Pas de grosses annonces de financement, certes, ni même de garantie que l'appel à la solidarité soit entendu de l'autre côté. Rien que la rhétorique traditionnelle et tout le protocole qui va avec et qui a fini par devenir une marque déposée des grandes rencontres internationales. Néanmoins, pour une première sortie officielle destinée avant tout à rassurer les investisseurs étrangers, Benkirane peut considérer sa mission à Davos comme une réussite. D'abord, parce que comme plateau d'audience, le chef du gouvernement ne pouvait rêver meilleur et, ensuite, parce que l'essentiel était d'obtenir l'onction internationale de la part de nos principaux partenaires. Deux enjeux stratégiques pour la délégation marocaine qui comprenait, également, le ministre des Affaires générales et de la gouvernance, Najib Boulif, et le patron des patrons, Mohamed Horani. L'édition 2012 du Forum annuel de Davos, la 42e du genre, qui vient de baisser ses rideaux, a, en effet, réuni près d'une quarantaine de chefs d'Etats et de gouvernements et plus de 2.500 chefs d'entreprises, décideurs, spécialistes et économistes de haut niveau, autour des thématiques d'actualités majeurs sur les perspectives de l'économie mondiale et de la situation géopolitique internationale. Comme le veut le rituel, la rencontre s'est terminée sur des recommandations relatives aux issues de sortie de crise qui risquent, une fois de plus, de rester lettre morte. Cependant, pour la délégation marocaine, dont la composition en dit long sur les ambitions, le jeu en vaut la chandelle au vue des multiples rencontres qu'a tenues le chef du gouvernement avec plusieurs responsables d'institutions internationales et potentiels investisseurs. Partout, Abdelilah Benkirane a formulé le même message, celui d'un Maroc porté par une nouvelle dynamique soutenue, celle de l'émergence économique. Un vaste chantier potentiellement porteur de leviers de croissance pour les investisseurs, que le chef du gouvernement a invité à en saisir les opportunités. La carte Maroc Galvanisé par l'investiture de son gouvernement, obtenue quelques heures plus tôt, Benkirane a joué la carte «stabilité», l'atout majeur du Maroc pour essayer de rassurer les investisseurs étrangers, qui doutaient depuis l'arrivée au pouvoir des partis dits islamistes dans plusieurs pays de la région et dont les intentions d'investir sont reflétées par une baisse des IDE, ces derniers mois. Une donne aux effets néfastes pour la région, qui doit faire face aux pressions sociales consécutives au «printemps arabe» et dont les impacts se conjuguent avec ceux de la récession économique qui frappe de plein fouet les pays européens, premiers partenaires commerciaux des pays d'Afrique du Nord. Sans parler d'exception, Abdelilah Benkirane a mis en exergue l'expérience marocaine dans le tourbillon des soulèvements populaires qui continuent d'assombrir l'horizon des perspectives économiques en dépit de l'amorce d'un processus de réformes politiques que le Maroc a su mener à bon terme. «Le Maroc a opéré une évolution substantielle vers la démocratie dans la continuité et la stabilité grâce au climat d'ouverture qui prévalait au moment du printemps arabe» a expliqué Abdelilah Benkirane lors de son intervention à la session plénière du Forum, attraction majeur de sa sortie, et consacrée à la question du modèle de gouvernance post-révolution dans les pays arabes. Pour Benkirane, l'un des nouveaux rôles de l'Etat devrait s'articuler, désormais, autour des aspects liés à «la facilitation de l'investissement et à corriger les dysfonctionnements» afin qu'il soit au service du citoyen et donc du développement. Une plaidoirie pour un état social que défend le chef du gouvernement et qui constitue la raison principal de «son engagement à instaurer un climat de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion de la chose publique». Devant un parterre d'opérateurs économiques internationaux, Benkirane a pris, également, l'engagement de «favoriser l'égalité en ce qui concerne l'accès aux opportunités d'investissement et d'entreprenariat et à encourager l'innovation et en particulier la création d'emplois pérennes pour la jeunesse marocaine». Cependant, a-t-il, souligné, toujours à l'occasion de cette session conjointement animée avec le premier ministre tunisien, Hammadi Jebali et deux candidats à la présidence égyptienne, Amr Moussa et Abdel Moneim Aboul Fotouh, le nouveau partenariat doit s'adapter au contexte actuel. Benkirane a ainsi prôné, «un partenariat équilibré et renforcé entre les pays arabes et les nations industrialisées» sur la base des «avancées majeures en termes de démocratisation et de bonne gouvernance dans le monde arabe». Un appel, en bonne et due forme, pour une redéfinition des priorités dans les relations entre les deux régions voisines et partenaires, afin d'accompagner le processus d'évolutions politiques dans la région de l'Afrique du Nord et surtout des perspectives économiques et sociales dans cette région. Diplomatie économique La participation de Benkirane au sommet de Davos a servi d'occasion pour le chef de gouvernement de déployer une intense diplomatie économique qui va dans le même sens que les objectifs initialement fixés. Abdelilah Benkirane s'est, en effet, entretenu, successivement avec le secrétaire général de l'Organisation de la coopération et du développement économique (OCDE), Angel Gurria, et le président du Forum économique mondial, Klaus Schwab, avant de prendre part, en compagnie du conseil des hommes d'affaires arabes et de plusieurs responsables politiques de la région, à une rencontre avec les dirigeants du G8 et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Des occasions pour le chef du gouvernement, fidèle à son habitude, de «vendre son programme gouvernemental» en mettant en lumière les priorités et les axes majeurs de sa politique. Pour sa part, le ministre délégué aux Affaires générales et de la gouvernance, Najib Boulif, a pris le relais en portant le même message à plusieurs interlocuteurs de haut niveau qui participaient à la rencontre. C'est ainsi qu'il a, tour à tour, rencontré, le vice premier Ministre turc, Ali Babacan, le président du Fonds souverain koweïtien (Kuwait Investment Authority) et les dirigeants de Novartis, numéro deux mondial de l'industrie pharmaceutique. Une rencontre qui s'est avérée prometteuse pour le ministre, puisque selon les responsables de la multinationale, Novartis ambitionne d'investir prochainement au Maroc. Un signal fort qui prouve, si besoin est que la stratégie marketing a bien payé surtout que Benkirane a su utiliser les mots qu'il fallait, battant par la même occasion en brèche les préjugés sur les partis islamistes dont il a été l'avocat à cette messe internationale. «Nous sommes très ouverts et nous pouvons garantir vos investissements mieux que par le passé», a rassuré Benkirane mettant en avant la croisade que son gouvernement entend mener contre la corruption. Il reste maintenant à mesurer sur le terrain les retombées de cette première sortie qui mérite d'être soutenue d'actes concrets surtout, maintenant qu'il entame véritablement son mandat. La situation dans laquelle végètent les pays européens ne plaide pas pour un optimisme sur la réelle capacité de ces pays à soutenir financièrement le processus en cours au Sud, sauf si les intérêts le commandent. Ce qui constitue le cas selon Benkirane pour qui, «les pays maghrébins et occidentaux ont des intérêts complémentaires». La bénédiction de l'OCDE Alors que les critiques fusaient de toutes parts sur la pertinence du programme de mandat gouvernemental, tel que contenu dans la déclaration de politique générale du gouvernement, l'OCDE a conforté Benkirane dans ses ambitions. Au sortir de la réunion de travail qu'il a eue, en marge du forum, avec le secrétaire général de l'Organisation de la coopération et du développement économique (OCDE), Angel Gurria, le Chef du gouvernement a eu droit au soutien de l'institution pour «le rôle de leadership que joue le royaume dans l'initiative MENA-OCDE visant à promouvoir l'investissement et la bonne gouvernance». Plus encore, Angel Gurria a salué la stratégie économique présentée par le gouvernement et a tenu à féliciter Benkirane pour «son courage politique et sa détermination sur les plans économique et social». Une rencontre et une prise de contact qui inaugurent de réelles perspectives dans le cadre du renforcement du partenariat entre le Maroc et l'OCDE. Les deux responsables ont convenu, en effet, «d'intensifier les échanges sur les sujets de la bonne gouvernance aux niveaux global et sectoriel, sujets sur lesquels l'OCDE travaille de manière énergique et diffuse les meilleures pratiques». Pas sûr que le FMI, dont certaines recommandations et prévisions vont à l'encontre du programme de Benkirane, apprécie cela, surtout au lendemain de sa mise en garde sur les menaces qui pèsent sur la région dans le sillage de la situation qui prévaut au niveau international. Benkirane fait son show La sortie médiatique du Chef du gouvernement lors de la session plénière consacrée à la situation au niveau de la région arabe au lendemain du printemps arabe a été diversement appréciée au Maroc. Dans l'ensemble, Benkirane, fidèle à sa nouvelle réputation s'en est bien sorti face aux questions de la journaliste Nadine Hani, de la chaîne émiratie, Al Arabiya News Channel. La phrase de la discorde, une réponse de Benkirane relative à une question sur l'arrivée des partis islamistes au pouvoir au niveau de plusieurs pays de la région d'Afrique du nord (Maroc, Tunisie, Egypte). Le Chef du gouvernement marocain a, en effet, estimé sous une forme interrogative que «le fait de refuser de déjeuner autour d'une table sur laquelle se trouve du vin ne doit pas être considéré comme de l'extrémisme». De quoi soulever un débat houleux surtout sur la toile avec des interprétations parfois tendancieuses qui s'écartaient de l'esprit de la réponse du chef du gouvernement. Tout en rejetant l'étiquette «d'extrémistes» qui collait à ces partis, Abdelilah Benkirane a profité de l'occasion pour mettre en lumière l'approche politique marocaine par rapport à la question pour appeler à l'intégration de ces forces politiques dans la gestion des affaires publiques.