Pierre Ganz. Spécialiste de la déontologie Pierre Ganz, journaliste et vice-président de l'Observatoire de la déontologie de l'information (ODI) vient de publier un recueil de chronique intitulé «Chroniques de déontologie» qui s'adresse aux professionnels des médias. Contraints de travailler de plus en plus vite et avec moins de moyens, ces derniers «oublient» les principes déontologiques. Pour lui, l'exercice du métier de journaliste connaît une vraie crise. Vous venez de publier un livre intitulé «Chroniques de déontologie». Comment est née l'idée de ce travail ? C'est un recueil de chroniques qui ont été publiées tous les mois depuis 2014, dans l'infolettre de l'Union de la presse francophone (UPF) adressée à tous les adhérents de l'UPF. Au départ Jean Kouchner, secrétaire général de l'UPF, m'a dit que ce serait bien de porter une réflexion déontologique dans les activités de l'UPF et les pages de ce journal car les confrères sont un peu seuls par rapport à ces questions. Dans les pays du sud, on manque souvent de corpus équivalent dans ce sens là et dans les pays du nord, on met un peu cela de côté. Quel est l'objectif de ce travail ? L'objectif a été, mois après mois, de pousser la réflexion sur la déontologie. J'ai essayé de faire quelque chose de très concret, de très pratique parce que dans ma pratique professionnelle, je me suis rendu compte qu'il y avait un discours éthique et déontologique justifié et nécessaire. Et dans l'exercice du métier de journaliste, on est tous les jours confrontés à des petites problématiques : est-ce que je passe cette photo ? Ai-je bien renseigné l'information ? Et cela ce ne sont pas les chartes qui le disent. Les chartes posent des principes qu'il faut absolument connaître et qu'il faut appliquer. Donc, ces chroniques donnaient des petits conseils, des petites remarques et suggestions, des petites réflexions que l'on peut avoir au sein des rédactions et au fil des mois cela a donné une cinquantaine de publications que l'on retrouve aujourd'hui dans cet ouvrage. À votre avis, est-ce que la déontologie est plus bafouée qu'avant ? Je pense surtout que la déontologie est toujours nécessaire. Le public est sollicité par beaucoup de sources d'informations et il a de plus en plus de mal à savoir quelle est l'info la plus fiable, honnête, impartiale et indépendante qui s'adresse à lui. La déontologie est une des clés pour que le journaliste, tel que nous l'entendons à l'UPF et tel que nous voulons l'être professionnellement, réponde aux sollicitations négatives qui s'offrent au public. Ce qui fera la différence sur les journaux, internet, un blog... c'est le respect de la déontologie. Par exemple, la personne qui tient un blog, elle le fait pour se faire plaisir ou pour se faire connaître, etc. Le journaliste, lui, écrit parce que cela peut intéresser le public et parce que le public doit savoir. Cette différence montre le rôle et l'importance de la déontologie. Est-ce que la déontologie est moins respectée qu'avant, c'est difficile à dire. Ce qui est certain c'est que les conditions de production de l'information se sont complètement dégradées. Il faut aller de plus en plus vite avec de moins en moins de moyens. Et souvent c'est la déontologie qui en souffre. Les 47e assises de la presse francophone qui se tiennent du 9 au 12 octobre en Arménie ont pour thème «Médias et migrations». Est-ce un sujet qui fait l'objet de manipulations journalistiques ? D'abord les fausses informations et les fake news, ce ne sont pas des problèmes de journaliste. C'est le problème de gens qui ont une autre optique ; de ne pas informer le public dans son intérêt. Les problèmes déontologiques qui concernent les questions de la migration sont la recherche systématique de l'émotion et du spectaculaire. Le journaliste doit raconter la réalité mais en gardant digne la situation des gens dont il parle. Les questions de déontologie qui se posent autour de la migration sont «Est-ce qu'il faut montrer telle ou telle photo ? Est-ce que la montrer a un intérêt pour le public et est-ce qu'elle est nuisible pour les gens concernés par cette photo ?». Il s'agit de savoir s'il faut relayer des faits immédiats et se contenter des images des personnes prises dans les flots de la Méditerranée ou perdues dans le désert ou est-ce qu'il faut recontextualiser, réexpliquer, remettre dans un champ plus large... Là, je réponds oui car c'est le travail du journaliste. Les journalistes sont-ils bien formés pour traiter des questions aussi sensibles ? Au-delà de la maîtrise des techniques rédactionnelles, le journaliste doit savoir traiter et recouper l'information, il doit connaître les techniques pour chercher l'information sur le terrain ou internet. Seulement, on veut de plus en plus que les journalistes travaillent très vite sur n'importe quel sujet sans bien le connaître. Il y a une crise économique du journalisme avant même une crise de déontologie.