«On ne compte pas moins de 55 accords de libre-échange non exploités, car la logistique marocaine demeure très restreinte», lance Abdelmajid Guerguachi, président du directoire de Tanger Med. Guerguachi intervenait lors des premières escales sectorielles organisées, hier à Casablanca, par la CGEM. Ce constat est visiblement partagé par le nouveau ministre des Transport, Aziz Rabbah, qui estime «qu'en matière de compétitivité, certains secteurs sont plus performants que d'autres. C'est le cas de la logistique, qui a du mal à se positionner malgré l'emplacement géostratégique important dont jouit le Maroc». Bien évidemment, il est inutile de rappeler que le grand chantier de la logistique est en retard. Une réalité qui risque de coûter cher à l'économie nationale. En plus de ce retard, «le secteur présente encore des défaillances nuisant à sa compétitivité». C'est le cas notamment de l'atomicité du secteur. «Dans le détail, 45% des entreprises du secteur de la logistique demeurent informels, sans régulation. Le besoin en formation persiste, avec 64% d'acteurs non formés et finalement l'absence de structuration avec 98% d'entités non structurées», note Abdelillah Hifdi, président de la Fédération du transport au sein de la CGEM. L'autre dysfonctionnement majeur auquel est confrontée la logistique marocaine concerne le transport international routier (TIR). Le déséquilibre import/export combiné aux inégalités des conditions d'exploitation et aux coûts exogènes qui s'élèvent à 17% du prix du transport, entraînent la faiblesse du TIR, sans oublier la difficulté de l'obtention du visa pour les acteurs marocains. Le contexte de crise actuelle n'arrange pas non plus la situation. Ce n'est pas tout, puisque sur les 10 contrats prévus par la stratégie logistique, deux seulement ont été signés (www.lesechos.ma). Pire encore, l'Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL) n'a pas encore été mise en place. Cela bloque toutes les initiatives, allant dans la réalisation des objectifs du contrat-programme. Sur ce point, il faut rappeler que lors de la déclaration du gouvernement, ce dernier s'est engagé à activer la mise en place de l'AMDL, en promettant que cette agence de régulation allait voir le jour au courant de cette année. Une promesse confirmée également par Younès Tazi, directeur de la stratégie, des programmes et de la coordination au département de Rabbah. Selon ce dernier, l'Agence aura des fonctionnalités précises, «qui auront pour but la réalisation des dix contrats d'application de la stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique». Ces derniers chevauchent la politique de régionalisation en cours, notamment en impulsant un développement des zones d'activité logistique, non seulement au niveau du Grand Casablanca (qui comprend la plateforme logistique de Zénata) et Tanger, avec son importante infrastructure portuaire en forte progression, mais aussi au niveau des autres régions, qui peuvent compter sur l'amélioration de la compétitivité des flux agricoles et énergétiques. Du côté de la formation, l'Etat s'est engagé, via l'OFPPT, désormais le plus grand producteur de ce type de profils, pour le lancement des formations spécialisées dédiées aux métiers du secteur. Dans cette optique, l'Office vient de revoir son projet de développement de la formation dans le secteur. Opter pour l'externalisation Sur un autre registre, les débats des escales sectorielles ont porté également sur le volet de l'externalisation dans la logistique. Pour Oussama Loudghiri, directeur général de la Société nationale du transport et de la logistique (SNTL), «l'externalisation représente la solution pour une réduction optimale des coûts (coûts d'équipements, d'organisation et de gestion, d'inventaire...). Cela veut dire une meilleure productivité pour l'entreprise». Voilà qui va irrémédiablement dans le sens du nouveau contrat-programme, qui vise avant tout la réduction des coûts logistiques du Maroc de 20% à 15% du PIB à l'horizon 2015, s'approchant de ceux des BRIC. Toutefois, l'externalisation nécessite des infrastructures. C'est dans ce sens que le ferroviaire est une composante de la stratégie logistique nationale, en développant plus de rails, selon une régionalisation avancée, comme l'a rappelé Rabii Khlii, directeur général de l'ONCF, en qualité d'opérateur multimodal et élément de cohésion des différentes politiques sectorielles qu'entreprend le Maroc. Le grand défi des agréments Le transport routier de voyageurs est certainement l'un des chantiers le plus compliqués de Rabbah. «Le ministre du Transport a assuré à ce niveau qu'une réforme du secteur sera entamée avec la concertation de tous les professionnels. Il est même question d'abandonner l'actuel projet de loi relatif à cette réforme pour en établir un autre», note Mohammed El Mahgraoui, directeur du transport routier et de la sécurité routière au ministère de tutelle. Cependant, aucune date n'a été fixée pour lancer les tractations autour de cette réforme. Karim Ghellab, le prédécesseur de Rabbah, avait à la fin de son mandat approché les transporteurs, mais aucune suite n'a été donnée à cette démarche après les élections du 25 novembre dernier. En attendant, les statistiques du ministère illustrent bien l'anarchie du secteur. Ainsi 24% des 3.651 agréments ne sont pas exploités, 70% des agréments exploités sont soumis à des exploitations indirectes, 3% des transporteurs exploitent un ou deux agréments et réalisent les 2/3 des kilomètres couverts par le transport, 73% des transporteurs sont des personnes physiques et 4% ne disposent pas d'agrément de transport. Une réflexion est donc menée au niveau du ministère pour mettre fin au système des agréments. Il s'agit aussi de professionnaliser le secteur et d'améliorer la qualité des prestations fournies aux voyageurs. «Ceci doit aussi être accompagné d'une restructuration profonde des gares routières», ajoute El Maghraoui. Pour le directeur du transport, il est question de commencer par l'arrêt de l'octroi des agréments, ainsi que la révision des attributions de la commission du transport. «Il serait même judicieux de transformer cette commission en un conseil national», précise El Maghraoui. Pour le TIR et le transport touristique, le ministère pense à la suppression des agréments et à la mise en place de cahiers des charges et de déclarations. «Concernant les transporteurs qui disposent indûment d'agréments, soit ces autorisations leur seront retirées et octroyées à d'autres personnes dans le cadre d'appels d'offres, soit ils se transformeront en sociétés, s'activant en toute légalité vis à vis du fisc et de la législation du travail», souligne Aziz Rabbah, et d'ajouter, «il est important que l'opinion publique sache que nous n'entamons pas de révolution, mais nous sommes dans une logique de réforme progressive, visant la professionnalisation du secteur».