Aujourd'hui, vendredi, Saâd Eddine El Othmani est le Premier ministre marocain à goûter aux honneurs d'une audience royale au palais d'Orient, résidence officielle du roi d'Espagne. Juan Carlos reçoit ainsi le nouveau ministre marocain aux Affaires étrangères pour une entrevue dont l'ordre du jour reste pour l'heure inconnu. Toujours est-il que cette première, chargée de symbolique, renseigne sur la nouvelle tournure qu'ont pris les relations maroco-espagnoles depuis quelques semaines. Il suffit de rappeler que le nouveau Premier ministre ibérique, Mariano Rajoy, a consacré sa première visite officielle au royaume pour comprendre l'importance stratégique que représentent désormais les relations bilatérales avec le Maroc pour les officiels espagnols. Certes, ce n'est pas la première fois qu'un Premier ministre espagnol réserve sa première visite officielle au royaume. José Luis Zapatero en avait fait de même à son avènement et c'était même devenu une sorte de tradition qui consacre l'importance accordée aux relations maroco-espagnoles. Toutefois, ce qui détonne, cette fois, c'est que le Parti populaire, vainqueur des dernières élections, est sensé avoir des positions plus nuancées, pour ne pas dire hostiles, que le parti socialiste envers le Maroc. Or, il devient de plus en plus évident que quelque chose a bien changé du côté du PP et sur la péninsule en général. Pragmatisme commun L'ancienne ministre aux Affaires étrangères, et membre du Parti populaire, Ana Palacio, évoque un changement de paradigme dans les relations maroco-espagnoles qu'elle impute au contexte et à la concomitance de l'avènement des deux nouveaux gouvernements. En effet, Benkirane et Rajoy ont été portés, à cinq jours d'intervalle, au pouvoir en surfant sur l'indignation populaire. Les deux gouvernements doivent donc faire face à des défis similaires, qui concernent les difficultés conjoncturelles et les bouleversements politiques que connait la région. Côté espagnol, la crise frappe de plein fouet l'économie et oblige les nouveaux responsables à se parer d'un réalisme à toute épreuve. Côté marocain, le printemps arabe a suscité beaucoup d'espoirs et force le nouvel Exécutif à jouer son va-tout pour déminer des risques sociaux latents. Pas question donc, ni pour l'un, ni pour l'autre, de se recroqueviller sur des positions idéologiques. Le pragmatisme est le maître mot commun de deux gouvernements s'engageant dans une course contre la montre pour prendre une situation urgente. Cependant, un cheveu est venu se déposer sur la soupe à peine réchauffée des relations entre les deux pays: la non reconduction de l'accord de pêche entre le Maroc et l'Union européenne. Il est de notoriété publique que les pêcheurs espagnols en étaient les principaux bénéficiaires et qu'ils sont par conséquent les premiers touchés par la non reconduction de l'accord fin décembre dernier. Ils n'ont pas tardé à le faire savoir obligeant par là même Mariano Rajoy à annoncer une aide, subventionnée par l'UE, au secteur de la pêche espagnole. Le nouveau Premier ministre ibérique ne lâche toutefois pas le morceau insistant en début de semaine au Parlement européen sur la nécessité de reconduire l'accord de pêche. Les accords de la discorde D'aucuns avançaient même qu'il envisagerait de ratifier un accord hors UE tant l'enjeu est important. Cela reste cependant très peu probable selon Ana Palacio, qui estime que l'accord de pêche doit rester dans le cadre européen. En tout cas cette possibilité renseigne sur la volonté espagnole de hisser le niveau des relations bilatérales. Certes, il ne faut pas se leurrer, l'Espagne ne lâchera pas l'Europe pour préserver ses relations avec le Maroc, mais elle avance désormais la pertinence d'une double relation avec le Maroc aussi bien à travers l'UE que de manière directe. Un autre accord, celui de l'agriculture, attise les tensions entre le Maroc et l'Union européenne, et cette fois l'Espagne, ou plus exactement les agriculteurs espagnols, jouent le rôle d'opposants acharnés. La tomate marocaine était déjà combattue en Espagne. Avec la crise économique, elle y devient l'ennemi public numéro un. In fine, les relations maroco-espagnoles sont complexes et concentrent des enjeux différenciés et parfois même contradictoires. Le volet politique et social en est une clef de lecture notamment dans les relations de voisinage. L'économique prend désormais une toute autre ampleur, car l'Espagne a besoin du Maroc comme relais de croissance voire comme porte d'entrée vers un autre relais de croissance plus important, l'Afrique. Point de vue Ana Palacio, Ex-ministre espagnole aux Affaires étrangères. Qu'est ce qui explique la difficulté des relations maroco-espagnoles ? Pour Ana Palacio, les relations de voisinage, sont très riches mais surtout très complexes. Elles sont aussi asymétriques. Or, ces asymétries ont des aspects qu'il faut gérer. On a vu cela au niveau des deux gouvernements, parce qu'ils sont arrivés en même temps au pouvoir, ils partageaient une même conscience des défis auxquels ils doivent faire face. Des défis similaires et surtout des défis communs. Et parce que ce sont deux gouvernements éminemment réalistes, ils vont fournir beaucoup d'efforts sur toutes les questions qui se posent à cause et grâce à ce voisinage. À la question de savoir s'il faut aller plus dans le sens des relations bilatérales au détriment de l'Europe notamment pour l'accord de pêche, l'ancienne ministre espagnole aux Affaires étrangères estime que l'accord de pêche doit être réglé dans le cadre de l'UE parce c'est avant tout un accord de l'Union européenne. Encore une fois, il ne faut pas choisir entre les relations dans le cadre de l'UE et les relations bilatérales. Il y a des relations qui peuvent être conclues dans un cadre bilatéral et d'autres à travers le multilatéral, mais il y en a d'autres qui ne peuvent être réalisées que dans le cadre de l'UE. Maintenant, il convient de faire des relations bilatérales un levier de création des richesses. S'agissant des ambitions africaines du Maroc et l'intérêt que peut y trouver l'Espagne, Ana Palacio estime qu'il y a un rôle de partenariat entre le Maroc, l'Europe et l'Afrique subsaharienne. Il y a une grande opportunité d'utiliser des moyens de financement ensemble. Le Maroc a des avantages de par ses relations de voisinage, mais il y a aussi une cogestion à développer pour arriver à un modèle de co-développement.