Les professionnels marocains de la finance participative déplorent l'absence d'émissions de certificats de sukuks, que ce soit par l'Etat ou par de grandes entreprises. Une telle émission s'avère pourtant nécessaire au développement d'un marché de capitaux participatif, qui apportera de la liquidité et des opportunités de placement pour les futures banques et assurances participatives. "Il faut absolument lancer des émissions de certificats de sukuks avant le démarrage des banques participatives et celui de l'assurance Takaful, pour ne pas lancer des mort-nés». L'image est forte et résume parfaitement l'état d'esprit qui anime en ce moment les professionnels de la finance participative au Maroc. L'auteur de cette phrase, prononcée à l'occasion de la troisième édition des meetings de la finance autour du thème «Structuration de sukuk Ijara, souverain et corporate», est Saïd Amaghdir, président de l'Association marocaine pour les professionnels de la finance participative (AMFP). Une saillie qui traduit un certain agacement face au manque de volonté politique de la part de l'Etat, visiblement peu pressé de lancer une émission de sukuks. Une telle opération serait pourtant susceptible de donner une forte impulsion à la finance participative et enverrait un signal fort aux investisseurs. «L'émission de sukuks est un sujet déterminant pour la réussite de la finance participative au Maroc. Le lancement de Takaful sans émettre de sukuks au préalable n'a pas réellement de sens, car on sera bloqué en termes d'investissements à une vingtaine d'actions éligibles (halal) sur le marché», explique Saïd Amaghdir. Ce qui n'est pas sans poser, en effet, un problème évident de liquidité et de manque d'opportunités de placement, au risque de pénaliser le développement de Takaful. Selon les professionnels de la finance islamique, l'idéal est de commencer par une émission de certificats de sukuks avant de lancer les banques participatives et enfin Takaful, l'assurance participative. A ce jour, aucune émission n'a eu lieu pour des raisons plus politiques que techniques, estiment les professionnels. Pourtant, le cadre réglementaire marocain actuel permet l'émission de sukuks à l'international, et ce depuis 2013. Pourquoi dès lors n'y a-t-il toujours pas eu pas d'émissions en devises ? «C'est l'Etat et les grandes entreprises qui peuvent le faire pour des sommes supérieures à 2 ou 3 milliards de dirhams. Certaines entreprises y ont pensé, mais attendent que l'Etat le fasse en premier pour avoir un benchmark, notamment sur la prime de risque», note Fouad Bendi, Directeur général adjoint de Maghreb Titrisation. L'Etat doit donc donner l'exemple. Mais en a-t-il seulement la volonté ? Notons que plusieurs pays africains ont émis des sukuks à l'international sans même disposer de cadre légal. C'est le cas notamment du Sénégal ou encore de la Côte d'Ivoire. Concernant le marché local, il n'est toujours pas possible d'émettre de sukuks en dirhams. Une telle opération nécessite l'accord du Conseil supérieur des Oulémas (CSO) pour avis conforme, ainsi que la fixation par voie réglementaire des caractéristiques techniques et des modalités de l'émission. Or, selon les spécialistes, il manque toujours un arrêté du ministère des Finances. «C'est ce qui bloque actuellement, mais la tutelle travaille dessus», nous apprend F. Bendi. En tout cas, tous les intervenants au séminaire ont émis le souhait que l'Etat accélère la cadence pour dynamiser le secteur. Et le Maroc a intérêt à le faire le plus rapidement possible, surtout s'il veut devenir un hub financier régional. La présence d'un opérateur de titrisation à un séminaire sur les sukuks est loin d'être anodine. En effet, au Maroc, les sukuks sont intégrés à la loi sur la titrisation, et ce depuis 2013. «Le Maroc a fait ce choix, ce qui est très rare», souligne le DGA de Maghreb Titrisation, leader régional de la titrisation. Ces deux opérations sont très proches en termes d'architecture financière, notamment en ce qui concerne l'émission de sukuks Ijara, que l'on pourrait apparenter à la location/crédit-bail d'immobilier et équipements dans la finance conventionnelle. Cette forme d'émission est, de l'avis des professionnels, la plus facile à comprendre et à mettre en oeuvre. Dans les deux cas (titrisation conventionnelle et sukuk), il s'agit d'isoler un actif et de le mettre dans un vecteur dédié (Fonds de placement collectif en titrisation ou FPCT), avant d'émettre les titres adossés à cet actif. Il faut que l'actif en question ait la capacité de rembourser les investisseurs (les obligataires ou les porteurs de Sukuks). «Le Maroc a une grande expérience en matière de titrisation. Ces opérations sont techniquement proches des sukuks», souligne à ce titre S. Amaghdir. «D'ailleurs, poursuit-il, les opérateurs de titrisation se multiplient, ce qui est une bonne chose» (outre Maghreb Titrisation, Attijariwafa bank en 2014 et BMCE Bank en 2015 ont lancé Attijari Titrisation et BMCE Titrisation, ndlr). Neutralité fiscale En amendant la loi 33-06 sur la titrisation en 2013, les autorités ont également aménagé sa réglementation fiscale pour préparer le terrain à l'émission des premiers certificats de sukuks. Ainsi, comme le rappelle Fouad Bendi de Maghreb Titrisation, ce mode de financement bénéficie de la neutralité fiscale garantie lors du transfert d'actifs titrisés. De même, en matière de TVA, l'imposition des loyers des biens détenus par le FPCT se fait au taux réduit de 10%. Par ailleurs, il y a exonération de l'IS lors de la cession aux FPCT d'actifs immobiliers, tout comme il y a exonération des droits d'enregistrement et de conservation foncière. La neutralité est aussi de mise pour ce qui est des impôts locaux, notamment la taxe professionnelle et la taxe des services communaux.