L'affaire est passée presque inaperçue. Pourtant, il s'agit d'un feuilleton dont les premiers épisodes ont commencé, il y a plus de six ans. Une affaire qui implique l'un des hommes d'affaires les plus en vue. Il s'agit du patron du puissant groupe immobilier Addoha, Anas Sefrioui. En effet, deux de ses sociétés, «Douja Promotion» et «Euro Africaine de Trade -EAT-», avaient été accusées d'«arnaque et d'abus de confiance». Rien que ça ! Mieux encore: elles étaient condamnées par le tribunal de première instance de Casablanca, dont les jugements, définitifs, ont été confirmés en appel, pour charges retenues et avérées. Le tribunal s'est, en effet, prononcé en faveur de plus de 2.000 plaignants, copropriétaires d'appartements économiques situés dans les résidences «Addoha 2», «Al Abrar» et «Al Kaoutar», à Casablanca. Le groupe d'Anas Sefrioui devait ainsi restituer plus de 10 millions de DH pour ces familles. Le promoteur immobilier exécutera les jugements jusqu'en août 2009. Date à laquelle le groupe, soudainement, décidera de faire volte-face, changera d'avocat et de stratégie de défense et cessera de dédommager les victimes, tel que prévu par les jugements prononcés. Et ce, jusqu'à l'écriture de ces lignes. Plus de 2.000 plaignants ! Les faits remontent à l'année 2004. Les sociétés «Euro Africaine de Trade -EAT-» et «Douja Promotion», détenues et dirigées par Anas Sefrioui, sont accusées par plus de 2.000 familles d'«escroquerie et abus de confiance», selon les termes des plaintes déposées à l'époque. Ces familles avaient souscrit pour des contrats d'achat d'appartement, appartenant au groupe Addoha, dans le cadre du logement social. Mais avant de conclure la transaction immobilière, les bénéficiaires devaient verser la somme de 5.000 DH (chacun) pour «réserver» leurs appartements (hors frais d'enregistrement et de conservation foncière). Une condition que le groupe Addoha exigeait à tout client à l'époque. Autre aberration : ces «frais de réservation» ont été réglés à «Euro Africaine de Trade», détenue personnellement par Anas Sefrioui au lieu de Douja, véritable propriétaire des projets commercialisés. Cette pratique ne s'est pas limitée à ces clients car, selon nos sources, même après l'introduction en bourse en 2006 d'Addoha, les «frais de réservation» ont continué à être versés à la société de Sefrioui au lieu de Douja Promotion qui comptait, désormais, d'autres actionnaires, notamment le flottant en Bourse. Les clients n'ont pourtant rien vu venir. Sauf qu'une fois le contrat conclu, les bénéficiaires ont été surpris de voir ces sommes considérées comme «frais de services» offerts par la société «Euro Africaine de Trade», et n'ont donc pas été comptabilisés dans le contrat d'achat. Surprise et stupéfaction chez les clients. Ces derniers sentant «l'arnaque» décident alors de poursuivre «Euro Africaine de Trade» et «Douja Promotion» en justice. Une première plainte est ainsi déposée au tribunal de première instance de Casablanca, en 2004, par l'avocat des plaignants. «Mes clients n'ont reçu aucun service de la société EAT pour devoir le payer. Les 5.000 DH ont tout simplement été subtilisés et nous exigeons leur restitution», indique l'avocat qui suit l'affaire depuis six ans. Pour lui, il s'agit ni plus ni moins d'une arnaque «grandeur échelle». «Au début, nous avons immédiatement pris attache avec le groupe et avons exigé qu'on nous restitue les consignations. Mais en vain», explique-t-il. L'avocat a dû par la suite intenter une action en justice. L'argument des 2.000 familles est simple : dans les contrats de vente dont ils disposent, la société EAT ne figure nulle part. C'est la société Douja Promotion qui a signé les contrats dont disposent les acquéreurs. «Le groupe faisait partie des promoteurs du logement social à l'époque et il s'est engagé à les vendre à un prix fixé par l'Etat et connu de tous. Les montants perçus par EAT, qui ne figurent pas dans les contrats, doivent être rendus aux familles», explique l'avocat des plaignants. Plusieurs autres copropriétaires des trois autres résidences ayant pris connaissance de cette initiative décident alors eux aussi de déposer des plaintes, qui ont atteint, par la suite, plus de 2.000. Un peu plus tard, après examen des dossiers, le tribunal de première instance de Casablanca s'est prononcé en faveur des plaignants. Douja refuse d'exécuter les jugements Jusqu'en 2009, le même tribunal a prononcé des jugements (confirmés par la suite par la cour d'appel) contre Douja Promotion et EAT (selon les dossiers de chacun des plaignants. Les reçus et/ou factures ayant été signés par Douja Promotion ou EAT). De 2004 à 2008, le tribunal a ainsi prononcé des jugements, en faveur des copropriétaires, stipulant que Douja Promotion et Euro Africaine Trade devaient restituer les sommes d'argent, considérées comme «consignations». L'avocat des plaignants passera par la suite à l'exécution des jugements (ndlr : nous disposons des jugements de 1re instance et de la cour d'appel en plus des chèques de remboursement aux centaines de plaignants). Ainsi, durant plus d'une année, les deux sociétés d'Anas Sefrioui acceptent d'exécuter les jugements et procèdent à la restitution des montants des chèques perçus. Jusqu'en juillet 2009, on comptait à peu près 600 chèques restitués aux plaignants (d'un montant de 5.000 DH chacun). Sauf qu'à partir du mois d'août 2009, le promoteur immobilier fera volte-face. Précisément la société EAT, qui décide alors de ne plus continuer les restitutions. Après vérification, il s'est avéré pour l'avocat des plaignants que le groupe Addoha s'est contenté de rembourser les chèques perçus par la société «Douja Promotion», et a refusé de faire de même concernant les jugements relatifs à la société «Euro Africaine de Trade». Les jugements contre Douja Promotion, par contre, étaient exécutés. «Même en 2010, la société a continué à restituer les plaignants, en application des jugements du tribunal. Il s'agit d'une trentaine de jugements exécutoires», relève l'avocat. Qui est derrière EAT ? L'avocat des plaignants, constatant le refus avéré d'Anas Sefrioui de restituer les consignations, décida alors d'intenter une seconde action en justice. Un PV de refus d'exécution des jugements a été établi. «Normalement, une plainte que nous avons déposée dans ce sens devrait être examinée par le tribunal de première instance de Casablanca, et ce le 15 septembre 2010», souligne-t-il. En constatant que EAT a cessé de restituer les consignations, l'avocat passe à une méthode plus musclée en engageant des saisies conservatrices des comptes de la société EAT, ainsi que de son modèle «J» (registre de commerce). Et ce pour le compte de tous les jugements en arrêt d'exécution. Mais pourquoi le promoteur immobilier a-t-il décidé, tout d'un coup, de cesser les remboursements ? Durant un mois, nous n'avons pas cessé de poser cette question on ne peut plus simple au groupe Addoha. Une question restée sans réponse à l'heure où nous mettions sous presse. Officiellement, le groupe n'a pas souhaité commenter officiellement l'affaire. Nous avions pourtant été reçus par l'un des hauts responsables de l'entreprise, en présence de l'avocat du groupe, dans une rencontre informelle, mais aucune déclaration officielle n'a été formulée. Au cours de cet entretien (voir encadré), notre interlocuteur a néanmoins reconnu que la société EAT appartient à Anas Sefrioui. Mais motus et bouche cousue sur l'affaire des copropriétaires des résidences Al Abrar-Addoha2-Al Kaoutar. Après recoupement, on saura par la suite que le siège d'EAT est sis (actuellement la société n'en dispose plus, selon l'avocat des plaignants) au boulevard Hassan Soktani à Casablanca. «Pratiquement, toutes nos correspondances avec cette société, à travers le tribunal, revenaient sans accusé de réception, car il n'y a pas de siège», indique l'avocat. Selon nos sources, la société existe toujours, mais elle n'exerce pas d'activités commerciales.