La pêche professionnelle vit des moments tumultueux ces derniers jours. La polémique grandissante autour des rôles et de la légitimité de la Commission mixte maroco-espagnole des professionnels du secteur, a débouché sur un grand désordre. Du déjà vu certes, mais le contexte dans lequel ce méli-mélo intervient lève le voile sur une confusion inextricable des rôles aussi bien dans le dossier de l'accord de pêche, que dans celui de la représentativité en elle-même du secteur, à l'échelle nationale. L'actu ? C'est cette énième sortie opérée par la Chambre des pêches maritimes de l'Atlantique centre Agadir, la troisième en une semaine, rejetant le rôle, les interventions et la légitimité de ladite Commission mixte ainsi que des représentants marocains qui la composent. Ces derniers se revendiquent principalement de la Fédération des pêches maritimes et de l'aquaculture (FPMA). «Cette commission ne représente que les membres qui la composent et n'a aucune habilitation à parler au nom de la profession. Nous condamnons ses démarches douteuses et singulières», tance Abderrahmane Sarroud, le président de la Chambre des pêches maritimes de l'Atlantique centre Agadir. Cette position vient rejoindre celles de la Chambre des pêches Nord et de la Confédération nationale de la pêche côtière au Maroc. Ces deux instances, sont par ailleurs membres de la Fédération de la Pêche maritime, la seule entité représentative du secteur au sein de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). À la FPMA, Omar Akkouri, le président de l'entité, se veut intransigeant. Ceux qui avancent ces propos en prennent l'entière responsabilité. «Nous ne voulons entrer dans aucune polémique, tout en sachant qu'aucune personne responsable n'a le droit de juger de la légitimité ou non de qui que ce soit d'autre», se défend-il. Entre le marteau et l'enclume ? Quel est le rôle de la tutelle dans tout cet imbroglio qui secoue le milieu professionnel de la pêche ? Zakia Driouch, la directrice de la Pêche maritime, est restée injoignable, jusqu'au moment où nous mettions sous presse, pour nous aider à y voir clair sur cet aspect. La seule information dont nous disposons de ce côté-ci du mur, est relative à une réunion tenue, mardi, entre professionnels de la pêche et le ministre Aziz Akhannouch, durant laquelle la polémique sur la Commission mixte a été soulevée. «Nous avons en effet mis le ministre au fait de ces agissements et il nous a rconforté notre position, en réitérant le fait que nous étions les seuls représentants légaux des professionnels du secteur», nous renseigne Abderrahmane Sarroud. Aziz Akhannouch est certes un grand habitué du désordre représentatif de son secteur de tutelle. Son précédent mandat a été rythmé par les mouvements d'humeur d'une association ou d'une autre, d'une pêcherie ou d'une autre... et ce second est bien parti pour l'être davantage. Confusion de rôles La FPM regroupe en son sein près 90 % des opérateurs de la pêche hauturière, l'ensemble des quatre chambres de pêche du royaume, ainsi qu'une bonne partie des associations de la pêche côtière. Son président, Hassan Oukacha, pousse le débat à un niveau beaucoup plus haut. «Certains opérateurs, pour des intérêts divers, tentent d'usurper le rôle des vrais interlocuteurs du secteur. Cette commission mixte n'a aucune raison d'exister à nos yeux et nous ne comprenons pas son rôle». Le responsable argumente sur la base de deux éléments principaux. D'abord, «cette commission se veut défenseur de l'accord de pêche et semble empiéter sur la platebande des négociateurs officiels du royaume, incarnés par les institutionnels». Oukacha juge cet état de fait comme une aberration, puisqu'il ne peut pas y avoir un interlocuteur plus élevé et plus crédible que l'Etat lui-même pour défendre les intérêts du pays, surtout pour un dossier aussi sensible qui touche à la souveraineté des ressources. «Pis, cette commission risque d'affaiblir la position du Maroc vis-à-vis des Européens», complète le responsable. D'autre part, la FPMA, membre de cette commission, est une organisation externe à la CGEM - et donc non reconnue par l'unique représentation patronale du royaume. Pour la petite histoire, à son arrivée à la tête du patronat, Mohamed Horani aurait donné des instructions pour avoir dans son équipe un seul et unique interlocuteur du secteur de la pêche. La FPMA avait rejeté cette main tendue et refusé d'intégrer l'instance patronale en se faisant phagocyter à travers la FPM. C'est, en quelque sorte, le début d'une «fronde» qui ne dit pas son nom... Une loi pour organiser la profession ? Une question semble se poser avec de plus en plus d'insistance : une loi sur les organisations professionnelles du secteur serait-elle la solution miracle ? Certains observateurs vont en effet jusqu'à considérer ce manque de cohésion qui caractérise la profession, comme le bât qui blesse dans la stratégie Halieutis. En effet, «si la tutelle a encore du mal à faire adhérer l'ensemble des acteurs du secteur à cette stratégie et trouve encore des difficultés à la mettre en œuvre, cela serait justement dû au caractère inextricable et à la confusion généralisée qui prévalent, chacun s'employant à sauvegarder ses propres intérêts», nous explique ce parlementaire, ancien membre de la commission des secteurs productifs à l'hémicycle. Pour ces mêmes observateurs, le parallélisme est à établir avec les expériences en cours dans le secteur agricole. «Le Plan Maroc vert connaissait les mêmes soucis, mais la tutelle a eu l'idée pertinente d'instaurer une loi sur les interprofessions agricoles, laquelle est aujourd'hui déjà dans le circuit législatif», complète la mêmes source parlementaire. Selon ce dernier, ce texte permettrait de clarifier les choses dans la profession et permettrait à la tutelle d'identifier, au final, ses véritables interlocuteurs. Cela devrait enfin apporter une réponse aux interrogations sur le «qui fait quoi ?», dans ce secteur vaste comme l'océan...