Au fur et à mesure des élargissements de l'Union européenne, la question de son voisinage s'est faite de plus en plus prégnante. La politique européenne de voisinage (PEV) est la réponse de l'UE à ce défi. L'objectif de la PEV, mise en place en 2004, est la création autour de l'UE d'un cercle de voisins du Sud (partenaires méditerranéens) et de l'Est, qui partagent les valeurs et les objectifs fondamentaux de l'UE, et seront plus stables, plus sûrs et plus prospères. En ce qui concerne les voisins du Sud, la PEV s'inscrit dans la continuité du partenariat Euromed, également appelé processus de Barcelone, adopté en 1995. Avant la PEV, les relations entre l'UE et les voisins méditerranéens avaient été traitées dans le cadre de la «politique globale méditerranéenne» ou encore de la «politique méditerranéenne rénovée». Depuis 2008, l'UE tente de mettre en marche le projet d'Union pour la Méditerranée (UPM). Quelles évolutions se cachent derrière ces changements de nom ? «Ces changements de dénomination sont révélateurs des limites des projets mis en place», estime Khadija Mohsen-Finan, chercheuse à l'IFRI (Institut français des relations internationales). «Entre le moment où le projet Euromed a été pensé et le moment où il a été appliqué, l'environnement géopolitique a considérablement changé», ajoute-elle en précisant qu'il fallait alors adapter les projets aux nouvelles demandes, en tenant compte des échecs des précédentes expériences. Selon Mohsen-Finan, l'évolution du processus de Barcelone a notamment mis en lumière «les déséquilibres entre les partenaires européens et ceux du Sud au niveau de la prise de décision ainsi que les déséquilibres entre les trois volets (politique, économique, culturel et humain)», le volet sécuritaire s'imposant rapidement, notamment après les attentats du 11 septembre 2001. «Les décisions prises sur la rive nord étaient alors de plus en plus perçues comme une norme imposée par une Union se souciant davantage de son voisinage à l'Est que de son flanc sud», note Mohsen-Finan. Selon la chercheuse, «l'Union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy avait donc vocation à corriger ce déséquilibre et à empêcher un conflit entre l'islam et l'Occident, notamment sur la définition des valeurs universelles. Tout en prolongeant le processus de Barcelone, la principale différence avec celui-ci réside dans le fait que les pays du Sud devaient être désormais partenaires à part entière». Mohsen-Finan relève néanmoins que «par-delà ces raisons, il paraissait nécessaire pour la France de redéfinir ses relations avec les pays du Sud et de tourner définitivement la page du colonialisme en conservant son influence». Pour Giovanna Tanzarella, déléguée générale de la Fondation René Seydoux pour le monde méditerranéen, il y a surtout un avant et un après processus de Barcelone. «Avant le partenariat euro-méditerranéen, la politique européenne vis-à-vis de la Méditerranée tâtonnait. Des programmes étaient mis en place qui n'étaient pas à la mesure des enjeux stratégiques que représentait la Méditerranée pour l'Europe». Le processus de Barcelone a marqué un véritable changement de cap. «La zone méditerranéenne se définit désormais comme une zone de proximité où se joue en partie l'avenir de l'Europe même. L'Europe comprend que le destin des deux rives de la Méditerranée est lié, ce qui implique des réponses forcément régionales et collectives», relève Tanzarella. «Avec la PEV, le cap n'a pas véritablement changé. Certes, la PEV a abandonné la dimension multilatérale du partenariat Euromed au profit d'une dimension plus bilatérale, avec l'idée qu'on avance avec ceux qui avancent, ce que l'on appelle la politique de différenciation. Mais la PEV n'a pas pour autant annulé la dimension régionale euro-méditerranéenne», précise-t-elle. Sécurité, stabilité et prospérité aux frontières de l'UE ? L'un des objectifs centraux de la PEV est l'établissement d'une zone de stabilité, de sécurité et de prospérité aux frontières de l'Union européenne. En la matière, la PEV a-t-elle atteint ses objectifs ? «La PEV n'a que 5 ans, et je pense que nous n'avons pas encore assez de recul pour juger une politique aussi complexe», estime Giovanna Tanzarella. «Les accords de Barcelone prévoyaient déjà un partenariat politique et sécuritaire visant à faire de la Méditerranée un espace de paix et de stabilité en luttant notamment contre l'immigration clandestine et le trafic de drogue», rappelle pour sa part, Khadija Mohsen-Finan. «Dans les faits, cela s'est traduit par une fermeture des frontières de l'Europe et un contrôle sévère des mobilités humaines, tandis que les produits et les idées circulaient intensément dans le sens Nord/Sud, ajoute-t-elle. Et le partenariat ne s'est pas donné les moyens d'intervenir efficacement dans la recherche d'une issue (aux conflits agitant la zone sud de la Méditerranée)». Pour Patrick Renauld, chef de la délégation de la Commission européenne en Jordanie, le bilan est mitigé. «À l'évidence, non, nous n'avons pas atteint tous nos objectifs. Et je dis bien «nous» en associant à ces résultats tous nos partenaires à cette politique de voisinage», explique-t-il. «Si l'UE est à l'origine de la PEV, si elle a l'ambition d'être son moteur, l'UE n'a ni la volonté ni le pouvoir d'imposer la réalisation d'une zone de stabilité, de sécurité et de prospérité à ses partenaires. Cela étant, le fait de ne pas avoir atteint encore cet objectif ne nous conduit pas à considérer la PEV comme un échec», ajoute Renauld. Au chapitre des succès, Renauld inscrit le fait que «les partenaires se rencontrent et même se parlent régulièrement sur les questions de développement économique sectoriel qui sont un élément majeur de la construction de la stabilité. On est tout près de l'objectif de la réalisation d'une zone de libre-échange qui, s'il n'est pas atteint en 2010, le sera pour certains partenaires en 2013 ou 2015». Et l'ambassadeur de noter que la plus grande réussite, en la matière, sera la création d'«un véritable marché régional Sud-Sud connecté au marché européen». Patrick Renauld relève également «les efforts remarquables entrepris par chacun des partenaires pour améliorer le fonctionnement de leurs institutions», et «la prise de conscience et le débat sur les valeurs fondamentales comme les droits de la femme et de l'enfant». «Certes, la liberté de la presse ou le droit d'association ne sont pas encore acquis chez beaucoup de nos partenaires, mais il y a débat, et l'UE stimule ce débat, même chez ceux qui, au nom de la sécurité intérieure, le refusent encore», souligne-t-il. Quelle confiance entre les deux rives ? Dans son ouvrage sur la politique européenne de voisinage, Bichara Khader, directeur du centre d'études sur le monde arabe contemporain à l'Université catholique de Louvain, indique que «la PEV demeure une initiative unilatérale de l'UE : les voisins n'étaient pas demandeurs». La PEV est donc «liée à l'intérêt propre de l'UE de consolider sa prospérité et sa sécurité en faisant de ses voisins des alliés, en leur prouvant que les intérêts de l'UE relèvent aussi de leurs propres intérêts». Mais est-ce le cas ? «On peut en douter, car c'est l'UE qui instaure le libre-échange sans avoir grand-chose à concéder», écrit Khader. «Pour les classes dirigeantes des pays du Sud, le projet d'UPM ne diffère pas fondamentalement de celui de Barcelone. Pour eux, les Européens continuent de vouloir écouler leurs produits et souhaitent consolider les marchés du Sud, tout en jugulant l'immigration et le terrorisme. Ces perceptions montrent le faible niveau de confiance qui existe entre les pays des deux rives. Mais si ce climat de confiance fait défaut entre les deux rives, il est aussi inexistant entre les pays de la rive sud, tant les divergences et les conflits continuent de peser sur les relations politiques», relève, de son côté, Khadija Mohsen-Finan. La PEV répond-elle donc aux aspirations des voisins du Sud ? «Ce que j'ai compris après 25 ans dans la région, c'est que leurs premières aspirations sont la reconnaissance et le respect. Dans la mesure où les plans d'action de la PEV sont bâtis en fonction des plans et agendas nationaux qu'ils accompagnent et soutiennent, nous pouvons estimer que l'UE remplit ces aspirations. Nous n'imposons pas un modèle, nous participons au programme de développement de notre partenaire, selon le rythme qu'il a lui-même choisi», note Patrick Renauld. «Il y a de véritables aspirations démocratiques sur la rive sud de la Méditerranée», note, pour sa part, Giovanna Tanzarella. À ce niveau, «le point positif dans la PEV est le fait que la question des réformes ait été placée haut dans l'agenda commun. Par ailleurs, le fait que des représentants de la société civile participent au processus de réflexion sur les objectifs communs est très important et novateur», ajoute-t-elle. «Le problème est que le Sud n'est pas une zone unie. Les priorités des uns ne sont pas les priorités des autres. Ce qui est également essentiel, c'est que les pays du Sud travaillent à une intégration Sud-Sud pour être moins isolés et pour négocier dans une position plus favorable face à la puissance européenne», insiste Mme Tanzarella. Des budgets colossaux sont attribués, dans le cadre de la PEV, à des centaines de projets portant sur des domaines aussi variés que la justice, la protection de l'environnement, la sensibilisation aux droits de la femme, l'éducation... Quel est l'impact réel de ces engagements financiers, aussi bien au niveau des bénéficiaires que de l'image et de l'influence de l'UE ? «Si nous avons dépensé 3,2 milliards d'euros entre 2007 et 2010, c'est pour donner un sens à cette relation, une durabilité. Cet argent n'a pas été donné pour construire des bases militaires, mais pour créer les conditions d'un véritable développement institutionnel, économique et social durable. Ce bénéfice, il existe déjà, et personne ne peut le nier», note Patrick Renauld. «Si cela ne se répercute pas sur l'image de l'UE, c'est que notre action est trop souvent jugée à travers le prisme des conflits de la région sur lesquels nous n'avons pas l'influence que nos partenaires souhaiteraient. En termes de développement humain, nous ne pouvons pas être plus présents, plus actifs, plus solidaires. Et si cela n'a pas d'effet sur notre image, alors communiquons mieux et puis l'histoire jugera», ajoute-t-il. Et de conclure : «L'UE et les pays de la Méditerranée ont depuis toujours eu une relation intense et chaotique, comme toutes les histoires d'amour».