«Apatride», le dernier long métrage de la réalisatrice marocaine Narjiss Nejjar sera enfin en salles à partir du 6 mars. Le dernier opus de la réalisatrice des «Yeux secs» avait séduit la Berlinale en 2018 et a raflé le prix de la meilleure image au dernier Festival national du film de Tanger. Film d'une beauté rare, «Apatride» raconte un drame vécu par une centaine de milliers de Marocains expulsés d'Algérie en 1975 et arrachés à leur famille en plein hiver au mois de décembre 1975. La caméra suit Hénia, brillamment interprété par El Ghalia Ben Zaouia qui se bat pour exister puisqu'elle n'a pas de carte d'identité nationale, le béaba de tout citoyen. Mystérieuse et triste, on suit la belle déambuler dans les beaux paysages de la frontière, perdue dans une maison où elle n'a pratiquement pas de repères avec une tante à peine présente qui lui promet un mariage avec un vieil homme aveugle (Aziz Fadili) alors qu'elle n'a d'yeux que pour son fils (Avishay Benazra). On apprend avec son père du côté de la frontière marocaine alors que sa mère a été forcée de rester en Algérie. Filmé à l'iranienne avec la dimension dramatique et la simplicité du cinéma chinois, Narjiss Nejjar réussi un film tableau où chaque plan est esthétiquement justifié. Ses acteurs sont justes et donnent de la profondeur à 95 minutes de pur bonheur. Histoire d'une Jane Doe Le film écume les silences car Hénia n'a pas de voix, elle n'existe pas ou à peine. Elle n'est pas reconnue par ses pays. Entre deux rives, elle cherche à quitter le père qui est le Maroc pour rejoindre la mère qui est l'Algérie mais sans carte d'identité, elle ne franchira pas les frontières. Elle ne peut même pas se marier. D'ailleurs ses va-et-vient à la préfecture sont d'une cruauté rare. L'héroïne grandit non loin de la frontière algérienne côté marocain et arrivée à l'âge de 35 ans elle n'a toujours qu'une seule et unique obsession : revenir en Algérie pour tenter de retrouver sa mère. Le film suivra le parcours de cette jeune fille hantée par une enfance déchirée par cet exil forcé qui n'a pas manqué de séparer de nombreuses familles maroco-algériennes et d'expulser pas moins de 350.000 Marocains. La réalisatrice du film, Narjiss Nejjar, a choisi de parler de cette tragédie en véhiculant toute une série de messages subtils. «Je suis avant tout une citoyenne du Maroc mais aussi du monde», rappelle-t-elle. C'est d'ailleurs pourquoi ce film est destiné à entrer en résonance avec les conflits contemporains dans de nombreuses régions du monde. En outre, en choisissant d'aborder une telle thématique, la réalisatrice ne l'a pas fait de manière historique, sociale ou politique mais plutôt de manière humaine et esthétique, voire poétique dans ce drame qui sonne comme un écho à d'autres drames humains à travers le monde. Son but était de réussir à appréhender l'histoire à travers une figure qui incarnerait, à elle seule, toute la souffrance de ces centaines de milliers de Marocains séparés de leurs familles. Histoire de femme La réalisatrice signe encore une fois un beau film de femmes. Tout en nuance et d'une belle finesse, «Apatride» met en avant une femme à la fois forte et fragile qui tente de s'affranchir d'une situation donnée en empruntant le laborieux chemin de la liberté qui serait à même de lui garantir davantage de dignité. Le spectateur entre facilement dans cet appel au secours de Hénia, un personnage attachant, qui tente de se frayer une place dans le monde. Elle se sent exister dans le regard de l'autre, notamment celui de Mohad animé par un Avishay Benazra touchant mais ce ne sera qu'à l'arrivée de Lise (Julie Gayet), la femme de son amour d'enfance qui pourtant apportera fraîcheur et bonheur dans cette maison morose. Hénia se sent vivre, elle semble retrouver un semblant d'amour maternelle au point qu'elle en oublierait presque que cette française l'éloigne de l'amour de sa vie. Une fresque sociale lumineuse qui assume son côté sombre en salle dans tout le Maroc à partir du 6 mars. …