Il y a quelques mois déjà, le festival du cinéma d'auteur de Rabat avait rendu un hommage appuyé au prix Nobel de la littérature, l'Egyptien Naguib Mahfouz. Une table ronde sur ses œuvres littéraires qui ont eu un impact considérable sur la production cinématographique a été organisée. En décembre, le café littéraire, très actif à Rabat et à Casablanca, célèbre le centenaire du grand écrivain en programmant une rencontre dédiée à son œuvre si riche. Lecture d'extraits de ses romans les plus célèbres, projections de films adaptés de ses livres, débat sur son style littéraire, retour sur la tentative d'assassinat dont il a été victime en 1994 ... ont été au menu. «Nous avions aussi invité Hassan Bahraoui, qui avait connu Naguib Mahfouz et qui allait nous parler de l'influence de l'écrivain égyptien sur les auteurs marocains, mais malheureusement, il s'est excusé à la dernière minute», nous explique Kenza Sefrioui, initiatrice du Café littéraire. Cinq ans après son décès, le mythe Naguib Mahfouz est devenu le symbole absolu de la résistance. Durant toute sa vie d'écrivain et d'intellectuel, il a résisté contre une société injuste, un obscurantisme qui prend de plus en plus d'ampleur... Ce n'est pas d'ailleurs pour rien, que les intellectuels égyptiens ont tenu à commémorer son centenaire, alors que leur pays traverse une période des plus délicates. Il faut dire que la mémoire de Naguib Mahfouz ne s'est jamais estompée. Elle est là, présente depuis plus de 60 ans. «On ne peut parler de la littérature dans le monde arabe, sans évoquer le nom de Naguib Mahfouz, le seul écrivain arabe à avoirreçu le prix Nobel de la littérature», souligne Sefrioui. Les petites gens, au cœur de la réflexion de Mahfouz Universelle, l'œuvre de Najib Mahfouz se veut avant tout un plaidoyer en faveur des marginaux de la société. L'écrivain, qui a passé son enfance et sa jeunesse dans les quartiers populaires du Caire, a été toujours inspiré par la simplicité et la profondeur de la vie des habitants de ces quartiers. D'ailleurs, la trilogie du Caire, considérée comme son œuvre la plus importante, est une immersion dans cette région de la capitale égyptienne. Dans cet ensemble de plus de 1.500 pages, Najib Mahfoud dresse dans L'Impasse des deux palais, Le Palais du désir et Le Jardin du passé, le portrait d'un patriarche et de sa famille pendant la période qui va de la première guerre mondiale jusqu'au renversement du roi Farouk. Une véritable étude sociologique qui rappelle des prédécesseurs dans le genre romanesque, notamment Balzac et Tolstoï. Achevée juste avant le coup d'Etat de Jamal Abdel Nasser en 1952, cette trilogie adaptée au cinéma dans les années 1960, assure à Mahfoud un succès inattendu. Pourtant, il délaisse durant cette période l'écriture romanesque pour le scénario. Alors que certains pensent que le motif financier était derrière cette décision, d'autres affirment que la situation politique de l'Egypte à l'époque n'inspirait point l'écrivain. Les années se suivent et se ressemblent pour Mahfouz. Audacieux, il traite dans ses romans de sujets tabous, brise le silence. Son célèbre roman «Awlâd hâratina» (Les enfants de notre quartier) publié en 1959, tournant dans sa carrière et dans l'histoire du roman arabe, déclenche une polémique virulente. Jugé blasphématoire par les oulémas, interdit par les autorités égyptiennes, ce roman ne fait qu'asseoir sa réputation. Ce même roman, 35 ans après sa publication, refait surface. On est en 1994, deux fanatiques proches de la fraction radicale de l'opposition islamiste, tentent d'assassiner Mahfouz, qui survit miraculeusement. Paralysé de la main droite, il avait déclaré juste après que «l'écriture a beaucoup d'effets sur la culture et sur toutes les valeurs civilisationnelles». Aujourd'hui, alors que le monde arabe est toujours en pleine ébullition, l'œuvre de Naguib Mahfouz est plus que d'actualité. Sa littérature donne en effet à la parole des insoumis sa valeur et son poids.