Le journalisme d'investigation est au centre des débats des Assises de l'Union de la presse francophone qui se tiennent à Conakry du 20 au 25 novembre. Ce genre de journalistes est notamment menacé par la société numérique, la paupérisation des médias et le manque de formation. Quel est le point commun entre le policier, le juge, le médecin et le journaliste ? La réponse, ils enquêtent, cherchent minutieusement quelque chose, selon la définition rappelée par Pierre Ganz, journaliste et vice-président de l'Observatoire de la déontologie (ODI) lors des 46e Assises de l'Union internationale de la presse francophone (UPF) qui se déroulent du 20 au 25 novembre à Conakry et qui sont placées sous le thème «Journalisme, investigation, transparence». La comparaison s'arrête là car aujourd'hui l'expression «journalisme d'investigation» a perdu de son aura dans la mesure où le travail d'investigation perd du terrain, jugé trop long et trop coûteux. «Nous sommes dans une époque où l'information est gratuite et où on a perdu de vue l'importance du travail journalistique», renchérit Romaine Jean, rédactrice en chef du magazine TV à RTS (Suisse) qui intervenait lors de la première table ronde intitulée «Journalisme d'investigation : enjeux, limites et perspectives». Le constat est amer, le travail d'investigation n'intéresse plus les médias eux-mêmes en voie de paupérisation à cause de budgets publicitaires en peau de chagrin. Au nom de la loi du marché En plus des risques physiques, une menace encore plus sournoise plane sur ce genre journalistique. Ce phénomène a pour nom fake news, concurrence des réseaux sociaux, contraintes commerciales, etc. Conséquence, le journalisme d'investigation fait place à un journalisme de connivence, à un journalisme de compte-rendu et l'indépendance éditorialiste du journaliste est brimée. Aussi, le journalisme d'investigation a plus que jamais besoin d'être sauvé. Pour cela, il faut commencer par sauver les médias. C'est ce que propose Julia Cagé, professeur d'économie à Sciences po Paris lors de la conférence d'ouverture. Pour elle, l'affaiblissement de la presse, c'est la faillite de la démocratie dont les journalistes d'investigation en sont les sentinelles. L'exemple des Panama Papers et Paradise Papers sont des exemples édifiants, dit-elle. «Pourtant, le journalisme d'investigation est en péril. De grands journaux sont contraints de fermer à cause de la fermeture du robinet de la pub», ajoute Julia Cagé. Pour dépasser cela, celle-ci a pensé à un nouveau modèle économique pour les médias : «Mon idée est de proposer la création d'un statut de société de média à but non lucratif, un modèle qui se situe entre la fondation et la société par actions. Ce modèle préconise que les petits donateurs qu'ils soient journalistes, salariés ou lecteurs se regroupent entre-eux pour investir dans les médias, grâce au financement participatif». Le sauvetage du journalisme d'investigation passe aussi par une justice qui respecte le principe de la liberté d'expression des médias. Cheick Sako, ministre guinéen de la Justice et garde des sceaux a rappelé que son pays avait accompli des avancées à ce propos et que la «protection des sources est aussi fondamentale que le secret de l'instruction par les juges». La relation juge-journaliste est floue selon, Abdelmounaim Dilami, pdg du groupe Ecomédias : «le conflit ou l'incompréhension entre le journaliste et le juge naît parce que pour ce dernier un fait n'est établi que lorsqu'il fait l'objet d'un jugement». Aussi, la stratégie de défense adoptée au Maroc par les directeurs de publications face aux juges se base sur les vices de forme, plus que sur le fond. «Cela permet de gagner 80% des procès», ajoute Dilami. Enfin, le web est-il un concurrent du journalisme d'investigation ? Pour Hanane Zbiss, journaliste d'investigation en Tunisie, rien ne remplace le terrain. De plus et les intervenants ont été unanimes, avec l'explosion de sites web et des réseaux sociaux, il y a croissance fulgurante de fausses nouvelles, d'intox, etc. Les lecteurs sont de plus en plus conscients que beaucoup ne sont pas crédibles. Des lecteurs qui constituent un 5e pouvoir, cher à Tidiane Dioh, responsable des programmes médias à l'Organisation internationale de la francophonie, et qui auront les outils pour faire le tri entre l'information juste et la fake news. Encore faut-il qu'ils soient éduqués aux médias. Et là c'est la responsabilité des pouvoirs publics qui doivent investir dans les programmes éducatifs et la formation des journalistes. Les Assises, une organisation bien huilée L'UPF a réuni plus de 300 journalistes et experts des médias, représentant 51 pays, à Conakry. La réussite de ces 46e assises est le fruit du travail des équipes de l'UPF internationale avec la collaboration de la section locale, en Guinée. L'organisation des Assises représente un budget de 400.000 Euros, financé en partie par les entreprises locales et internationales (OCP, Total, Bolloré etc.) et l'Organisation internationale de la francophonie. Les Assises ont été ouvertes par le président international de l'UPF, Madiambal Diagne, Cheick Sako, ministre de la Justice et garde des sceaux, le représentant de la secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) Tidiane Diop, le président de l'UPF Guinée, Ibrahima Koné ainsi que le secrétaire général international de l'UPF, Jean Kouchner.