Avec «Douleur et gloire», Pedro Almodovar signe le film le plus personnel de sa filmographie. Gracieux et subtil, le 21e film du génie espagnol lui permettra peut-être de décrocher sa première Palme d'or, samedi 25 mai. À la fin de la projection, la standing ovation dure plusieurs minutes mais la projection presse du lendemain matin est plus mitigée. Est-ce le meilleur film d'Almodovar ou le moins réussi ? Il faut dire que cette fluidité de la mise en scène et la simplicité du récit laissent perplexe. Comment un réalisateur aussi talentueux pourrait-il se contenter de nous livrer un film aussi…banal ? Mais ce n'est pas vrai. Il faut lire entre les lignes et se laisser porter par cette leçon de cinéma. Dans «Douleur et gloire», Almodovar livre un film sans fioriture où son personnage principal, Salvador Salva campé par l'excellent Antonio Banderas est en panne d'inspiration. Un passage à vide créatif qui s'accompagne d'une dépression et de douleurs multiples au corps. Quand la cinémathèque décide de repasser son premier chef-d'oeuvre, le réalisateur renoue avec son acteur fétiche à qui il n'a pas parlé depuis 30 ans. Quand le passé resurgit de plein fouet, l'enfance du réalisateur laisse transparaître de nombreuses choses sur son état mental et physique. Un film personnel Almodovar se dévoile comme rarement dans ce film. Si ces chef-d'oeuvres sont souvent personnels, celui-ci est presque autobiographique même s'il révèle que «oui et non» le film est autobiographique. Le réalisateur de «Tout sur ma mère», «Volver», «Etreintes brisées», «La Piel que habito» raconte la pauvreté, les premiers désirs, les peurs, les doutes, les amours brisés. «J'avais besoin de porter un regard très introspectif, y compris sur la partie la plus sombre de moi-même et de mélanger ça avec les souvenirs les plus lumineux de mon enfance», confie le réalisateur en conférence de presse. Entre le présent et le passé, l'on découvre un réalisateur qui met en scène sa vie tout en y perdant le contrôle. En reprenant contact avec son acteur fétiche, il s'essaie à la drogue pour comprendre l'addiction. Fiction ou réalité ? Almodovar brouille les pistes avec brio avec une mise en scène magistrale, une photographie brillante, des acteurs surdoués. Banderas en Almodovar tout en retenue est à couper le souffle, Asier Etxeandia en Banderas puisque l'on suppose que cette amitié houleuse entre les deux personnages fait référence à la relation entre Banderas et Almodovar. Ce qui donne une dimension encore plus émotionnelle au film. Asier Etxeandia est tout simplement bluffant et charismatique et n'est jamais happé par la grande prestation d'Antonio Banderas. En parallèle à ce quotidien dans la douleur et la gloire ou dans la douleur de la gloire, les flashbacks toujours très justes de l'enfance de Salva nous plongent dans une belle mélancolie. Penelope Cruz qui joue la mère du personnage principale jeune est d'une belle justesse, égale à elle-même en muse invétérée d'Almodovar. Un exercice de style qui donne une incroyable fluidité au récit d'un réalisateur qui a le don de conter les histoires. Douleur et amour Migraines, lombalgies, acouphène, dépression, addiction, entre autres, sont les maux dont souffrent Salva qui est obligé de poser un coussin sur le sol avant d'y poser un genou. «Il y a du réel et de la fiction, rassurez- vous, Antonio et moi, nous ne souffrons pas autant. Il ne faut pas faire une lecture latérale du film», rassure le réalisateur espagnol ému de l'accueil du film à Cannes qu'il considère comme son festival porte bonheur. «Je me sens franco-espagnol tant la Franca m'a apporté son lot de bonheur», continue le réalisateur reconnaissant dont les seules addictions dans la vie sont : dormir 8h et faire des films. Ces acteurs, émus, sont ravis de travailler avec lui. Antonio Banderas versera quelques larmes en conférence de presse, conscient que son acolyte et ami de longue date, vient de lui offrir le rôle de sa vie. «Les addictions changent dans la vie. Après avoir eu des problèmes de coeur, j'ai décidé de me recentrer dans la vie. Je pense que le film m'a aidé. Pedro a trouvé que quelque chose avait changé en moi. J'ai utilisé cela pour le film», confie l'acteur qui repartira sûrement avec un prix d'interprétation si le film ne rafle pas la Palme d'or ou un autre prix. Plus que l'addiction et la gloire, le film parle subtilement du pouvoir de réconciliation, le besoin de boucler les boucles de la vie. Fermer les parenthèses. Un film de toute beauté.