le débat parlementaire vise à mettre en œuvre les nouvelles dispositions constitutionnelles pour hausser le rendement de l'instance parlementaire et pour mieux impliquer les députés dans la finalisation du budget». Said Khairoune, président de la Commission des finances et du développement économique.