Mohamed Charef. Directeur de l'Observatoire régional des migrations espaces et sociétés (ORMES) Mohamed Charef est directeur de l'Observatoire régional des migrations espaces et sociétés (ORMES). Il nous livre ses observations de chercheur sur l'évolution du profil des émigrés marocains dans le monde. Comment a évolué la politique publique destinée aux Marocains du monde (MdM) durant les deux derniers gouvernements ? Le Maroc dispose d'une politique publique intégrée destinée aux MdM. Elle se comporte d'aspects culturels, cultuels et sociaux. Elle se traduit par la création de centres culturels à l'instar du dernier en date créé à Montréal. Le centre d'intérêt de cette politique est de ne pas réduire ces Marocains à un simple enjeu économique. À ce propos, comment expliquez-vous que les transferts continuent chez les deuxième et troisième générations de MdM ? Je me suis intéressé très tôt à cette question. Dans le début des années 80, on prévoyait un arrêt ou une diminution de ces transferts. Dans les faits, rien de cela ne s'est produit. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. Le premier est que la migration marocaine est toujours dynamique. Nous continuons à constater plusieurs départs. Le deuxième est l'ouverture de nouveaux espaces migratoires. Nous constatons depuis deux décennies l'élargissement et la mondialisation de la migration marocaine. Le troisième facteur est le lien très fort entretenu entre les MRE et leurs familles. Le quatrième facteur est la mise en place dès 1966 d'une politique pour drainer et canaliser les transferts qui a aussi porté ses fruits. Cette stratégie a permis la création d'un réseau bancaire dans les pays d'installation, qui a facilité les transferts et réduit les réseaux parallèles de ces transferts. L'ensemble de ces éléments ont joué d'une manière ou d'une autre dans le maintien du lien avec le pays d'origine. Ces facteurs ont permis de faire en sorte que ces transferts continuent de jouer un rôle très important dans l'équilibre de la balance des paiements des finances publiques. Nous constatons une nouvelle vague de départs irréguliers ainsi que réguliers. Est-ce une continuité ou une rupture par rapport aux premières vagues de départ des Marocains vers l'étranger ? Le mouvement de départ a toujours existé au Maroc, certes l'intensité n'est pas la même mais nous continuions à être ce pays de départ. Ces départs n'ont jamais cessé, lesquels sont subis soient pour des raisons économiques liées à la difficulté dans l'insertion sur le marché du travail au niveau local ou bien la volonté de trouver un meilleur cadre de vie ou pour poursuivre des études. Maintenant, la rupture se situe dans le profil de l'émigré marocain. Nous sommes très loin du profil des années 60 et 70, qui était un homme illettré venant souvent du monde rural. La nouvelle génération d'émigrés se compose de trois profils : des émigrés irréguliers, ce sont souvent des jeunes au chômage. C'est une vague de départ qui demeure moins importante et emprunte des circuits très compliqués passant par la Tunisie vers la Libye ou la Turquie. Il s'agit ici de circuits risqués avec un coût élevé. Quels sont les deux autres profils ? Le deuxième profil, ce sont des jeunes diplômés qui sont à la recherche d'une meilleure opportunité d'emploi et un meilleur cadre de vie. Le troisième profil, ce sont les étudiants qui partent pour compléter leur formation. Vous avez réalisé plusieurs études de terrains auprès des émigrés. Avez-vous des explications sur les raisons des départs ? Nous sommes surpris par les retours de terrain. Des Marocains qui partent vers le Canada courent le risque du déclassement, du fait de la non-reconnaissance de leurs diplômes. Ils peuvent laisser une situation professionnelle stable et un revenu convenable au Maroc pour partir dans un pays lointain. Ils nous expliquent ce choix par la volonté d'améliorer leur cadre de vie. Pour un temps et en concomitance avec la transformation du Maroc en pays d'accueil d'immigrés et le développement économique au royaume, les autorités publiques n'ont-elles pas cherché à occulter la question des départs des Marocains ? Il n'y a pas de lien direct entre le développement économique et les décisions de migrer. Même avec un niveau de développement économique important, les mouvements migratoires continuent à traverser un pays. Regardons nos voisins français qui comptent une diaspora de 2 millions de personnes. Ce qu'on constate, ce sont des retours de MdM pour des projets professionnels ou à cause des difficultés économiques que traversent des pays de destination notamment en Europe ou la montée de l'extrême droite, le racisme et la xénophobie sont sans complexe. Ces raisons contribuent aux retours de MdM. Dans le même temps, les Marocains continuent de s'installer sur de nouveaux territoires, notamment en Amérique latine, Nouvelle-Zélande ou en Australie. Enfin, nous sommes face à une mobilité de compétences plus qu'une immigration.