Cela fait un peu plus d'un an que les premières banques participatives ont entamé leur activité au Maroc. En somme, ce sont cinq banques à part entière et trois fenêtres autorisées à exercer pleinement cette activité. Et les premiers résultats restent satisfaisants. Si en apparence, tout paraît en place, dans les coulisses, les amendements fusent et le chantier semble toujours en cours. Les plus optimistes parient pour un secteur 100% opérationnel courant 2019. Détails «L'année 2019, sera l'année de la Takaful», s'accordent à dire les professionnels de la place. Pour Said Amaghdir, président de l'Association marocaine pour les professionnels de la finance participative (AMFP), «ce n'est plus une question de choix, c'est devenu une obligation». Et pour cause, un an après son lancement, le marché de la finance participative - jugé comme un marché de niche à l'origine - brasse actuellement plus de 2,6 MMDH. Il pourrait finir l'année à un peu plus de 3 MMDH. Un succès porté par une activité qui - dans son essence - «interdit» la spéculation et prône le partage des risques. La finance participative a ainsi trouvé écho auprès d'une population qui entend concilier consommation de produits financiers et convictions religieuses. Elle représente également une source de financement compétitive pour les petites et moyennes entreprises, surtout que l'accès aux ressources de la finance conventionnelle est difficile pour beaucoup d'entre elles. Certes, mais en absence d'assurance, l'alliance entre l'opérateur et son client peut rapidement virer au drame. En effet, sans couverture, l'activité représente un risque systémique pour les banques, les clients, ainsi que pour le notaire qui authentifie l'opération et veille à son exécution. En attendant, les banques participatives doivent composer avec la situation actuelle. Si pour la Mourabaha Immobilière, les banques se permettent pour le moment de financer sans couverture en attendant le Takaful, la Mourabaha auto exige, quant à elle, une assurance obligatoire pour l'utilisation de tout véhicule. Les clients désireux donc de contracter ce financement sont obligés de souscrire à une assurance automobile classique. À noter que Takaful s'ouvre sur pratiquement tous les produits financiers -pas uniquement la vie mais également la non vie - et ce, pour couvrir le risque habitat par exemple, la carte de paiement ou encore le risque professionnel. «Il est tout à fait urgent qu'il y ait un produit de couverture des risques par rapport aux personnes qui contractent des financements», nous confiait Mohamed Maârouf, directeur général de Bti Bank. Il faut dire que c'est un amendement dans le projet de loi Takaful - actuellement à la première Chambre - qui serait à l'origine du retard. Une «innovation» recommandée par le Conseil supérieur des Oulémas (CSO) et qui devrait changer toute la structuration de l'assurance. «Le CSO a vraiment poussé vers cette restructuration d'où la refonte de la loi Takaful qui sortira en même temps que la Loi de finances 2019», assure Amaghdir. Cet amendement oriente ainsi vers la séparation du fonds Takaful de l'opérateur gestionnaire. Il sera donc question de mettre en place un règlement ainsi qu'un mandat de gestion entre les deux parties jugées deux personnalités morales différentes. Et ce, de telle manière à ce que l'opérateur Takaful puisse gérer un fonds jusqu'au jour où il perde son agrément ou sa licence. Le fonds pourra être récupéré facilement par un autre organisme, puisqu'il est doté de la personnalité morale, donc pas de capital à gérer ni de Conseil d'administration. «C'est un changement majeur dans l'industrie de la finance participative, puisqu'il n'existe dans aucune réglementation au monde... ni au CCG, ni en Malaisie», commente Amaghdir. D'autres amendements sont également dans le pipe, notamment les projets d'arrêtés du ministre de l'Economie et des finances -fixant notamment les conditions générales types de certaines couvertures - et d'une circulaire de l'ACAPS. «Le processus d'adoption de ces textes pourrait être achevé juste après la publication de l'amendement du code. Ces textes sont actuellement en discussion et devront être bientôt validés par le CSO», espère un professionnel de la place. Une fois les amendements publiés, l'ACAPS démarrera le traitement des demandes d'agrément des compagnies d'assurances et de réassurance souhaitant se positionner sur cette activité. La lenteur de la mise en place du processus laisse certes place aux spéculations, mais le but des parties concernées (régulateurs, opérateurs…) est de se lancer dans cette «aventure» sur de bonnes bases. Or, la Banque centrale a déjà établi tous les contrats relatifs au financement Mourabaha (Immobilière, Automobile, Mobilière ou équipement). «Nous avons besoin d'un écosystème très complet qui nous permette de libérer les énergies et les synergies de ces nouvelles banques pour que nous puissions évoluer rapidement, augmenter notre portée, et mieux servir la clientèle marocaine qui est en attente de ces nouveaux produits», commente le patron de Bti Bank. Sachant que la finance participative dispose d'instruments beaucoup plus sophistiqués et mieux taillés aux besoins de différents segments. «Nous avons un marché qui mérite un certain nombre de produits qui permette de doper une activité que ce soit au niveau des besoins des particuliers ou besoins d'entreprises. Pour moi, l'accélération du rythme d'octroi et de validation de nouveaux contrats permettrait d'atteindre ces objectifs», ajoute-t-il. En effet, sur un horizon de dix ans, l'industrie de la finance participative pourrait représenter 5% du total des actifs du secteur bancaire, selon les estimations les plus sérieuses. D'un autre côté, les banques étaient toutes aussi impatientes pour la mise en place des outils de refinancement, puisqu'il existe une grande pression sur ce secteur qui ne fait appel qu'à son capital. C'est désormais disponible à travers la Wakala Istithmar. Les sukuk ont également apportés un nouveau souffle à l'industrie. Très attendue par le secteur, l'émission d'1,1 MMDH a été sursouscrite 3,6 fois en octobre dernier. «On ne peut que saluer cette initiative… Peut être qu'aujourd'hui ce n'est pas un instrument très fort de gestion de liquidités des banques participatives, puisqu'il tombe à un moment où les banques avaient réellement besoin de liquidités. Mais dans l'absolu, c'est une initiative louable qui permettrait de donner au Trésor une appétence par rapport à cet instrument pour que le royaume comprenne qu'il existe aujourd'hui des instruments plus intéressants pour financer les projets étatiques», commente Maarouf. Pour Abdessamad Issami, président du directoire d'Umnia Bank, les sukuk restent un moyen de placement qui permettra aux banques de palier au manque de liquidités, puisque ces dernières ont financé plus qu'elles n'ont collecté durant cette première année d'activité. Pour lui, cet instrument financier est une aubaine pour l'économie du royaume, puisqu'il permettra d'attirer de nouveaux types d'investisseurs. «Mais gare aux coûts de structuration qui pourraient être plus chers que les obligations classiques». Aussi, les banques restent confrontées aux efforts de provisionnement qui restent à mettre en place. «Ce n'est pas encore le cas pour nous, mais nous allons y arriver». Les banques conventionnelles ont été tenues par la Banque centrale à les appliquer à partir de cet exercice pour se conformer aux normes IFRS 9. «C'est la maison-mère qui doit intégrer et subir les contraintes de ces normes …Nous n'avons pas encore reçu de notifications dans ce sens. Mais je pense qu'on va s'y conformer», conclut Issami.