C'est rare où vous allez me voir écrire ça, mais je suis un homme presque comblé. Je dis «presque», parce que je fais partie d'une génération qui n'est jamais contente. Nous voulons toujours plus et mieux. Alors, du coup, même quand nous voyons qu'il y a quand même des choses intéressantes qui se passent, nous avons la manie de trouver qu'il n'y en a toujours pas assez. Et c'est un peu le sentiment que j'ai eu ce week-end en assistant à des activités qui ont été organisées en marge du Festival de Casablanca et auxquelles j'ai été très amicalement invité. Comme vous le savez, je n'ai jamais été très tendre avec certains organisateurs de certains festivals qui croient qu'en regroupant les foules, et en particulier les jeunes, et en leur amenant des maîtres chanteurs qui vont les faire chanter, danser et sauter sur place, ils allaient les calmer pour un bon moment et, surtout, les convaincre de ne pas aller se faire sauter ailleurs. Oui, je sais que je ne dois pas plaisanter avec des trucs aussi graves, mais, franchement, j'ai envie de leur dire qu'ils se gourent complètement. D'abord, ces festivals aussi festifs soient-ils, ont une durée de vie et d'efficacité hyper courte. Avant même que les scènes ne soient démontées, les foules sont déjà de nouveau remontées contre la société et tout ce qui va avec, ou plutôt, tout ce qui ne va pas avec. Or, la bonne démarche n'est pas d'organiser des mégas surprises-parties pour ces foules, et en particulier les jeunes pour, soi-disant, les éloigner des «extrémismes», mais de prendre à bras-le corps leurs vrais problèmes et, en même temps, de leur offrir l'opportunité de connaître, de découvrir et de s'épanouir. Pour ça, il n'y a qu'un seul moyen : la culture. Car la culture, au sens le plus noble, le plus large et le plus universel du terme, est capable de garder un peuple en éveil et d'éviter qu'il ne devienne abruti et qu'il n'aille se jeter dans les bras de certains illuminés au discours si primaire mais si efficace. Certes, il faut bien que les jeunes ou moins jeunes s'amusent, mais il faut aussi qu'on leur donne l'occasion, et les moyens, de s'approprier l'espace public, leur espace, pour en faire un espace commun de création, de créativité et... de citoyenneté. Car c'est ça qui pourra faire d'eux de vrais citoyens, d'abord éclairés, ensuite heureux, et enfin constructifs. En fait, c'est de ça et de bien d'autres choses que nous avons discuté, en toute convivialité, autour de «tables rondes» qui ne l'étaient pas tout à fait, et dans un lieu magique et paradoxalement sinistré : L'Ecole des beaux-arts de Casablanca. Les interventions et les témoignages allaient tous dans le même sens : la culture, c'est le meilleur moyen pour qu'un peuple s'épanouisse et la meilleure arme contre l'obscurantisme. Tant que nos ministres, nos élus, et tous nos hauts parleurs n'ont pas pigé ça, ils ne pigeront rien à l'histoire... et l'histoire ne le leur pardonnera jamais.