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Ça ne tourne plus à Ouarzazate !
Publié dans Les ECO le 10 - 02 - 2012

Ouarzazate, joyau du sud marocain, a-t-elle réussi son pari de se muer en capitale du cinéma? Tout y est conçu en fonction du développement de cet art majeur qui prend de plus en plus d'importance dans tous les pays du monde. Ses studios cinématographiques, ses hôtels classés, sa faculté poly-disciplinaire, son école de cinéma, et bien sûr le décor naturel et magique qui caractérise la ville, sont une garantie pour attirer les grandes productions cinématographiques particulièrement les blockbusters hollywoodiens comme «Gladiator» et «Kingdom of Heaven». C'est à partir des années 80 que tout a commencé avec Michael Douglas et «Le Diamant du Nil». La suite a été prometteuse comme le montrent les productions déjà citées. Qu'en est-il en 2012 ? En visitant la ville et ses alentours, nous sommes séduits par la magnificence qui s'y dégage. Pourtant du côté des studios cinématographiques, véritable «no man's land» dans la ville, nous sommes surpris par la désertion des lieux. Ce qui frappe d'emblée, c'est à la fois l'immensité et la modernité des constructions qui rivalisent d'inventivité et nous plongent dans une rêverie empreinte d'images de westerns, de films noirs et de péplums. Cependant dès que l'on retrouve nos esprits, on comprend que les choses, hélas, ne vont pas comme l'auraient souhaité les initiateurs du projet. À croire que le souffle de la crise internationale est passé par là. Il n'y a pas d'importants projets en perspective et les Américains, omniprésents, il y a quelques années dans la région, se font de plus en plus rares. La crainte, c'est de voir tout ce bel ensemble tomber en désuétude. L'époque de toutes les audaces semble révolue surtout devant la concurrence d'autres pays qui attirent les producteurs internationaux comme la Tunisie, la Jordanie et l'Afrique du Sud.
Les raisons de la crise
Tout a commencé il y a quelques années avec la crise financière mondiale. Les producteurs internationaux, subjugués par la beauté de Ouarzazate, ont limité leurs budgets au grand dam des managers des studios, des techniciens, des figurants, des ouvriers et des hôteliers de la ville. Certains d'entre eux, ont même décidé de dénicher d'autres destinations cinématographiques offrant des avantages financiers beaucoup plus intéressants. Le temps de Babel, d'Alexandre le Grand, semble bel et bien révolu, et l'on se contente d'accueillir des productions à petits budgets. Les téléfilms et les documentaires-fictions remplacent donc les productions hollywoodiennes. Que faire ? «En ce qui concerne les studios Atlas et Cla, nous avons, entre autres, décidé de mettre en place une nouvelle grille de tarifs adaptée à la conjoncture mondiale», nous précise le manager de ces deux studios, Amine Tazi (voir interview). Revoir ses tarifs à la baisse était donc la première décision prise par les professionnels établis sur place. Nous avons essayé aussi de rassembler les synergies afin de drainer les producteurs. Les figurants, les techniciens et les ouvriers ont créé des associations afin de réglementer le secteur. «C'est très important que les différents intervenants dans le secteur puissent se rassembler dans le cadre d'une association. Ça nous permet d'être professionnels et surtout d'éviter que les producteurs étrangers passent de mauvais séjours à Ouarzazate à cause des prix exorbitants établis par certains figurants, techniciens ou ouvriers», ajoute Tazi.
Et Ouarzazate Film Commission vit le jour !
Nous sommes en 2009. La crise mondiale bât son plein et Ouarzazate commence à ressentir son influence. Face à cette situation, le Conseil régional du Souss Massa Draâ présidé à l'époque par Aziz Akhannouch, décide donc de faire appel à un bureau d'études pour tenter de repérer les problèmes, derrière ce déclin. Les recommandations de l'étude sont claires : il faut mettre en place une structure, capable de développer une stratégie pour la promotion du secteur cinématographique dans la région. C'est ainsi que la Ouarzazate Film Commission (OFC) voit le jour en partenariat avec le Centre cinématographique marocain (CCM). Depuis sa création, il y a trois ans, cette association n'a cessé d'œuvrer pour la promotion du secteur. Un plan d'action 2009-2016 a même été établi, regroupant les différentes actions qu'il faudrait entreprendre pour faire renaître Ouarzazate de ses cendres. «La première action est relative à tout ce qui est marketing et communication. Nous accordons une importance particulière à ce volet», nous confie Abderrazzak Zitouny, directeur de la Ouarzazate Film Commission. Ainsi, l'OFC participe aux grands festivals de cinéma, là où il y a des marchés de films notamment à Cannes, afin d'aller à la rencontre des grands producteurs et réalisateurs internationaux. L'objectif étant de fidéliser les producteurs qui connaissent déjà la destination, et de conquérir de nouveaux marchés.
D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que de plus en plus de productions allemandes sont tournées dans la région. «Notre présence dans ce genre de manifestations nous permet aussi d'assurer une veille stratégique par rapport à nos concurrents. Avouons-le, nous avons de plus en plus de concurrents dans ce domaine», ajoute Zitouny. Réglementer le secteur, tel est l'objectif de la deuxième action entreprise par l'OFC. C'est ainsi qu'une base de données rassemblant les informations et les photographies de toutes les personnes qui travaillent dans le secteur est en train d'être réalisée.
Il faut que la stratégie même de l'OFC s'intéresse tout particulièrement aux ressources humaines. «Je pense que le fait de miser sur les ressources humaines se présente comme le devenir du cinéma au Maroc», affirme le directeur de l'OFC. Ainsi et outre la base de données, cette association dont le budget annuel est de 5 MDH (ses principales sources de financements sont le CCM et le Conseil régional du Souss-Massa-Draâ, ainsi que la province de Ouarzazate), mise surtout sur la formation. L'homogénéisation du niveau des techniciens et l'implication des jeunes étudiants de la faculté poly-disciplinaire, et de l'école de cinéma demeurent les priorités majeures du responsable de l'OFC. D'ailleurs le projet Movi Tech lancé en partenariat avec les techniciens de la région vise à permettre à ces derniers d'être régulièrement mis à jour. Les missions de l'OFC ne s'arrêtent pas là ! L'association facilite les conditions de séjour et de travail aux équipes marocaines et étrangères, et aide financièrement tout habitant de la région, ayant déjà une expérience dans le secteur du cinéma, et qui décide de lancer une petite entreprise œuvrant dans le même domaine. «Il s'agit du Fonds d'aide aux activités cinématographiques à Ouarzazate créé par le Conseil régional et supervisé par l'OFC. Grâce à ce fonds, les candidats peuvent bénéficier d'une somme allant de 100.000 DH à 200.000 DH», explique Zitouny. Enfin l'OFC s'est lancé dans un projet de construction de deux salles de cinéma au sein du musée du cinéma de la ville. Une initiative louable et capable de mettre fin à une contradiction de taille. En effet, aucune salle de cinéma n'est opérationnelle à Ouarzazate, considérée comme la capitale du cinéma du Maroc. L'OFC qui est en train de chercher d'autres bailleurs de fonds pour pouvoir mener à bien sa mission ne peut toutefois se substituer à l'Etat et ses actions ne pourront malheureusement pas mettre fin à la crise si les autres acteurs ne s'impliquent pas. Aux responsables des ministères de la Communication, des Finances et des Transports d'associer leurs efforts afin de trouver la solution pour raviver cette ambition de Ouarzazate qui rêvait d'être à la hauteur d' Hollywood et de la Cinecittà italienne.
Amine Tazi,
Manager des studios Atlas et Cla.
«Il faut revoir l'offre Ouarzazate dans sa globalité»
Les Echos quotidien : Ouarzazate a perdu ces dernières années, beaucoup
de son éclat en tant que capitale cinématographique... Les raisons ?
Amine Tazi : D'abord la crise mondiale qui persiste depuis trois ans déjà, ce qui explique la rareté des fonds pour produire des films. Il y aussi la crise des scénarios qui s'est répercutée sur la variété des genres de productions cinématographiques. Comme vous le savez, à Ouarzazate, on tourne des productions bibliques ou celles qui ont une relation avec le désert. Des thématiques de plus en plus rares à cause notamment de cette crise des scénarios. Sinon, nous avons commencé à reprendre espoir l'année dernière, mais malheureusement l'attentat d'Argana a tout chamboulé. Le risque au pays est devenu plus important de même que l'assurance est devenue plus chère. Aujourd'hui, nous constatons un certain regain d'activités, mais cela n'a rien à voir avec les grosses productions tournées à Ouarzazate, il y a quelques années.
Avez-vous essayé d'établir un plan d'actions pour séduire
des producteurs étrangers ?
Il y a des efforts déployés par différents acteurs afin de redorer le blason de la destination Ouarzazate. De notre côté, nous ne cessons de promouvoir la région à travers nos partenaires italiens et américains ainsi que lors de différentes manifestations, notamment les Salons spécialisés et les festivals de cinéma. Il y a un travail en commun qui est réalisé par nos studios en collaboration avec le CCM et la Film Commission de Ouarzazate. Il ne faut pas oublier non plus le rôle que jouent les festivals de cinéma organisés au Maroc dans la promotion de la destination. Je pense tout particulièrement au festival de Marrakech.Par ailleurs, nous sommes en train de mener une réflexion, nous professionnels, sur la compétitivité de notre pays par rapport à d'autres destinations qui deviennent agressives, en l'occurrence l'Afrique du Sud, l'île de Malte, la Tunisie et la Jordanie.
Certains pensent que les producteurs marocains doivent se lancer dans la co-production pour sortir de cette crise...
Si la Tunisie commence à accueillir les tournages de films internationaux, c'est parce qu'il y a un producteur qui a osé se lancer dans la co-production. Au Maroc, on n'a pas encore ce courage d'investir dans le cinéma. Les gens pensent qu'il s'agit d'un secteur qui ne rapporte pas. Il faut les comprendre, vu la conjoncture économique. Je pense que la co-production est un atout, mais je ne suis pas sûr que ce soit le seul moyen pour drainer des productions internationales. Le Maroc doit réfléchir aujourd'hui à une offre financière ainsi qu'à des incentives données directement ou indirectement aux productions étrangères. C'est vrai que nous avons déjà une baisse sur la TVA, mais je pense que le fait que les producteurs soient exonérés de la TVA ne pourrait que les encourager à tourner leurs films au Maroc. Toujours sur un plan direct, il faut penser à des taxes offertes aux producteurs. En Afrique du Sud, par exemple, tout producteur étranger paie 12% de TVA mais il est remboursé à hauteur de 15% sur la globalité de ses dépenses. Quant aux sociétés marocaines, elles devraient avoir des incentives sur les impôts, par exemple, réduisant ainsi leurs coûts, chose qui pourrait se répercuter sur l'offre financière dédiée à la production. Au-delà des aides directes, je pense qu'il faut revoir l'offre cinématographique de la ville de Ouarzazate. Contrairement à ce que l'on pense, presque tout est devenu inaccessible (figurants, ouvriers, techniciens...) et chacun applique le tarif qu'il veut, vu qu'il n'y a pas de réglementation dans le secteur. Bref, si on veut aller de l'avant, l'offre de Ouarzazate doit être réfléchie en termes d'attractivité financière et de logistique, vu que la ville est vraiment enclavée.
Point de vue
Abderrazzak Zitouny,
Directeur de la Ouarzazate Film Commission.
Malheureusement, la ville de Ouarzazate a été affectée par la crise mondiale, ce qui explique la rareté des productions étrangères tournées dans la région ces dernières années. Toutefois, je pense que d'autres facteurs contribuent à ce que la ville subisse plus que d'autres destinations cinématographiques mondiales les effets de la crise. La région est très enclavée au niveau aérien et routier. Plusieurs vols ont été annulés et l'on parle depuis longtemps d'un tunnel qui reliera Marrakech à Ouarzazate, mais qui n'a pas encore été construit. L'Etat doit se mobiliser pour développer le secteur, très porteur, contrairement aux idées reçues, en désenclavant Ouarzazate et sa région. Nous essayons, au niveau de la Ouarzazate Film Commission d'attirer l'attention des responsables à l'importance de mener des actions dans ce sens. L'objectif n'est pas seulement de drainer des producteurs, mais aussi des touristes, vu que les deux secteurs sont étroitement liés.
La preuve en est que le musée du cinéma est visité tout le temps par des touristes qui n'ont rien à voir avec le secteur cinématographique. D'ailleurs, nous sommes en train de penser à la mise en place d'un circuit thématique, afin de permettre aux touristes de visiter les lieux de tournage des grosses productions internationales, comme Gladiator ou Alexandre Le Grand. Cependant, nous ne pouvons réaliser ce projet que si l'on arrive à trouver des modalités de partenariat avec d'autres organismes, notamment l'ONMT. La synergie entre tous les secteurs est à mon sens, primordiale, si l'on veut sortir de la crise.


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